Contre-nature

Vous voulez faire partie du prestigieux commando antinature, antipaysage ? Dix commandements à observer : – Exercer avec passion l’art du dépouillement. Quand la nature abuse, l’homme réplique. Il coupe les arbres. Et la foi embrasée, il incendie la forêt. Rien que pour cette épreuve de feu, il doit être décoré. – Instaurer des mesures de prévention contre le règne végétal. Donner l’alerte contre le pollen, la chlorophylle et tous les agents pathogènes. Le verdoiement des pâturages, ça finit par être excédant. – Tuer, prendre à la glu ou attirer à l’appeau, la bande de vertébrés saccageurs des vergers. Basta cette cacophonie d’oiseaux. – Préserver la carrière de pierres, les retombées de poussière, les plaies géantes et les massifs en forme de gruyère. Et pourquoi en priver les grands sites. Beiteddine, Deir el-Kamar, Byblos, Ehden, les Cèdres, Baalbeck ont eux aussi le droit démocratique de mordre la poussière. – Une maison à toiture rouge. Quelle tuile ! Une plage au sable chaud. Un mirage ! Trouver l’excuse béton pour jouer la défense genre bunker et ligne Maginot. – Rejeter les déchets des usines, les ordures ménagères, les eaux usées dans les rivières et les fosses à fonds perdus. Et se griser ensuite d’effluves inédits, de pollution, de maladies. – Laisser couler les résidus pétroliers dans la mer. Mais aussi les sacs de plastique, les bouteilles de Pepsi et puisqu’on y est, les fauteuils délabrés. Allez, la pêche sera miraculeuse. – Remplir les réservoirs d’essence et de plomb. En crachotant, les poumons manifesteront avec plus de force leur estime reconnaissante à l’égard de cette charmante invention. – Empêcher les liaisons dangereuses entre la faune et la flore. Passer à la moulinette l’écosystème. Mener tambour battant l’épuration ethnique. Au nom de la toute – puissance créatrice, destructrice du bipède. – Et s’il reste quelques fleurs qui vous font des pieds de nez, abandonnez-vous aux espoirs les plus fous à coups d’«il m’aime, un peu, beaucoup». La nature vous le rendra passionnément