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Actualités - OPINION

Courrier Assurance touriste ...

Cela faisait plus de deux ans que mon ami Thierry se promettait de venir visiter le Liban... Je lui avais tellement parlé de la reconstruction, du centre-ville, de l’aérogare, du port, du réseau routier, des télécommunications, du Casino, des festivals, et de tout ce qui donnait, à côté de la douceur de vivre, ce nouvel essor à notre pays ! Flanqué de sa petite smala et de sa sémillante épouse, Thierry débarqua un beau matin de juillet à Beyrouth. Il avait renoncé à ses habituelles vacances de l’autre côté de la Méditerranée, et s’apprêtait à partager avec sa famille quelques jours de vacances au pays du lait et du miel, ponctués de bains de mer, de visites archéologiques et d’événements culturels. Aujourd’hui, je suis heureux de penser que Thierry et sa famille ont pu tous regagner leur pays sains et saufs. Car souvent pendant leur séjour, il s’en était fallu de peu pour qu’ils ne puissent jamais le faire ; et ma vie durant, je me serais reproché de les avoir invités à venir. Tout avait commencé lorsque mon ami décida, au lendemain de son arrivée, de visiter les temples de Baalbeck le jour et d’y assister à un spectacle le soir. Il avait d’abord loué une voiture à un prix exorbitant (surtout les yeux de ceux qui en prennent connaissance), décidé en bon touriste expérimenté (il avait déjà visité en solitaire la Mongolie, le Tibet et la Mandchourie) à découvrir le pays autrement qu’en pullman climatisé avec musique et vitres hermétiques. Prudent, il s’était muni d’une carte retraçant avec précision les routes à suivre et les directions à prendre (les précautions, elles, ne se trouvant jamais sur une carte). Il quitta son hôtel du bord de mer et commença à s’engager sur les routes de nos montagnes. Au bout de quelques kilomètres, l’épouse de Thierry lui fit remarquer que les automobilistes du pays n’utilisaient pas de ceinture de sécurité et qu’aucun motocycliste ne portait de casque. Cela leur parut tellement étrange qu’ils finirent par conclure qu’ils devaient circuler dans un paradis de la sécurité routière où le port de la ceinture était superflu. Le moindre doute qu’ils auraient pu avoir à ce sujet se dissipa rapidement lorsqu’ils virent un gendarme faire signe de s’arrêter à un automobiliste qui roulait comme tous les autres sans avoir pris le soin d’attacher sa ceinture, mais qui utilisait un téléphone mobile. Thierry demanda alors à chacun de sa famille de suivre l’exemple de cette civilisation avancée et de détacher cet inutile accessoire : il ne tenait surtout pas à vexer une population aussi disciplinée en se distinguant par un signe extérieur de manque de confiance dans la réglementation d’une sécurité routière aux techniques bien précises qui lui avaient échappé jusqu’alors. Mais ce qui provoquait le plus la curiosité de Thierry était l’aspect convivial et humain de la conduite dans le pays. Pas de clignotants – tellement impersonnels – pour passer d’un côté ou de l’autre de la route ! Un simple geste de la main par contre, si fraternel, si personnel, et tout le monde se comprenait ! Le conducteur qui roulait à gauche, et qui brusquement souhaitait suivre la file de droite, tendait la main hors de la voiture en vous faisant un signe amical pour vous demander de le laisser passer. Et lorsqu’il n’était pas certain que vous ayez compris son message, il «battait de l’aile» avec un seul bras, à travers la portière de sa voiture, comme s’il voulait s’envoler… Très vite, Thierry comprit qu’il serait discourtois sur nos routes d’utiliser intempestivement un clignotant. Voulant s’adapter aux coutumes locales, il garda le bras gauche hors de la voiture, le laissant paresseusement pendre sur la tôle de la portière, avec l’assurance du touriste qui connaissait bien les mœurs du pays. Sur les routes plates de la plaine, Thierry rencontra un nouvel aspect de réglementation routière avancée : les véhicules lents qui roulaient à gauche sans céder le passage. Il n’avait pas encore saisi toutes les subtilités de cette manière de circuler, et se perdit d’abord en vains appels de phares appuyés de quelques klaxons répétés afin de demander le passage. Ce n’est qu’au bout de quelques essais inutiles, et en observant l’adresse avec laquelle d’autres conducteurs doublaient à la droite de ces dangereux routiers, qu’il assimila notre sens poussé de la pratique. Les véhicules lents avaient la priorité sur les deux côtés de la route : il fallait donc les suivre et patienter jusqu’à ce qu’il leur semble bon de vous laisser passer. Je ne vous raconterai pas le retour de Thierry vers la capitale, la nuit, après le spectacle, ni comment il parvint à éviter au dernier moment (pour beaucoup ce fut même un dernier moment) les véhicules sans phares arrières qui roulaient incognito et qu’il faillit percuter à maintes reprises. Dans son enthousiasme de touriste ébloui par le raffinement de notre civilisation, Thierry les prit pour des inspecteurs nocturnes chargés de surveiller le trafic à ces heures tardives. … Et lorsque le lendemain Thierry me fit part de son admiration pour ce qu’il appelait «une révolution dans la réglementation de la circulation routière», il refusa de croire un instant qu’il n’existait pas de réglementation du tout, et que sur nos routes les gens continuent de courir davantage à la mort qu’à la destination qu’ils souhaitent atteindre.
Cela faisait plus de deux ans que mon ami Thierry se promettait de venir visiter le Liban... Je lui avais tellement parlé de la reconstruction, du centre-ville, de l’aérogare, du port, du réseau routier, des télécommunications, du Casino, des festivals, et de tout ce qui donnait, à côté de la douceur de vivre, ce nouvel essor à notre pays ! Flanqué de sa petite smala et de...