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Actualités - INTERVIEWS

Interview - Michel Rocard reçoit L'Orient Le Jour Les nuages entre Chirac et Lahoud n'engagent pas la France(photo)

Michel Rocard n’est décidément pas commode. Il pratique si peu la langue de bois qu’il en devient glaçant. Venu à Beyrouth en visite «familiale et touristique», sur une invitation de Me Mohsen Slim, il n’en rencontre pas moins le chef de l’État et le président du Conseil, mais c’est presque à contrecœur qu’il accorde un entretien à L’Orient-Le Jour. Il clôturera aujourd’hui sa visite de cinq jours. L’ancien Premier ministre français et actuel député européen est seul dans le lobby de l’hôtel et se prépare à être le plus laconique possible, pour avoir plus de temps pour le tourisme et la détente. «Je ne suis chargé d’aucune mission et ne suis porteur d’aucun message», déclare-t-il d’emblée. Dans ce cas comment explique-t-il sa rencontre avec le chef de l’État (qu’il a vu à Beiteddine vendredi dernier) ? «C’est une visite de courtoisie, placée sous le signe de la sympathie», répond-il. M. Rocard précise qu’il a eu avec le président Lahoud une conversation d’ordre privé, puis il ajoute qu’il ne peut pas en dire plus pour ne pas compromettre son interlocuteur. «Soit il ne m’a rien dit, soit il m’a dit des choses tellement importantes que je ne peux en parler», lance-t-il avec humour. M. Rocard ajoute que ses rencontres officielles seront «aussi limitées que possibles, pour confirmer simplement que je demeure un ami du Liban». Pourtant, les relations entre la France et le Liban ne sont pas au beau fixe, actuellement. M. Rocard proteste vivement. «Il semble qu’il y ait quelques nuages entre les présidents Chirac et Lahoud. J’espère qu’ils vont se dissiper. En tout cas, cela n’engage pas la France. C’est d’ailleurs l’opinion du gouvernement français». A-t-il évoqué ce sujet avec M. Jospin avant de se rendre à Beyrouth ? M. Rocard se contente de déclarer qu’il est un ami du Premier ministre français et il insiste sur le fait que la France n’a pas changé de sentiment à l’égard du Liban, depuis l’époque de Saint-Louis. Défendre les plus menacés N’a-t-elle pas, pendant les années de guerre, appuyé un camp contre l’autre ? «Si avant 1920, la France était un peu la protectrice des chrétiens ; dès 1920, elle s’est rendue compte que ses amis sont dans tous les camps au Liban et les Français n’ont pas combattu dans un camp contre l’autre». Il a pourtant participé à la conférence de solidarité organisée par les Forces libanaises en 1981, en prélude à l’arrivée au pouvoir de Bachir Gemayel. «D’abord, je crois qu’à certains moments, il faut défendre les plus menacés. De plus, en 1980, j’avais tenu à rencontrer tout le monde. J’étais alors chargé d’une mission de soutien aux Palestiniens par le Parti socialiste unifié (PSU). J’avais ainsi rencontré le président Arafat, avec lequel je suis devenu très ami, et le Premier ministre Sélim Hoss, qui occupait aussi cette fonction à l’époque, et que je connais moins bien». Pour lui, en tout cas, le Liban est une entité à part entière. «C’est une nation courageuse, une des rares en terre d’islam qui vit en bonne intelligence avec les autres communautés». Par opposition à Israël ? Rocard évite de répondre directement. «À mon avis, dit-il, la réconciliation entre les Libanais et les Israéliens est possible. Elle est même plus aisée qu’entre les Israéliens et les Palestiniens, puisque le conflit ne porte pas sur la même terre». M. Rocard estime que le Liban traverse actuellement une période difficile, mais il est sûr que ce pays «retrouvera sa place stratégique, car il ne lui manque ni les talents ni les compétences». Selon lui, le Liban devrait toutefois défendre seul ses intérêts. «Car, pour construire du nouveau, il faut d’abord régler les comptes du passé et, au Liban, ils sont lourds». Il estime, de plus, que les interventions des puissances extérieures compliquent les choses au lieu de les simplifier. «C’est vrai pour la Russie, pour les États-Unis et même pour la France». Et l’Europe ? «Elle se manifeste au Moyen-Orient par une aide financière, car les peuples de la région ne peuvent régler seuls leurs problèmes économiques. Savez-vous que l’Europe est le premier bailleur de fonds du Liban ? Sa contribution est de l’ordre de 787 millions d’euros». M. Rocard, qui néglige de plus en plus la politique locale française pour s’investir dans la construction de l’Europe (il est actuellement président de la Commission européenne des affaires sociales et de l’emploi), déteste qu’on le qualifie de trop honnête pour faire de la politique. «J’ai quand même occupé le poste de Premier ministre pendant trois ans ; j’ai fait la paix en Nouvelle-Calédonie … En somme, j’ai eu le temps de faire des choses sérieuses. Je pense donc être arrivé. Mais pour le reste, la politique, c’est une rencontre de destins et de situations. Pour moi, cela ne s’est pas produit…».
Michel Rocard n’est décidément pas commode. Il pratique si peu la langue de bois qu’il en devient glaçant. Venu à Beyrouth en visite «familiale et touristique», sur une invitation de Me Mohsen Slim, il n’en rencontre pas moins le chef de l’État et le président du Conseil, mais c’est presque à contrecœur qu’il accorde un entretien à L’Orient-Le Jour. Il...