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Actualités - OPINION

Libanismes

À force d’apparaître comme relativement démocratique, relativement islamique, relativement trilingue, relativement touristique, relativement pauvre, relativement libre, ce tout petit pays (au demeurant relativement libanais...) dont nous sommes se pare d’une identité absolument saugrenue. Ainsi, pour la démocratie, que voit-on en ce moment ? Des intermédiaires, voire ce qu’il est convenu d’appeler désormais des «décideurs», tirer à hue et à dia pour «rapprocher» rien moins que le gouvernement et l’opposition. Ce que personne de sensé ne se hasarderait à entreprendre dans des pays où, les gouvernements, ayant pour vocation de gouverner, comme leur nom l’indique, et les oppositions, ayant pour fonction de s’opposer, comme leur nom l’indique aussi, aucune dialectique ne justifierait que chacun abandonne son rôle respectif pour se fondre dans son contraire. Imagine-t-on, en France par exemple, Lionel Jospin, sautant par dessus toutes les règles du jeu républicain, faire alliance avec la droite, tandis que Jacques Chirac, reniant ce qui reste du gaullisme, épouserait le socialisme pour entonner l’hymne de l’Internationale ? Mais nous, nous sommes pétris de bonnes intentions, même si la logique politique en pâtit. Relativement islamique le Liban ? Oui, par la force des choses, ne serait-ce que parce qu’il est, tout aussi justement, relativement chrétien, sans qu’il soit indispensable de relever, par ailleurs, les profondes différences qui distinguent les deux obédiences de l’islam coexistant dans le périmètre étroit où s’élèvent nos minarets, sous peine d’être soupçonné de vouloir réveiller la guerre latente qui oppose chiisme duodécimain et orthodoxie sunnite (il ne manquerait que ça pour faire exploser une tension bien patente, elle, mais bien réprimée, entre les deux clergés). Quant à notre relatif trilinguisme, plus parlant qu’une analyse, l’exemple de cette phrase entendue, l’autre soir, lors d’un rassemblement familial : «Ouallah al-azim, Abdallah M., ne me dis pas non, est un gentleman, mahma kan al-amr, a real gentleman, ala al-chakl al-inklisi, n’est-ce pas ?». Tourisme, mon beau tourisme, ne vois-tu rien venir ? Tous ces étages d’hôtels qui grimpent vers le ciel beyrouthin, de Minet el-Hosn à Jnah, se nourriront-ils d’autre chose que d’espoir ? Si l’on excepte les congrès (autant de chambres de réservées pour peu de jours), la clientèle arabe du Golfe qui vient butiner les semaines de soldes ou fêter en tribu la fête de la Adha, voire la fin du Ramadan, notre vocation d’accueil reste, elle aussi relative. Par les hasards de l’exiguïté, nous sommes, ici encore, un pays de passage. Si le tourisme d’été à part entière se dirige volontiers vers la Grèce, l’Espagne, la France et ainsi de suite, bref tous les pays assez riches en littoral et en vestiges pour justifier qu’on y passe la totalité de ses vacances, le Liban ne figure dans les «tours» des agences de voyages que pour y être le lieu du saut de puce, c’est-à-dire une simple escale qui mène vite à Mari, à Petra, vers la somptuosité de la Haute-Égypte ou les clubs de plongée de la mer Rouge. Rien pour nos beaux yeux ? Rien, je le crains. Pour parfaire ce constat, voyons la hâte que nous mettons (tout le monde n’aimant pas forcément les piscines) à emprisonner la mer, à doubler les baies naturelles de notre géographie par des criques de béton... enfin, je ne vais pas imiter les écologistes ; quant aux économistes lucides, ils savent bien que nous sommes mal placés pour attirer le jet-set des yachts et autres grands voiliers de plaisance. Mais, voulant m’attaquer à l’optimisme béat de certains clichés, voilà que je semble jouer les Cassandre, ce qu’à Dieu ne plaise... Sur notre relative pauvreté, laissons la parole à ceux qui s’occupent de budgétiser notre destin, sans nous attendrir sur le spectacle des enfants mendiants (ils figurent entre les lignes des statistiques que personne ne lit) et en nous consolant de n’être ni le Tchad ni le Soudan ni le Bengale oriental. On en vient donc au chapitre de notre liberté, que nous avons postulée relative. Elle l’est d’abord (et là, je garde une main sur le Coran, l’autre sur la biographie de saint Maron qui m’aideront à marcher sur des œufs) politiquement, et plus précisément sur le plan géopolitique. Suivez, pour me comprendre, mon strabisme divergent. Un œil au lointain sur les collines qui flanquent Tyr et Nabatiyé, l’autre sur la chaîne de l’Anti-Liban. Là-bas, une soldatesque ennemie, étrangère, agressive, le couteau entre les dents et qui se rit de nous. Ici, rien de tel : des frères, aînés et protecteurs, qui nous veulent du bien et qui veulent notre bien, d’anciens généraux, devenus civils, et des civils qui ne manifestent leur autorité que dans des entretiens avec nos autorités (du moins le dit-on), et ne s’entremettent que pour concilier, réconcilier ou donner une pichenette amicale à tel ou tel. Il n’y a que les mauvais esprits pour interpréter cette attitude en mauvaise part, voire confondre ces gestes amicaux avec une quelconque ingérence dans les affaires du pays ; parce que le pays, comme tout le monde le sait, est souverain, indépendant et surtout, avant tout, libre. Vous avez dit libre. J’ai dit libre, c’est mon dernier mot et je le revendique. Parce que sinon, je m’égarerais et, avec la maturité, j’ai bien compris qu’en ce cas je risquerais de me faire taper sur les doigts. Alors il me suffit de regarder sur mon bureau la photo de mon ministre de l’Intérieur, vice-Premier ministre, le plus durable de nos hommes politiques (en ne comptant pas le jeune ministre de l’Agriculture), bref quand je vois le gabarit de M. Murr, je fais le dos rond et je marche droit. Sûre d’être dans la bonne direction. Et vous me direz, ensuite, qu’elle n’est pas saugrenue, ma liberté !
À force d’apparaître comme relativement démocratique, relativement islamique, relativement trilingue, relativement touristique, relativement pauvre, relativement libre, ce tout petit pays (au demeurant relativement libanais...) dont nous sommes se pare d’une identité absolument saugrenue. Ainsi, pour la démocratie, que voit-on en ce moment ? Des intermédiaires, voire ce...