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Actualités - INTERVIEWS

Interview - Tarek Aziz à l'Orient Le Jour Saddam unit les irakiens autour de sa personne , mais le pays lui survivra(photo)

«L’Irak, c’est différent du Kosovo. Là-bas, ce sont des réfugiés qui ont besoin de vivres et de couvertures. Nous, nous sommes un pays et la meilleure aide que l’on puisse nous fournir, c’est de faire pression pour la levée de l’embargo qui nous frappe». L’homme qui tient ces propos est l’une des personnalités irakiennes les plus proches du président Saddam Hussein. Tarek Aziz, officiellement vice-Premier ministre est l’une des personnes les plus médiatisées d’Irak. Le cigare jamais bien loin des lèvres, l’homme est simple et aimable, presque débonnaire avec son sourire rassurant et ses yeux bleus. Présidant, au nom de Saddam Hussein, la conférence pour la levée de l’embargo sur l’Irak, Aziz a passé pratiquement trois jours sans quitter l’hôtel où elle se déroule, écoutant avec une patience infinie les discours parfois lassants des participants et toujours prêt à applaudir dès qu’il est fait mention du nom du président irakien. C’est dans sa suite à l’hôtel que se déroule notre entretien, le seul qu’il accordera pendant le déroulement de la conférence. Naturellement, la première question porte sur ce congrès et sa véritable utilité, ainsi que sur le risque de le voir se contenter de manifester sa solidarité avec l’Irak sans prendre des mesures concrètes pour la levée de l’embargo. «L’importance de ce congrès déclare M. Aziz, réside d’abord dans le fait même qu’il a pu se tenir. C’est vrai que les participants ont manifesté une grande solidarité avec l’Irak et exprimé des sentiments sincères envers notre pays, mais cette solidarité et ces sentiments reposent sur des analyses et ont abouti à une conclusion : l’embargo imposé à l’Irak est une menace pour le monde arabe. Tous les Arabes sont désormais d’accord sur ce point. De même, tous les participants ont convenu que l’embargo constitue une violation de la légitimité internationale et une menace pour l’existence d’un courant indépendant face à l’hégémonie américaine sur le monde. La conférence est donc très utile pour expliquer ce qui se passe en Irak et pour former une opinion publique dans les différents pays qui y participent. Certes, il n’aboutira pas à la levée de l’embargo, mais il permettra une meilleure compréhension des faits. Tel est d’ailleurs le rôle de ce genre de conférence : préparer l’opinion publique afin qu’elle fasse pression sur les gouvernements qui, eux, prennent les décisions exécutoires». Des relations économiques naturelles avec la Syrie Dans quelle mesure toutefois, ce congrès regroupant des personnalités exclues du pouvoir dans leurs propres pays peut-il aider à sortir l’Irak de son isolement ? «Je ne peux pas dire que l’Irak est isolé dans le monde arabe. Nous avons des relations avec les gouvernements et la plupart des pays arabes sont favorables à la levée de l’embargo. Seuls deux pays arabes dans la lignée américaine y sont opposés et d’autres sont hésitants. Mais si on fait le compte la majorité est favorable à l’Irak. Au Liban, nous avons actuellement un bureau et en Syrie, nous aurons bientôt une représentation diplomatique. La décision en a été prise lors de la dernière visite du ministre des Affaires étrangères irakien à Damas et elle doit être concrétisée prochainement. D’ailleurs, nous avons des contacts permanents avec la Syrie qui participe à la plupart de nos activités. Avec l’Égypte aussi nous avons de bonnes relations; quant à la Jordanie, l’Irak n’a jamais modifié sa position. Aux funérailles du roi Hussein d’ailleurs, le président Saddam Hussein qui ne peut se déplacer pour des raisons évidentes de sécurité a envoyé le vice-président pour le représenter personnellement. De plus, nos frontières sont ouvertes tant avec la Jordanie qu’avec la Syrie». On dirait toutefois que ces frontières sont ouvertes plus pour des raisons économiques que par souci de solidarité… «Les relations économiques entre la Syrie et l’Irak sont naturelles, c’est la rupture qui était anormale. Historiquement, les échanges commerciaux entre les deux pays sont aussi naturels que le cours de l’Euphrate. Actuellement, les frontières ne sont ouvertes que pour ces échanges, mais l’ouverture d’une représentation facilitera le déplacement des personnes entre les deux pays. La décision de principe, je le répète a été prise et n’attend plus