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Actualités - REPORTAGES

Société - Le terrible dilemme de Linda Un corps de femme, un cerveau d'homme

Encore une histoire de détresse. Mais celle de Linda n’est pas comme les autres. Depuis son plus jeune âge, elle voulait être un garçon; elle était convaincue d’en être un, malgré une «petite erreur» de la nature. À 21 ans, elle fait tout pour ne plus rien avoir de féminin et espère subir une opération chirurgicale. Toutefois, au regard de l’État libanais, elle restera du sexe féminin, parce que c’est ainsi qu’elle est née. Et Linda n’en peut plus de vivre avec un corps qu’elle déteste, avec une identité qu’elle considère comme une imposture. Elle a l’allure d’un jeune adolescent timide, le courage et la détermination d’un adulte. À 21 ans, Linda a décidé de raconter son histoire, sans plus craindre le jugement, l’incompréhension ou l’intolérance des autres. En la voyant franchir la porte du restaurant, on hésite de prime abord à déterminer son sexe. Mais vue de près et en dépit de ses efforts pour se masculiniser, elle a les traits fins. Gênée, elle ne sait par quoi commencer, et on se met à craindre qu’elle ne renonce à sa confession. Mais avec un petit sourire, elle lance : «Je vais tout vous dire, posez-moi des questions». Elle commence ensuite son long récit. Un père violent, une mère trop aimée Son enfance est marquée par des relations exécrables avec son père et par l’adoration sans bornes qu’elle voue à sa mère. «Je me souviens que quand j’étais petite et qu’il était énervé, il me lançait toujours : tu n’es pas ma fille. D’ailleurs lorsque je suis née, il a dit à ma mère : si tu ramènes une fille, ne rentre pas à la maison». Linda avait très peur de son père, apparemment un homme violent qui battait régulièrement sa mère et qui était porté sur l’alcool et les femmes. «Aujourd’hui, il s’est calmé, mais je ne crois pas que je l’aime». Jusqu’à l’âge de 12 ans, Linda n’était pas consciente d’être une fille. D’ailleurs, elle n’aimait pas beaucoup ses semblables, préférant jouer avec les garçons. «Ce sont les autres qui m’ont fait prendre conscience de mon sexe. Lorsque je rêve, je suis en tout cas toujours un homme». «Ma mère me dit qu’il m’est arrivé de jouer à la poupée, mais je ne m’en souviens pas. Depuis toujours, je voulais être homme pour ne plus avoir peur des autres». Plus tard, vers l’âge de 14 ans, Linda connaît son premier émoi amoureux, avec une autre fille bien sûr. «Entre nous, nous disions toujours que j’étais le mari». De se voir sous les traits d’un homme lui donne la force de commencer à affronter son père et à afficher ses préférences. Celles-ci d’ailleurs n’étaient pas sans lui pour des problèmes. Avec son charme particulier, Linda a réussi à se faire aimer de la plupart des filles de sa classe, au point que les garçons étaient tous jaloux d’elle et la percevaient comme une rivale. C’est alors que les ragots ont commencé à circuler. Dans le quartier où elle habite, les langues se sont déliées. «J’ai commencé à me sentir anormale, et je me suis mise à inventer des copains ou à faire semblant d’être amoureuse de tel acteur devant ma mère et ma sœur». Avoir une vie de couple Aujourd’hui, c’est quand on lui demande «comment vas-tu» au féminin, qu’elle se sent anormale. Sa première relation amoureuse, Linda l’a eue à 15 ans, au cours d’un camp pendant les vacances. Et depuis, elle n’a cessé d’avoir des rapports dans lesquels elle tenait toujours le rôle de l’homme. Mais même si elle a une amie, ce n’est pas toujours facile à assumer. «Je conseille toujours à celle que j’aime de se trouver un homme ce sera pour elle plus facile à vivre. Mais elle me dit qu’elle tient trop à moi». Cela n’en est pas moins très frustrant pour elle. «Je voudrais pouvoir me marier avec mon amie et vivre au grand jour, mais ce n’est pas possible dans la société actuelle». Pourtant, Linda a réussi à faire admettre à sa mère sa situation et ses relations particulières. «Au début, je n’osais pas lui en parler, même si je croyais qu’elle se doutait de quelque chose. Il a fallu une émission à la télé sur les homosexuels pour que nous abordions la question. Ma mère a eu une réaction dégoûtée avant de lancer : ces gens-là