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Liban - Feuille de route

Mimétismes

« Nous briserons le bras et couperons la langue de celui qui nous met des bâtons dans les roues. » Briser les bras et couper les langues ; en voilà un drôle de lexique pour celui qui préside, depuis 2005, un bloc qui se veut porteur de « changement » et de « réforme ». En tout cas, pour le discours politique (et pas qu'en cela, il faut souligner), ce changement-là s'effectue assurément vers le pire. Déjà que le microcosme politique ne brillait guère par l'originalité de ses rhéteurs ; mais voilà qu'il est devenu nécessaire, depuis un certain temps, de se préparer psychologiquement à l'avance, chaque semaine, à cette dose de haine pour la jouissance de la haine et de destruction pour le simple plaisir de la destruction qui nous est délivrée le lundi après-midi à partir de Rabieh...
Quoi qu'il en soit, il est fort compréhensible que le chef du CPL ne puisse pas tolérer que l'on mette en doute les exploits passés, présents et futurs de son petit protégé, son gendre. Cependant, sur le plan symbolique, il en aura frappé plus d'un que ces propos font étrangement écho à une logique discursive, à une sémantique qui n'est pas tout à fait propre à Michel Aoun.
Certes, par le passé, au glorieux temps où il fallait, selon lui, « placer la Syrie en quarantaine et provoquer l'effondrement du régime syrien » (Baabda 1989-1990), il avait bien affirmé vouloir « briser la tête du président syrien Hafez el-Assad ». La formule intervenait cependant dans le cadre d'une véritable guerre, et le général, assiégé et bombardé ainsi que la population civile des régions chrétiennes, pensait ainsi donner un coup de fouet au moral populaire.
D'une certaine manière, la situation justifiait peut-être l'usage de la violence aussi bien au niveau de la forme que du fond, dans la mesure où le message était porteur chez le général d'une revendication de souveraineté, aujourd'hui jetée aux oubliettes.
Le problème, c'est que le canon a cessé de tonner depuis dix-huit ans, et que toute cette violence morale, dirigée vers l'intérieur du pays, contribue à l'exacerbation de tensions internes qui n'ont pas besoin de grand-chose, on l'a vu, pour éclater. Dans la réalité, les images utilisées par le chef du CPL lundi évoquent celles, parfaitement moyenâgeuses, des responsables du Hezbollah, lorsqu'il est question par exemple de l'avenir de leurs armes.
N'a-t-on pas ainsi entendu, durant ces deux dernières années, des Mohammad Raad, Nawaf Moussaoui, Ali Ammar ou Naïm Kassem affirmer à plusieurs reprises, sur ce ton particulièrement bienveillant et avec cette bonhomie qu'on leur connaît, que le Hezbollah « couperait la main de qui tenterait de toucher aux armes du Hezbollah » ou bien qu'il fallait bien « purifier sa gueule avant de parler de la Résistance » ... ?
Or, coïncidence pour coïncidence, cette déclaration de Aoun intervient au moment où s'ouvrent les « festivités » marquant le troisième anniversaire de la conclusion du document d'entente entre le CPL et le Hezbollah. Comme pour mieux illustrer, sur le registre symbolique, à quel point il est désormais devenu difficile, voire impossible, de dissocier le courant aouniste du parti de Dieu.
Cet état quasi fusionnel entre les deux partis - et il n'y a pas lieu ici d'entrer dans une analyse détaillée des similitudes flagrantes entre les deux formations aussi bien au niveau de la divinisation du chef que des consonances fascistes de leur comportement et de leur discours - a atteint son apogée depuis la guerre de juillet 2006. Et, dans un certain sens, il est tout à fait compréhensible : chaque acteur légitime l'autre, mais, de toute évidence, dans le respect d'une hiérarchie imposée par les rapports de force sur le terrain.
Le CPL aimerait tant faire comme le Hezbollah, c'est-à-dire étendre son contrôle politique étroit sur la quasi-totalité de sa communauté. Il aimerait tant être le seul à s'exprimer et à décider, monopole oblige, au nom de sa communauté - et ce même si ce monopole s'est sans cesse heurté, dans la pratique, à une impossibilité en milieu chrétien, quand bien même le général Aoun a remporté une victoire écrasante sur ses adversaires chrétiens lors des législatives de l'an 2005.