que des questions techniques pour devenir applicable». La plupart des gouvernements arabes font une distinction entre le peuple irakien et son commandement, pense-t-il qu’une telle distinction soit possible ? «Normalement, une telle distinction est normale, car les commandements passent et ce sont les relations entre les peuples qui durent. Mais dans ce cas précis, c’est différent. Ceux qui font une telle distinction veulent surtout servir les médias américains ou sont influencés par les États-Unis. De toute manière, cela n’a aucune valeur, puisque l’embargo imposé à l’Irak atteint le peuple iraquien bien plus que son commandement». Comment expliquer dans ce cas le fait que le président irakien a récemment refusé d’accepter toute aide étrangère à son peuple ? «L’Irak ne peut pas vivre des aides. Ici, ce n’est pas le Kosovo. Et nous ne sommes pas un camp de réfugiés. Nous comptons 23 millions d’âmes et nous avons une superficie d’un million de km2. Notre pays a besoin d’électricité, d’écoles, d’universités. Ce ne sont pas quelques camions qui vont résoudre notre problème. C’est pourquoi nous refusons que notre problème soit limité à des camions de vivres. Surtout lorsqu’il s’agit de gouvernements alliés aux États-Unis qui cherchent à se donner bonne conscience en envoyant des aides humanitaires, alors que la meilleure façon d’aider l’Irak est de faire pression pour la levée de l’embargo». Cet embargo a été décrété il y a plus de huit ans. Y a-t-il selon lui des chances qu’il soit levé ? «Cet embargo est lié à la politique des États-Unis dans la région. L’Irak a rempli les conditions qui lui ont été demandées, mais les Américains et leurs alliés refusent de le reconnaître. L’objet de l’embargo est en réalité de renverser le régime. Les Américains le disent clairement. Mais, en fait, c’est l’ensemble du monde arabe qui est visé et particulièrement le Liban et la Syrie. Car si les Américains contrôlent toute la région, Israël n’en sera que plus agressif au Liban sud et la Syrie aura de moins en moins de chances de pouvoir un jour récupérer le Golan. C’est pourquoi nous affirmons que l’embargo sur l’Irak est une affaire arabe, et tous les nationalistes du monde arabe doivent réagir». L’Onu reprend d’une main ce qu’elle donne de l’autre Combien de contrats sont-ils actuellement bloqués par les Nations unies ? «Beaucoup trop. La commission 661 contrôlée par les Américains et les Britanniques fonctionne selon un plan précis : d’un côté elle autorise l’entrée de la nourriture et de l’autre, elle bloque le passage des camions chargés du transport. Il en est de même pour les médicaments. Nous dressons une liste de nos besoins dans ce domaine. La commission accepte certains médicaments et en refuse d’autres, alors qu’il s’agit d’un tout indivisible. Ainsi tronqués et incomplets, les traitements deviennent inefficaces et on ne peut plus les administrer. Les Américains accusent alors le gouvernement irakien de bloquer la distribution des médicaments… Récemment, trois ambulances destinées à l’Irak ont été arrêtées par la commission et la France a dû déployer des efforts multiples pour obtenir leur déblocage. C’est aussi le même principe pour l’électricité qui est destinée à tous les citoyens et est indispensable pour la conservation de la nourriture et pour le fonctionnement des hôpitaux. Le but essentiel est donc de rendre effroyables les conditions de vie des citoyens. Officiellement, nous sommes autorisés à vendre pour six milliards de dollars de pétrole. Mais pour cela, nous devons procéder à la maintenance et l’entretien de nos raffineries. Or, cela nous est interdit par la commission. En annulant les contrats privés, celle-ci nous contraint à réduire notre production et reprend d’une main ce qu’elle accorde de l’autre. Tout le jeu est là, dans un seul objectif : empêcher le peuple d’Irak de vivre décemment». Tarek Aziz n’éprouve-t-il pas une certaine déception face à la position française au sujet de l’embargo? «Nous n’intervenons pas dans les affaires internes d’un pays. Mais nous pensons que la France a tout intérêt à adopter une politique autonome par rapport à celle des États-Unis. Le général De Gaulle avait ainsi réussi à donner du crédit à la France tout en servant les intérêts de son pays. Or, à notre avis, la politique actuelle de la France dessert ses propres intérêts. Ce pays avait des affaires énormes en Irak et il n’a toujours pas trouvé des marchés de rechange. Pour vous en convaincre, posez