sont contre Dieu. Cela m’a choquée car je suis très croyante. Je lui ai alors répondu que c’est Dieu lui-même qui a créé ces êtres avec leurs particularités et moi-même je n’ai pas choisi d’être ce que je suis. Elle n’a pas été facile à convaincre et elle a commencé par bouder. J’ai alors voulu me suicider, c’était trop dur à vivre. Mais petit à petit, ma mère a fini par admettre la situation». La mère de Linda a alors voulu consulter un psychologue. Celui-ci a tenté d’obtenir de Linda qu’elle modifie son comportement, lui demandant de faire des efforts pour avoir des relations avec un homme. Il lui a prescrit des médicaments, mais la jeune fille piquait des crises de nerfs, et cherchait à se mutiler. Elle avait des sueurs froides rien qu’à l’idée d’être embrassée par un homme. Ce fut une période terrible et elle s’est mise à en vouloir au psychologue. Ce dernier a accepté de modifier le traitement et il lui a fait un test de personnalité dans lequel il est apparu que son cerveau est celui d’un homme. Linda a alors subi une intervention pour l’ablation de ses seins qu’elle détestait. Et aujourd’hui, elle espère obtenir celle de ses organes génitaux féminins. Mais elle ne sait pas encore si une telle opération est réalisable au Liban. Une loi vague Certes, il y a bien eu le cas de Tony, un garçon de son quartier qui est devenu Christina, mais selon ses confidences, il serait né hermaphrodite, avec des organes génitaux féminins, plus développés que les organes masculins, ce qui a facilité la transformation. Pour Linda, cette opération serait le véritable passeport pour le bonheur, car en devenant biologiquement un homme, même stérile, elle pourrait vivre avec son amie comme un couple ordinaire, l’épouser et devenir «normale» aux yeux de la société. Mais l’opération est coûteuse et difficile. En attendant, sa situation est difficile à définir. Si dans sa tête, tout est clair, pour ceux qui l’entourent, cela ne l’est pas. Lorsqu’elle postule un job, on cherche soit une fille, soit un garçon, mais comment classer ce personnage hybride qu’elle est devenue ? Toutefois, après plusieurs mois de chômage, elle travaille désormais comme caissière dans une cafétéria. Enfin, lorsqu’elle se rend à la plage, maintenant qu’elle n’a plus une poitrine de fille, elle entend souvent des commentaires désagréables du genre : «Quel garçon efféminé», ou encore : «Cette fille est dégoûtante, elle ne s’épile pas les jambes». Linda a beau jouer à l’indifférente, ces réactions la blessent et elle a hâte d’en finir. «Si je ne peux pas devenir officiellement un homme, je préfère mourir», lance-t-elle. Reste à savoir si la loi libanaise acceptera de modifier son nouvel état civil. La loi sur le statut personnel prévoit que tout changement d’identité doit se faire sur base d’un jugement émis par un magistrat, mais elle n’évoque pas une telle situation en particulier. Alors qu’il était président du tribunal de première instance, M. Hafez Zakhour a eu à connaître d’un cas de ce genre, et son jugement est devenu la première jurisprudence en la matière. Le cas s’était présenté au début des années 80. Il s’agissait d’un homme qui avait subi une opération pour devenir une femme. Le magistrat avait désigné une commission de médecins pour l’examiner et le rapport avait conclu que la personne était devenue une femme à part entière, avec la seule différence qu’elle ne peut avoir des enfants. C’est sur cela que M. Zakhour s’était basé pour accepter de modifier l’état civil de l’intéressé. Son jugement gracieux (c’est-à-dire qu’il n’y a pas de partie adverse) n’a pas été contesté devant la cour d’appel et il constitue désormais la principale jurisprudence dans ce genre de situation. Une jurisprudence qui ouvre une fenêtre d’espoir pour Linda on plutôt Luc. Car tel sera son prénom si on lui permet d’avoir une nouvelle identité.
Encore une histoire de détresse. Mais celle de Linda n’est pas comme les autres. Depuis son plus jeune âge, elle voulait être un garçon; elle était convaincue d’en être un, malgré une «petite erreur» de la nature. À 21 ans, elle fait tout pour ne plus rien avoir de féminin et espère subir une opération chirurgicale. Toutefois, au regard de l’État libanais, elle restera du sexe...