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Actualités - REPORTAGE

Prix élevés et dégradation de l'environnement Tourisme : le Liban risque de perdre sa clientèle arabe (photo)

La saison touristique touche à sa fin. Le bilan est généralement positif dans le secteur tertiaire, qui offre principalement ses services, au cours de l’été, aux villégiateurs arabes. Cette année, le chiffre d’affaires des hôtels — durant les mois de juillet et d’août — a augmenté, par rapport à l’année dernière, de 45%. Dans les hôtels situés en montagne, notamment à Broummana et à Sofar, 95% des chambres ont été occupées par des touristes venus du Golfe. Dans les grands hôtels de la côte, au Kesrouan par exemple, et à Beyrouth, le taux d’occupation des chambres par des touristes arabes s’est élevé, durant la haute saison, à 80% par rapport au reste de la clientèle. Cependant, bien qu’ils aient visité le Liban en masse cette année, les touristes venus du Golfe (du Koweït, d’Arabie Séoudite, du Qatar, de Bahreïn...) se sont particulièrement plaints des prix élevés et de la dégradation de l’environnement. Ils déclarent presque tous que si des efforts ne sont pas déployés pour contrôler les prix et préserver la nature, ils préféreront passer leurs vacances en Europe et en Amérique. Deux continents où ils se sont habitués à passer leurs vacances d’été quand le Liban était déchiré par la guerre. Cet été, les Libanais ont revu des scènes d’avant-guerre. Les rues de Broummana, de Sofar et de Maameltein étaient encombrées de voitures, notamment de gros 4x4, immatriculées en Arabie Séoudite et au Koweït. Venus profiter de moments de liberté et d’air frais, des villégiateurs arabes vêtus de bermudas et chaussés de sandales promenaient leurs jeunes enfants en poussette, tandis que les femmes — les Séoudiennes notamment — se mettaient derrière le volant. C’était aussi l’occasion pour certaines d’entre elles de porter des vêtements à l’européenne, de se mettre en maillot ou de laisser leurs cheveux au vent. C’était aussi le moment de faire des achats dans les grands magasins, d’aller aux restaurants, d’assister à des spectacles et de voir du pays. Cheikha, Hassan et Mona, des Bahreinis, ont passé deux semaines en Turquie avant de venir pour la première fois au Liban. Ils font le bilan de leurs vacances. Ils ont tout visité: Tyr, Saïda, Harissa, la Grotte de Jeita, le Chouf, Kefraya, Baalbeck... où il n’ont pas trouvé de places pour le spectacle de Feirouz. Ils auraient également souhaité assisté à un récital de Marcel Khalifé ou à une pièce de Ziad Rahbani. Hassan déclare: «Nous sommes venus au Liban parce que les campagnes de promotion télévisées donnent une très belle image du pays». «Pour que le Liban soit un pays touristique, il faut que la situation soit de loin meilleure», poursuit-il. Des remarques, ils en ont beaucoup à faire: «Les embouteillages, l’absence d’espaces verts, la surabondance de restaurants par rapport à d’autres endroits touristiques, le manque d’infrastructure et la pauvreté». Cheikha précise: «Au Liban, on est tout de suite frappé par la pauvreté d’une grande partie du peuple; dans la rue, par exemple, beaucoup d’anciennes voitures circulent, il y a de jeunes mendiants et beaucoup de voyantes». Voyance et mendicité sont interdits dans la plupart des pays du Golfe. Cheikha n’est pas près d’oublier qu’elle a souffert d’une intoxication alimentaire. «J’ai mangé dans un restaurant et je suis restée alitée durant trois jours», explique-t-elle. Empoisonnements ou changement de climat? Cette affaire «d’empoisonnement» est reprise par tous les touristes venus du Golfe. Une femme séoudienne déclare que «la moitié de ses amis a été hospitalisée à Beyrouth», tandis qu’un Koweïtien rapporte que tous ses «compatriotes ont souffert de diarrhées et de vomissements». Il ajoute, comme tous les autres d’ailleurs, que «cela est dû à la pollution de l’eau, de l’air ou de certains aliments». Personne n’a relevé une forte probabilité: la température particulièrement élevée du mois d’août ou un simple changement de climat qui touche même les Libanais établis à l’étranger, une fois qu’ils arrivent dans leur pays natal. Les touristes arabes sont probablement convaincus d’avoir été empoisonnés, parce qu’ils sont choqués par la dégradation de l’environnement, qui a touché leur ancien lieu d’estivage. «Les immeubles poussent partout et l’air est chargé