la question aux sociétés françaises… Certes, la France tente d’adopter une politique distincte de celle des États-Unis et de la Grande- Bretagne, mais ses liens avec l’Otan la bloquent. En tout cas, nous continuons à avoir de bonnes relations avec ce pays, que ce soit au niveau du peuple ou à celui de ses dirigeants». Combien de temps l’Irak peut-il encore résister à l’embargo ? «Nous n’avons pas d’autre choix que de résister. Les États-Unis n’acceptent rien de moins que la reddition totale. Et si tous les pays cèdent, en six mois le monde entier deviendra une colonie américaine». Peut-on se battre seul contre tous ? «Nous ne sommes pas seuls. Le monde est truffé d’exemples de résistance à l’hégémonie américaine : regardez Cuba, la Chine et même la Yougoslavie. L’Irak peut tenir encore dix ans et dans dix ans, nous dirons qu’il peut en tenir dix autres etc. Nous n’avons pas d’autre choix, sinon, il nous faudrait renoncer à notre souveraineté». Beaucoup plus que l’indépendance N’est-il pas préférable parfois de renoncer à la souveraineté par souci de la vie des citoyens ? «Formulé ainsi cela peut sembler facile. Mais en réalité, en renonçant à la souveraineté, on perd beaucoup plus que l’indépendance. Regardez ce qui s’est passé avec les pays de l’Europe de l’Est. Ils se sont précipités dans les bras de l’Occident. Ils n’ont récolté que des problèmes, sans la prospérité escomptée. Leur territoire est désormais utilisé pour bombarder leurs frères sans qu’ils obtiennent la moindre récompense. Regardez aussi la Russie. Je ne suis pas un partisan du régime soviétique, mais on ne peut nier le fait que les Russes vivaient mieux auparavant, tant sur le plan économique que sur celui de la prospérité. Aujourd’hui, la Russie est littéralement pillée et attend les 4 milliards d’aides de la Banque mondiale, alors que les avoirs des Russes dans les banques s’élèvent à 400 milliards de dollars américains». Avec deux zones sous contrôle de l’Onu au Nord et au Sud, l’Irak n’est-il pas menacé d’éclatement ? «Le danger de partager l’Irak est un plan clair et l’institution de deux zones sous contrôle des Nations unies fait partie de ce plan. Mais l’Irak ne sera pas divisé. C’est l’une des plus anciennes civilisations du monde. Elle remonte à 7 000 ans. Les Kurdes du Nord et les chiites du sud font partie de cette Histoire. Ce ne sont pas des morceaux collés en cours de route, c’est un ensemble soudé, avec un passé commun. De même, la scission entre les chiites et les sunnites existe depuis la naissance du monde islamique mais les Irakiens eux, n’ont jamais été partagés selon ce critère. Et Bagdad est un véritable mélange de religions, où il n’y a pas de quartiers délimités sur base confessionnelle. On ne peut pas diviser un corps homogène». Mais on peut l’amputer, n’en continuera-t-il pas moins à vivre ? «Cela pourrait être vrai si cela se limitait à une ou deux régions. Mais le plan véritable est d’effriter l’ensemble de l’Irak. Si cela se produit, cela constituerait une menace pour tous les pays de la région : le Liban, la Syrie, l’Arabie séoudite… Tous doivent être conscients de ce danger». L’Irak a-t-il les moyens de s’opposer à un tel plan ? «Nous y mettons toutes nos forces. Nous avons une longue histoire derrière nous et elle est présente dans notre quotidien». On dit que Saddam Hussein est un rassembleur, le symbole de la patrie etc. Que deviendrait l’Irak s’il venait à disparaître ? «L’Irak uni existe bien avant Saddam Hussein et il lui survivra. Certes, Saddam Hussein est le moteur de la résistance, il donne l’impulsion et est porteur d’une vision. Mais l’Irak est et restera uni. Saddam Hussein est le fer de lance. Sans lui, le plan de partition aura plus de chances d’être réalisé. Rappelez-vous votre situation au Liban. A un moment donné, la partition était presque effective. Sans un commandement éveillé et national, qui a refusé cet état de fait, votre situation serait différente aujourd’hui. Il en est de même pour l’Irak. Saddam Hussein unit le peuple autour de sa personne. Mais le pays lui survivra, ainsi que les institutions du parti Baas».
«L’Irak, c’est différent du Kosovo. Là-bas, ce sont des réfugiés qui ont besoin de vivres et de couvertures. Nous, nous sommes un pays et la meilleure aide que l’on puisse nous fournir, c’est de faire pression pour la levée de l’embargo qui nous frappe». L’homme qui tient ces propos est l’une des personnalités irakiennes les plus proches du président Saddam...