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Actualités - REPORTAGES

Patrimoine - Les voleurs ont apparemment les mains libres Mystérieuse disparition de la mosaïque de Chéhim(photos)

Entre un vrai et un faux scandale, quelle différence ? Tout simplement, tout bêtement l’existence d’une preuve matérielle. Ou sa brusque disparition. On a beaucoup cherché, beaucoup enquêté cette année autour de ce qu’on appelle les antiquités. Les descentes de police dans les simili-catacombes des professionnels, les razzias-surprises dans les palais, les opérations médiatiques pour salir des réputations, faire fuir de dynamiques investisseurs, ont-elles au moins dissuadé les vrais voleurs d’agir ? Apparemment pas du tout : au nez et à la barbe des autorités, la principale mosaïque de l’église de Chéhim, trésor historique confié à la garde de l’État, vient de se volatiliser ! Cela s’est passé il y a quelques jours. Et on se demande comment les bandits ont pu opérer, parce que, pour démonter une mosaïque antique, que les pillards des siècles passés n’ont pu arracher, il faut beaucoup de temps. Le mystère est entier et on attend maintenant des autorités une réaction vigoureuse. Mais allons à la redécouverte de ce site archéologique de Chéhim qui, depuis les fouilles intensifiées de 1996, étale au grand jour les splendides secrets de Rome ou de Byzance. Niché dans l’Iqlim el-Kharroub, Chéhim explose à la fin des glorious sixties. Et cela grâce à l’architecte-archéologue Kalayan. Il découvre en effet d’un coup un temple romain, une église byzantine, des pressoirs à huile et tout un quartier d’habitations. Les fouilles ont bien entendu cessé pendant la guerre. Elles ont repris à partir de 1996, sous l’impulsion tripartite de la Direction générale des antiquités (DGA), de l’Institut français d’archéologie pour le Proche-Orient (Ifapo) et de la faculté d’archéologie de Varsovie. Excavations, travaux de décapage, de carottage, reconstitution de la stratigraphie et du contexte archéologique des monuments dégagés… Les lieux révèlent un vestige pratiquement unique au Liban : une basilique protobyzantine datant de 498. L’édifice présente les spécificités architecturales de la Syrie du Nord et de la Mésopotamie. «Ce lieu de culte qui intègre dans ses structures le bêma et l’ambon ne s’inscrit pas dans l’esprit des traditions locales. On n’en avait jamais trouvé de pareil dans le pays», indique M. Tomasz Waliszewski, chef de la mission archéologique polonaise. Un sol pavé de mosaïques Une inscription grecque, découverte devant une des entrées latérales, révèle le nom du protecteur de l’église, le prêtre Thomas, comme ceux de l’archevêque de Sidon, André et de Iannos son chorepiskopos (coadjuteur). Le sol de la basilique est entièrement pavé de mosaïques, encore bien conservées par endroits. Il y a là trois tapis à motifs géométriques comportant au centre un médaillon avec un oiseau. Les bordures sont ornées de guirlandes végétales. Une quatrième mosaïque représente une lionne, deux oiseaux et un poisson. Elle a été installée au VIe siècle pour surélever le chœur jusqu’au niveau du bêma. À cet endroit, la mosaïque présente un large trou. Il a été pratiqué, croit-on savoir, par des fouilleurs clandestins, chasseurs de trésors, qui ont sévi quelque temps après l’abandon de l’église. «Les archéologues ont déterré dans cette fosse des lampes à huile datant de l’époque omeyyade» relève M. Waliszewski. La basilique subit encore des modifications vers la fin du VIe siècle. Les entrecolonnements de la nef sont alors murés pour adapter les lieux au développement de la liturgie byzantine. «L’intérêt de cette basilique réside dans son bêma qui n’est pas une spécificité régionale et dans l’ambon qu’on ne trouve presque jamais dans l’abside», explique M.Waliszewski. Les travaux ont également permis de recueillir dans l’abside des éclats d’un enduit rouge. «Tout semble indiquer que les murs de l’église étaient ornés de peintures d’inspiration religieuse. Les mosaïques n’étaient qu’un petit fragment de décor de la basilique». Le site a été abandonné à la fin du VIIe siècle, suite à un incendie dont les traces marquent par endroits les mosaïques. Temple romain Le petit temple romain de Chéhim, de style corinthien, avec des blocs à très fort bossage, date pour sa part du IIe siècle. En sous-sol, les archéologues ont découvert les structures d’un bâtiment antérieur au temple. Les sculptures et les bas-reliefs qui ornent les murs d’entrée de la cella constituent l’intérêt principal du temple. La porte monumentale, aux chambranles moulurés, est surmontée d’un linteau décoré de quatre guirlandes. Un personnage est représenté avec la figure et les mains sévèrement martelées. Il s’agit d’un prêtre offrant une libation, tenant dans la main gauche une situle contenant du vin ou de l’huile. Dans la main droite, un sceptre décoré d’une tête de bélier. «Ces figures remontent soit à l’époque hellénistique, soit à l’époque perse. Elles sont de beaucoup antérieures au temple de Chéhim. On peut penser que certaines pratiques culturelles s’étaient perpétuées pendant une longue période», dit l’archéologue polonais. Un village de pressoirs à huile Le temple a été détruit et abandonné vers la fin du IVe siècle.Transformé au Ve siècle il est utilisé jusqu’au VIIe siècle comme pressoir à raisins. En fouillant les divers niveaux des fondations, les archéologues ont en effet dégagé un bassin circulaire (environ 1,30m de profondeur et 1,20 m de diamètre) au fond duquel gisait une cupule. Les archéologues datent du Ve siècle, le village qui s’est développé autour de l’église. La ruelle encore bien tracée conduit vers des habitations monocellulaires. Elles sont dotées d’un étage dont on voit parfois l’escalier posé sur un mur d’échiffre et appuyé contre la paroi extérieure. Éparpillés à travers tout le site, de nombreux éléments de pressoirs à olives attestent l’importance de la production d’huile d’olive à l’époque protobyzantine. Une dizaine d’huileries, dont deux encore complètes, ont été dégagées. Dans l’une des fosses qui recueillaient le jus, une balance romaine en très bon état de conservation a été trouvée. C’est là un symbole frappant d’histoire et d’équilibre. À l’image même de ce pays.
Entre un vrai et un faux scandale, quelle différence ? Tout simplement, tout bêtement l’existence d’une preuve matérielle. Ou sa brusque disparition. On a beaucoup cherché, beaucoup enquêté cette année autour de ce qu’on appelle les antiquités. Les descentes de police dans les simili-catacombes des professionnels, les razzias-surprises dans les palais, les opérations...