de pollution», disent-ils. Et ceux qui habitent à Broummana de relever que, tous les jours, ils voient «un nuage gris couvrir Beyrouth». «C’est vraiment dommage que le Liban ait changé de cette manière», se plaignent-ils. Ceux qui ont plus de trente ans se souviennent avec nostalgie du Liban d’avant-guerre. Moussa, un Bahreini, qui a quitté le Liban en 1961 après des études à l’AUB et qui passe son premier séjour à Beyrouth depuis 37 ans, donne ses premières impressions. «Quand je suis arrivé au centre-ville, j’ai pleuré». «Certes, je voyais des images de la guerre mais je n’ai jamais imaginé qu’il y avait autant de destructions», ajoute-t-il. Tous les touristes du Golfe indiquent que «la comparaison est impossible entre le Liban actuel et le Liban d’antan». Ils évoquent également avec nostalgie Hammana, Bhamdoun, Sofar et Aley, leurs lieux d’estivage préférés. «Ces endroits étaient connus pour leur verdure et leur air pur», déclarent-ils. «Maintenant, partout au Liban, on ne voit plus que des immeubles, la grisaille du béton, même à la montagne», note Najate, une Séoudienne qui a passé, jusqu’à 1975, toutes ses vacances d’été au Liban. Avec la guerre, elle avait voyagé en Europe, (en Suisse et en France) et aux Etats-Unis. Mariée, elle est au Liban avec son mari, ses quatre enfants et trois employées de maison. L’année dernière, elle est restée au Regency Palace à Adma, cette année elle est au Broummana Palace. Elle attend que la construction de sa maison à Baabdate soit achevée. Le rêve: Une maison au Liban Même s’ils se plaignent beaucoup durant leur séjour, beaucoup de visiteurs rêvent de posséder une maison au Liban. En effet, une grande partie des estivants venus du Golfe n’a pas habité l’hôtel. Certains sont restés dans des appartements meublés, loués au mois. D’autres, ont logé dans leur propre appartement ou dans celui d’un proche. Ces biens immobiliers, achetés pour la plupart en participation avec des Libanais, sont situés essentiellement au Kesrouan (Jounieh, Adma, Zouk), au Haut-Metn (Kornayel), au Metn (Broummana, Baabdate, Beit Mery), à Baabda (Falougha et Hammana) et à Aley (Bhamdoun et Sofar). Pour Najate, posséder une maison au Liban «c’est renouer avec ses souvenirs d’enfance et être entourée de personnes qui parlent sa langue». Cependant, elle considère que, «non seulement l’environnement s’est dégradé, mais aussi la mentalité des gens». Elle choisit ses mots et explique: «Nous comprenons très bien que vous sortez d’une guerre, mais ce n’est pas une raison pour exploiter les touristes». Et d’ajouter «Je peux comprendre un Européen ou un Américain qui nous exploite; cependant, je suis très vexée quand je réalise que les Libanais profitent de cette manière de nous». «C’est vraiment dommage que des Arabes exploitent d’autres Arabes», dit-elle. Pourtant, elle reviendra passer ses étés au Liban car «tous mes souvenirs d’enfance sont là», dit-elle. Sara, sa fille de 17 ans, préfère l’Europe, la France par exemple. Elle déclare que «le Liban est un très beau pays mais on n’y est pas libre». «Ici, je dois toujours être accompagnée d’un garde du corps ou de quelqu’un pour que les gens ne m’abordent pas dans la rue, tandis qu’à Paris personne ne se soucie de moi», dit-elle. Et d’ajouter: «De plus, à Paris, tous les Arabes se retrouvent sur les Champs-Elysées. Au Liban, il n’existe pas un endroit unique pour nous retrouver: il y a Bhamdoun, Broummana et Jounieh». Tous les jeunes touristes venus avec leur famille préfèrent l’Europe et les Etats-Unis au Liban. Ayant passé leurs vacances d’été à l’étranger, ils n’ont aucun souvenir qui les rattache à ce pays du Moyen-Orient. L’Europe est plus belle Une autre Séoudienne, Jawaher, la trentaine, grande et élancée, est couverte de diamants, notamment des pendentifs, trois paires de boucles d’oreilles, et plusieurs bagues. Elle se promène à l’ABC avec ses deux fillettes. Elle aime le Liban «parce que les Libanais sont plus proches des ressortissants du Golfe que les Occidentaux». Elle préfère cependant faire ses courses dans les capitales européennes où «les prix sont moins élevés». Ses deux filles — Adoua 8 ans et Mounira 10 ans — toutes les deux ayant les cheveux en tresses anglaises et vêtues de T-shirt et de bermudas roses préfèrent l’Occident. Adoua raconte: «J’ai été à Dream Land, au Putt Putt, au Magic Land mais je préfère Cannes car on y va tous les jours à