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Actualités - OPINION

Peau neuve

En politique comme dans la vie courante, il est certaines disparitions qui arrangent bien des choses : tout se passant même parfois comme si le grand absent s’était providentiellement trouvé là, à un moment précis de l’Histoire. Qu’il avait parfaitement rempli le rôle à lui assigné par le Destin, ou bien alors par ces Puissances investies du pouvoir de façonner la destinée des autres peuples. Et que le succès même de ce personnage historique, mais vraiment trop marqué, commandait absolument son départ, d’autres gestionnaires convenant mieux, désormais, à la situation qu’il avait créée. Il en fut ainsi d’Anouar Sadate, premier leader arabe à se rendre en voyage officiel en Israël puis à signer avec ce dernier un traité de paix formel, ce qui lui valut d’être mis au ban de la nation avant de tomber sous les balles de ses assassins. Cette paix héritée, son vice-président et successeur Husni Moubarak ne la remit jamais en question ; il n’eut aucun mal pourtant à réintégrer très vite, et par la grande porte, un monde arabe orphelin de l’Égypte, et qui n’attendait sans doute que ce dénouement fatal pour se résigner au fait accompli. Autre personnage hors série, souvent vilipendé par ses pairs arabes en raison de ses liens à peine déguisés avec l’État juif, et qui a mis à profit l’accord israélo-palestinien d’Oslo pour conclure la paix en solitaire, Hussein de Jordanie a survécu, lui, à des dizaines de tentatives d’assassinat, mais non au mal implacable qui le minait. À peine le monarque hachémite était-il mis en terre que tout changeait soudain entre Damas, capitale de l’arabisme le plus intransigeant, et Amman où flotte pourtant, depuis cinq ans, le drapeau frappé de l’Étoile de David. Car en plus d’ un bon voisin, c’est un précieux intermédiaire qu’a retrouvé la Syrie dans la Jordanie d’Abdallah II : sillonnant les grandes capitales, multipliant les visites à Damas et les rencontres avec des responsables israéliens, le jeune monarque s’est dépensé sans compter, ces dernières semaines, pour faciliter une reprise des pourparlers de paix syro-israéliens, suspendus depuis plus de trois ans. Le Liban ne pouvait que se voir associer à ces retrouvailles et il faut se féliciter du climat chaleureux qui a marqué le bref séjour, dans notre pays, du couple royal jordanien. En annonçant la paix pour bientôt, le souriant Abdallah s’est rendu encore plus sympathique aux yeux d’un peuple libanais las du morne statu quo et qui, de l’ordre régional en gestation, attend de recouvrer sa pleine spécificité. Le jeune monarque aura même eu l’élégance de proposer à Beyrouth les mêmes services de courtage déjà prodigués à l’allié syrien, tout en étant parfaitement conscient cependant de l’intransgressible jumelage entre les deux volets libanais et syrien de la négociation avec Israël. Il n’y a pas toutefois que le geste. Et sans que soit évidemment trahie la sacro-sainte «coordination» avec la Syrie, il serait fort utile d’instaurer, avec ce singulier royaume, un dialogue responsable et régulier : avec la Jordanie en effet, nous partageons certaines similitudes, même conjoncturelles, dont nous gagnerions à tirer les leçons. Et dans le même temps, certains de ces points communs peuvent inévitablement tourner au conflit d’intérêts. On pense notamment à la question des réfugiés palestiniens, pierre d’achoppement de tout règlement véritablement définitif de la crise du Proche-Orient : réfugiés devenus citoyens jordaniens (du moins ceux de l’exode de 1948) – et formant même aujourd’hui la majorité démographique du pays – pour la bonne raison que les Hachémites ne pouvaient faire autrement que d’absorber les autochtones palestiniens, en même temps qu’ils annexaient la portion de Palestine épargnée par la création de l’État d’Israël ; et réfugiés ayant afflué en vagues successives, sans le moindre contrôle, au Liban, et dont l’intégration définitive, a averti récemment le président Lahoud, constituerait une véritable bombe à retardement. Toujours est-il que de tous les pays directement impliqués dans le problème du Proche-Orient, ce sont la Jordanie et le Liban qui, épisodiquement, voient leur viabilité, en tant qu’entités politiques distinctes, mises et remises en question : bien davantage que la simple préservation de leurs frontières, c’est la consécration de leur existence – au sein d’une région qui, elle aussi, fait actuellement peau neuve – que l’une et l’autre escomptent en réalité de la paix. Hussein avait résisté à tous les orages, démentant les pronostics des géopoliticiens et des stratèges, réussissant à se rendre indispensable, et son fils semble bien parti pour assurer la continuité. C’est cette même nécessité de vie et de survie (nécessité nationale mais aussi régionale, étayée d’ailleurs par des données historiques bien plus anciennes et solides que pour le royaume hachémite) que le Liban se doit de défendre, bec et ongles, sur toutes les scènes internationales. Mettons donc plus souvent le nez dehors, accueillons à tour de bras visiteurs de marque et congressistes, réhabituons le monde à un Liban partout présent, partout visible. Et si la politique étrangère reste, avec la défense et la sécurité interne, un des dossiers soumis à la règle de la synchronisation avec Damas, qu’en soit exploité, pour le moins, l’aspect relatif aux tout simples mais inestimables rapports d’amitié active avec les nations. Pour cela, les dirigeants doivent se débarrasser de certaines inhibitions absolument injustifiées ; à un moment où se dessinent les contours du nouveau Proche-Orient, et sans mettre en doute les capacités du Dr Sélim Hoss, il est impensable que le portefeuille des AE soit détenu par un chef de gouvernement compétent, certes, mais submergé de soucis politiques et économiques et n’ayant visiblement ni le temps, ni l’énergie, d’animer la diplomatie libanaise : serait-elle réduite, jusqu’à nouvel ordre, à une modeste mais ô combien indispensable opération de relations publiques.
En politique comme dans la vie courante, il est certaines disparitions qui arrangent bien des choses : tout se passant même parfois comme si le grand absent s’était providentiellement trouvé là, à un moment précis de l’Histoire. Qu’il avait parfaitement rempli le rôle à lui assigné par le Destin, ou bien alors par ces Puissances investies du pouvoir de façonner la...