Rechercher
Rechercher

Actualités - CHRONOLOGIE

Après l'exhortation apostolique Les libanais face au chantier de l'avenir Les écueils traditionnels risquent, cependant, de briser l'élan de renouveau national (photo)

L’Exhortation apostolique post-synodale est entre nos mains, avec toute l’autorité morale de l’homme qui la cautionne. Que faire maintenant? C’est la question que beaucoup de Libanais se posent, avec appréhension, redoutant une passivité, ou des difficultés politiques qui réduiraient les orientations de l’Exhortation à rester lettre morte. A bien des égards, c’est un nouveau contrat social et politique que les Libanais sont invités à mettre en œuvre, faute de quoi, la visite du pape finirait par n’être qu’un moment d’enthousiasme, un beau souvenir plutôt qu’une promesse.
Le président de la République a reçu hier, des mains des évêques NN.SS. Roland Aboujaoudé, vicaire patriarcal maronite, et Boulos Matar, archevêque maronite de Beyrouth, sa propre copie de l’Exhortation apostolique. Les deux évêques lui ont également remis deux drapeaux autographiés par le chef de l’Eglise catholique. Ces drapeaux sont destinés à être conservés, l’un à la présidence de la République, l’autre au Musée national. Un troisième drapeau signé par le pape sera conservé à Bkerké. Dans un bref échange avec les journalistes, Mgr Aboujaoudé a annoncé que l’Eglise catholique au Liban va, à présent, lire attentivement le texte de l’Exhortation et confier la mise en œuvre pratique des orientations à des commissions spéciales. «Il s’agit d’un chantier de longue durée«, a-t-il souligné. Cette appréciation correspond à l’intention du pape, qui souligne dans l’introduction du document: «Le synode a inauguré une méthode de travail fondée sur l’écoute attentive de toutes les composantes de la population libanaise en général et des diverses catégories et institutions catholiques en particulier. Poursuivez ce travail et ne considérez surtout pas que le synode est clos avec la publication de cette Exhortation apostolique».
Ce conseil est d’autant plus précieux que, dans certains milieux politiques, on semble vouloir céder à la tentation de vouloir comparer l’Exhortation au message final, notamment sur les trois points du «départ des troupes syriennes», du «pluralisme» et de la «démocratie consensuelle».
Pour certains leaderships chrétiens, en effet, l’Exhortation se situe en retrait, par rapport au message final, qui avait explicitement demandé «le départ de l’armée syrienne», alors que l’Exhortation classe, à côté de «l’occupation menaçante du Liban-Sud», «la présence de forces armées non libanaises sur le territoire», comme l’une des «difficultés actuelles les plus importantes».
Pour le président du Conseil supérieur islamique chiite, cheikh Mohammed Mehdi Chamseddine, en revanche, la présence de l’armée syrienne au Liban est un facteur positif dans la restauration de l’autorité de l’Etat.
Par contre, le «pluralisme culturel» agressivement affirmé par le message final se retrouve, intact, dans l’exhortation apostolique. Parlant de la convivialité, l’Exhortation affirme: «en apprenant à mieux se connaître et à consentir pleinement au pluralisme, les Libanais se doteront des conditions indispensables au véritable dialogue et au respect des personnes, des familles et des communautés spirituelles». Mais en même temps, «pour le dialogue constructif et pour la reconnaissance réciproque, au-delà des divergences importantes entre les religions, il importe de s’attacher à discerner d’abord et avant tout ce qui unit les Libanais en un seul peuple (...)». Une «unité», dit encore un autre passage de l’Exhortation, qui «n’est pas à rechercher dans l’uniformité, mais dans l’amour mutuel».
Troisième pomme de discorde, la «démocratie consensuelle», affirmée doctement dans le message final, disparaît de l’Exhortation apostolique. Par contre, dans un paragraphe du chapitre sur «l’édification de la société», Jean-Paul II écrit clairement qu’«il est souhaitable que se développe un partage équitable des responsabilités au sein de la nation». «Chacun a, de droit, son rôle dans la vie sociale, politique, économique, culturelle, associative, dans la fidélité à ses traditions spirituelles et culturelles, dans la mesure où cela ne s’oppose pas au bien commun et ne met pas en danger la vie nationale», dit-il encore à ce sujet.
Pour peu que se développe à nouveau une polémique à ce sujet, l’élan imprimé par l’Exhortation à la vie religieuse et nationale risque de retomber et de ternir l’espoir d’un Liban meilleur que la visite papale a fait naître au fond des cœurs. Ce risque existe. L’allusion à la «difficulté» que représente la présence des forces syriennes au Liban a indisposé certains milieux. En face, on est prêt à céder au stérile exercice comparatif entre l’Exhortation et le message final, qui risque d’embourber le langage neuf de l’Exhortation dans les méandres d’une polémique dépassée, et d’un clivage politique paralysant.

