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Actualités - OPINION

Dérangements d'avril

« Ils peuvent taper tout leur content, nous reconstruirons sur-le-champ, allez … » De fait, c’est avec une célérité-record que l’État a entrepris de réparer les dégâts occasionnés par les derniers bombardements israéliens, et une mention toute particulière doit être décernée aux services du génie de l’armée, qui ont mis les bouchées doubles pour rétablir les liaisons routières avec le Sud. Oui, la vie reprend, à la grande et légitime satisfaction des hauts responsables qui, ces derniers jours, ont proclamé à l’envi leur détermination à résister à l’agression. Et même à rendre coup pour coup, dans leur conviction que ce fringant déploiement de force tranquille ne peut qu’inciter les Libanais à garder le moral bien haut. Le moral, c’est en effet important. Mais ce n’est pas tout : car jamais les slogans à la gloire de la résistance ne pourront tenir lieu, à eux seuls, de programme : et encore moins de stratégie. Persister à ignorer ce fait finira fatalement par avoir raison de ce moral, serait-il fait au départ de béton armé. Un peu de psychologie, de grâce, Messieurs les responsables : aidez les gens à croire, à espérer, autrement qu’en leur demandant de se fier seulement à leur bonne étoile … ou, alors, à la vôtre ! Montrez-leur donc que quelque chose a effectivement changé en trente années de confrontation inégale, qu’à l’impuissant État libanais des années soixante, qu’à l’État éclaté, volatilisé des deux décennies suivantes, a succédé un État ayant quelque prise sur les événements ou se donnant la peine de faire, pour le moins, tout comme : un État qui sait clairement où il va et comment il y va, qui entend avoir voix au chapitre aux côtés des autres décideurs. Le Liban d’avant-guerre était notoirement impuissant à neutraliser la guérilla palestinienne, qui venait de s’implanter sur son territoire. Partout ailleurs parqués, surveillés ou à l’occasion napalmisés, les fedayin se voyaient encourager d’un peu partout à agir librement chez nous, et à partir de chez nous. Pas plus que les protestations d’impotence ou les velléités de recours à la force, les cessions de souveraineté du type de l’accord du Caire n’épargnèrent finalement au pays la guerre dite civile ni la guerre tout court, et son inévitable corollaire, l’occupation. Ce qui a changé depuis, c’est que ce sont désormais des Libanais qui s’escriment à harceler l’occupation ennemie, qui font héroïquement don de leurs vies pour libérer le Sud, pour éliminer les séquelles laissées par la désastreuse expérience du passé. Ce qui a changé aussi, c’est que la résistance s’est gagnée le respect et l’appui de l’ensemble de la population (et non plus seulement d’une fraction de celle-ci). Ce qui a changé surtout c’est que l’État libanais cautionne cette résistance, qu’il y souscrit et s’y associe, qu’il en assume les actions : qu’il en accepte donc, par avance, les résultats. L’État, la résistance et l’allié syrien ne font qu’un ? Fort bien, mais que l’on aille dans ce cas jusqu’au bout du contrat. Dès les premiers balbutiements de la guérilla palestinienne il a été dit, et mille fois redit, que les logiques des États et des révolutions étaient totalement incompatibles, et c’est encore vrai aujourd’hui. Le Hezbollah est un parti politique en lutte totale contre l’occupation ennemie, et pour cela la nation lui en est reconnaissante ; mais cette créance qu’il détient sur nous tous ne peut constituer, pour autant, un mandat universel à lui délivré pour faire la guerre, lui qui n’a pas en effet charge d’État. C’est bien l’État en revanche – et lui seul – qui doit pouvoir décréter s’il convient ou non de riposter (et dans quelles proportions) à une violation ennemie des arrangements d’avril en recourant, à son tour, à une telle action. C’est l’État, et nul autre protagoniste, apparent ou non, qui doit choisir quand et comment hausser les enchères ; sachant qu’on ne pourra opposer, à la plus puissante aviation de la région, que les tirs anarchiques d’une DCA obsolète, laquelle d’ailleurs fait plus de dommages au sol que dans les airs. C’est l’État, encore lui, qui doit décider s’il est en mesure de concilier confrontation et reconstruction : s’il a assez de coffre, d’endurance, de profondeur stratégique pour relever le gant, pour jouer l’escalade et, dans le même temps, rameuter vacanciers et touristes, élire des reines de beauté, organiser de prestigieux festivals internationaux et autres robinets à devises de l’été … Ces fameux arrangements de 1996 conclus au lendemain de l’horrible carnage de Cana, et visant à épargner les civils des deux côtés de la frontière, c’est surtout pour nous Libanais à la maison de verre, qu’ils ont vu le jour. En limitant pratiquement les hostilités à la zone occupée, ces mêmes arrangements venaient restreindre considérablement, à notre net avantage, la marge d’action de l’occupant, et ils ne sont pas pour peu dans l’apparition d’un puissant courant d’opinion en Israël, favorable à l’évacuation. Une garantie supplémentaire pour le Liban fut l’entrée de la France dans le comité de surveillance internationale, la France qui vient d’ailleurs de se voir reprocher sa «partialité», d’aussi abrupte manière, par Tel-Aviv. N’offrons pas à Israël le prétexte qu’il attend pour se dégager les coudes, pour nous extorquer un cessez-le-feu intégral sous la menace – imprudemment alimentée et entretenue – d’une guerre totale contre l’infrastructure. Nul au-dessus de la loi ? Oui certes, à commencer par celle du simple, du très ordinaire bon sens.
« Ils peuvent taper tout leur content, nous reconstruirons sur-le-champ, allez … » De fait, c’est avec une célérité-record que l’État a entrepris de réparer les dégâts occasionnés par les derniers bombardements israéliens, et une mention toute particulière doit être décernée aux services du génie de l’armée, qui ont mis les bouchées doubles pour rétablir les...