C'est pourquoi le Hezbollah, comme formation et organisation politique et militaire, comme représentation du désir de puissance matérialisé, est objet de désir de la part du CPL. Et, fait nouveau, la fascination opère, côté aouniste, de la même manière par rapport au régime syrien, qui a su, lui, « s'imposer chez lui, s'ériger en seul maître absolu »...
Le fait que le Hezbollah soit objet de désir ; le fait aussi qu'il soit reconnu par le 14 Mars comme l'interlocuteur chiite par excellence en raison de sa puissance martiale, politique et électorale (désir de reconnaissance que le général a toujours recherché auprès de la majorité), contribuent à établir une relation grandissante de mimétisme entre le CPL et le Hezbollah, entre Michel Aoun et Hassan Nasrallah.
Dans la réalité, le Hezbollah réalise le fantasme aounien absolu, celui d'uniformiser politiquement la communauté pour en faire un instrument irréductible de légitimation et de pouvoir, c'est-à-dire celui qui pourrait permettre enfin au général Aoun d'accéder à la présidence de la République, ce rêve ondoyant qu'il couve depuis trois décennies.
Mais certaines symbioses sont dangereuses, puisque le mimétisme, sous le couvert de l'illusion de puissance alimentée par le modèle que l'on souhaite imiter, conduit en réalité à la désintégration totale de l'« imitateur » : Michel Aoun a ainsi perdu tout ce qui fait sa spécificité ; son identité, ses repères, son être même, aussitôt remplacés par le modèle imité... Il suffit, pour s'en rendre compte, de constater comment un courant à l'origine laïcisant a sombré dans une exaltation inouïe des symboles et des représentations communautaires religieuses pour faire comme le parti théocratique par excellence.
C'est aussi dans cette perspective psycho-anthropologique qu'il est possible de comprendre pourquoi l'idée du bloc centriste fait sortir à ce point Michel Aoun de ses gonds.
Lors de son retour d'exil, en mai 2005, il proclamait inlassablement devant ses proches qu'il était rentré au Liban pour se poser en arbitre entre les deux pôles, le 14 Mars et le 8 Mars, qu'il représentait lui-même ce centre politique rassembleur.
C'était là pure logique, pur bon sens, et lui seul, revenu en héros de Paris, transcendé en symbole national de la lutte contre l'occupation syrienne, porté aux nues par les résultats du scrutin de 2005, pouvait aspirer à ce rôle, celui du gardien des valeurs de la République et de la logique de l'État. Un chemin qui l'aurait inexorablement mené à la présidence de la République, et qui aurait eu raison de tous les obstacles dressés pour empêcher ce sacre.
Mais, en dépit du bon sens, et uniquement pour les besoins de la volonté de puissance, le général Aoun s'est écarté du centre et s'est totalement aligné sur une partie contre une autre.
Dans cette optique, il ne peut aujourd'hui que vitupérer contre, mépriser et calomnier ce qui fit et qui fut, un jour, son identité, son projet et sa fonction politique même. Cela pourrait expliquer d'ailleurs pourquoi le programme électoral du CPL de 2005, qui n'a plus grand-chose à voir avec ce que le courant est devenu après son alliance avec le Hezbollah, a été totalement retiré de la circulation ; comme s'il était trop douloureux de fixer son passé quand celui-ci ne correspond plus en rien avec ce que l'on est devenu...
Quand on se renie, on ne l'accepte jamais facilement ; l'oubli pourrait être, dans ce cas, une échappatoire de rêve pour rester sain d'esprit. Le déni et la fureur aussi. Sauf que, dans ce dernier cas, si la fureur aide le chef à sublimer l'état de contradiction qu'il incarne et donc à rester sain d'esprit, ce n'est, fort malheureusement, qu'aux dépens de la raison des siens.
« Nous briserons le bras et couperons la langue de celui qui nous met des bâtons dans les roues. » Briser les bras et couper les langues ; en voilà un drôle de lexique pour celui qui préside, depuis 2005, un bloc qui se veut porteur de « changement » et de « réforme ». En tout cas, pour le...
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