Un tout indivisible

Or s’arrêter à ces considérations serait d’autant plus injuste que l’Exhortation est un tout dont les parties se complètent. En échange de la réaffirmation de certaines vérités gênantes pour certains, le pape n’a pas manqué de faire preuve d’une extraordinaire exigence à l’égard des catholiques du Liban.
La principale de ces exigences est celle de l’insertion des catholiques du Liban dans l’environnement culturel et humain arabe où ils se trouvent, à la fois présents et envoyés. Cette «solidarité avec le monde arabe» ni figurait pas nettement dans le message final, n’a pas manqué de souligner M. Mohammed Sammak, conseiller du mufti et délégué sunnite au synode. elle est aujourd’hui mise en évidence: «Ouverte au dialogue et à la collaboration avec les musulmans du Liban, l’Eglise catholique veut aussi être ouverte au dialogue et à la collaboration avec les musulmans des autres pays arabes, dont le Liban est partie intégrante».
Citant un texte remontant aux origines du christianisme, la «Lettre à Diognète», le pape affirme: «Dans tous les pays et dans toutes les cultures où ils sont répandus, les chrétiens ne se distinguent des autres hommes ni par le pays, ni par la langue, ni par les coutumes (...) ils se conforment aux usages locaux pour le vêtement, la nourriture et le reste de l’existence, mais en manifestant les lois extraordinaires et vraiment paradoxales de leur manière de vivre».
Pour un chrétien du Liban, éduqué dans le sentiment d’une certaine supériorité culturelle cet appel est extraordinairement difficile à entendre, et encore plus à appliquer. C’est un appel à accepter d’être dépossédé d’une façon de penser sa présence en société. Mais c’est un sacrifice qui peut être fécond, non seulement pour le Liban mais pour les autres pays où vivent chrétiens et musulmans, estime le pape. Ce sacrifice, du reste, est fait en connaissance de cause dans la réaffirmation indiscutable de la part de responsabilité qui revient à chacun dans la vie nationale. plus même, dans l’affirmation que «les droits de l’homme, éléments fondamentaux du droit positif, antérieurs à toute Constitution et à toute législation d’un Etat», doivent être «pleinement respectés, spécialement dans l’administration de la Justice». Et le pape d’ajouter, rassurant, que chaque Libanais doit «retrouver le goût de vivre» au Liban et exhorte les Libanais à «réussir ce défi de la réconciliation».

Au risque de la vie

L’Exhortation du synode sera-t-elle entendue? Encore une fois, c’est au risque de la vie que le synode existe, et avec les aléas de toute existence, ses progrès, et parfois hélas ses régressions. Dans les sphères du pouvoir, on doit saisir cette occasion inespérée d’enrôler dans la vie nationale ceux qui avaient été marginalisés, ou qui s’en étaient écartés par déception.
C’est par le respect des libertés, et non par l’exercice de la force, que l’Etat doit asseoir son autorité, conseille l’Exhortation. De nombreux députés n’ont cessé de conseiller la même chose. Les entorses aux droits de l’homme, à l’équité, à la Justice, à l’égalité de tous devant la fonction publique, doivent cesser. La dilapidation des biens publics, le gaspillage, le clientélisme politique et économique, doivent prendre fin. Le respect de la Constitution, l’indépendance de la Justice, doivent être garantis.
Or il y a lieu de craindre que, sur ces questions, les responsables ne soient pas encore prêts à transiger. A entendre le chef de l’État, la visite du pape était d’abord destinée à prouver au monde que l’embargo sur le voyage des Américains n’est pas justifié. C’est vraiment réduire l’Exhortation à rien.
Les admonestations à l’Exécutif ne manquent pourtant pas. Dans les colonnes de ce journal, M. Fouad Boutros mettait en garde contre la montée d’intégrismes divers qui viendraient «combler le vide» laissé par l’absence de tout projet de société cohérent avancé par l’équipe politique en place. L’Exhortation met en garde contre le même péril.
Nombreux sont ceux qui croient que le Liban n’est pas encore sorti de la guerre. Ou plutôt qu’il n’en est sorti qu’à moitié. Il faut qu’il en sorte complètement. Et l’Exhortation est une puissante incitation à le faire. Fruit d’une réflexion collective s’étalant sur plusieurs années, ses propositions sont réalistes, tout en tenant compte de cette réalité invisible qu’est la grâce du Christ agissant dans les mentalités, à travers le pardon.
Le Liban ne sortira de la guerre qu’en «purifiant sa mémoire» de la guerre, et en écrivant l’histoire exacte. Si l’amnistie est acceptable — c’est l’appellation profane du pardon —, l’amnésie est impardonnable. Le pape des libertés n’est pas venu pour redonner leurs droits aux milices qui ont fait la guerre, mais réconforter une population qui avait défait la guerre par sa patience. Une population découragée aujourd’hui de voir que ce pour quoi elle a résisté, lui est ravi quand même.
Il faut faire confiance au sentiment populaire. Les signes que la guerre n’est pas encore finie, ce sont les menaces qui pèsent sur l’égalité et la communauté culturelle entre les Libanais des communautés différentes. La guerre était la dictature de la violence. Cette dictature se poursuit, elle s’avance tantôt sous le masque de l’économie, tantôt sous celui d’une loi électorale préfabriquée, tantôt sous le masque de la mémoire, quand on cherche à obliger les Libanais à penser d’une certaine façon. La foule massée sur le passage du pape, c’était aussi le «non» à ces facettes d’une guerre multiforme. Il faut empêcher quiconque de récupérer ce «non», car il appartient aux Libanais, à cette «majorité silencieuse» de Libanais. C’est pourquoi il faut écrire l’histoire de la guerre on plutôt du non-dit de la guerre. Pour permettre à la réconciliation de se faire, aux murs de tomber, aux ponts d’être jetés.

F.N.
Fady NOUN
L’Exhortation apostolique post-synodale est entre nos mains, avec toute l’autorité morale de l’homme qui la cautionne. Que faire maintenant? C’est la question que beaucoup de Libanais se posent, avec appréhension, redoutant une passivité, ou des difficultés politiques qui réduiraient les orientations de l’Exhortation à rester lettre morte. A bien des égards, c’est un nouveau...