la plage». Mounira, qui a particulièrement apprécié la grotte de Jeita, préfère Genève «car il n’y a pas d’embouteillages et j’y vais toutes les années». La dégradation de l’environnement et l’insuffisance de l’infrastructure ne sont pas les seuls points noirs relevés par les touristes arabes. Tous estiment que «les prix sont excessivement élevés». Et ils se sentent arnaqués par les commerçants libanais. Très polis, ils ne veulent pas accuser directement les Libanais de commettre des abus. Ils se plaignent notamment de la taxe de 5% fixée par le gouvernement. Ils ont tous des histoires à raconter: une table réservée à un spectacle de chanson arabe, payée d’avance et donnée à quelqu’un d’autre à leur arrivée au restaurant ou un chauffeur de taxi qui demande 5 dollars de plus pour brancher la climatisation. Un Koweïtien explique la situation sur un ton plaisant. «J’ai tenté en vain de ne pas me faire arnaquer; depuis le début de mon séjour, pour que les commerçants ne sachent pas que je viens du Golfe, je me promène en portant des costumes européens et je tente de parler avec l’accent libanais», dit-il. Bien qu’ils menacent de ne plus remettre les pieds au Liban quand ils évoquent leurs petits déboires, ils ont tous des idées à proposer pour améliorer la situation. Soulignant qu’un «touriste cherche avant tout des espaces verts biens aménagés et des rues propres», un autre Koweïtien — qui estive à Sofar — indique que «les municipalités du caza d’Aley doivent collaborer pour la collecte des ordures, l’éclairage des routes». Il propose également «la publication de nouveaux plans de Beyrouth, mis à jour». D’autres appellent à la construction de complexes d’attractions et de centres de cinémas, «à la montagne» (Broummana et Hammana). La raison en est simple: ils viennent au Liban pour estiver, ils ne comptent pas se rendre tous les jours à Beyrouth, où ils sont confrontés «aux embouteillages et à la chaleur». «Il faut aussi installer la climatisation dans tous les appartements, les hôtels et les restaurants à la ville et à la campagne», indiquent Nadia et Badih, un couple de Koweïtiens, qui effectuent — avec leurs trois enfants et leur employée de maison — leur deuxième séjour au Liban. Depuis qu’ils se sont mariés, ils passent leurs vacances aux Etats-Unis et en Europe (l’Autriche, la France, le Royaume-Uni et la Suisse). A leur arrivée au Liban, ils ont loué une voiture. Et, munis d’une carte, ils ont eux-mêmes cherché un appartement à la montagne. «C’est le meilleur moyen d’économiser de l’argent», expliquent-ils. Pour citer les endroits qu’ils ont visités, Nadia retire un bout de papier de son porte-monnaie et commence la lecture: «La source du Barouk, le casino d’Aley, la grotte de Jeita, le téléphérique, le Dream Land, l’ABC, le Putt Putt, le cinéma Concorde, la Concorde galleria et le centre Dunes». Bien qu’ils estiment que «le Liban soit plus cher que l’Europe», ils ont fait beaucoup d’achats à Beyrouth. Ils se hâtent cependant de préciser que les «prix sont abordables parce que août est le mois des soldes». Ils sentent aussi une certaine insécurité dans le pays. Ils donnent l’exemple de leur employée philippine qui a une cousine au Liban. Quand celle-là a appelé sa cousine, cette dernière lui a conseillée de ne pas prendre le taxi pour venir la voir. «Au Koweït, notre employée de maison se promène seule ou avec les enfants dans n’importe quel taxi», indiquent-ils. Les habitudes des estivants arabes ont changé. Avec la guerre, ils ont quitté le Liban pour l’Europe où, une différente qualité de services leur a été proposée. De retour au Liban, les touristes du Golfe — bien que nostalgiques d’un pays qui les a vu grandir — ne sont pas prêts à accepter une situation où ils s’estiment lésés. De plus, cette nouvelle clientèle, qui a séjourné en Occident, est devenue plus exigeante. C’est bien cette nouvelle clientèle — si une autre forme de service et un environnement propre ne lui sont pas proposés — qui risque de passer ses vacances sous d’autres cieux.
La saison touristique touche à sa fin. Le bilan est généralement positif dans le secteur tertiaire, qui offre principalement ses services, au cours de l’été, aux villégiateurs arabes. Cette année, le chiffre d’affaires des hôtels — durant les mois de juillet et d’août — a augmenté, par rapport à l’année dernière, de 45%. Dans les hôtels situés en montagne, notamment à...