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Diaspora

Haïdar el-Ali, militant courageux de l’océan*

À Diakène, en Basse-Casamance (Sénégal), tout le village est rassemblé pour danser et chanter le début de l'opération de reboisement de la mangrove. Car la Casamance souffre de la disparition progressive de la mangrove. Les témoignages des pêcheurs le prouvent : pour remplir leurs filets, ils doivent aller de plus en plus loin. Les terres cultivables sont également appauvries par le sel.
Haïdar el-Ali, président de l'Océanium, association de protection de l'environnement basée à Dakar, ne l'oublie pas quand il prend la parole : « Ici, il y a vingt ans, les anciens vous diront que l'on ne voyait pas le ciel tellement les arbres étaient nombreux. Ici, il y a vingt ans, les hommes qui partaient en mer revenaient au village avec de gros poissons en abondance. Aujourd'hui, nous sommes tous là pour sauver cet environnement qui meurt. Et nous allons le faire dans plus de cent villages de Casamance. Nous allons replanter ensemble la mangrove pour faire revenir les poissons et protéger du sel les terres où pousse votre riz. Vous verrez toute la générosité que peut donner à nouveau la nature. »
Cette scène s'est reproduite des dizaines de fois pendant des semaines, en Casamance, jusqu'au début du mois de novembre 2008. Pendant l'hivernage, la saison des pluies, 6,3 millions de propagules de palétuviers (Rhizophora) ont été plantées sur quelque 1 260 hectares, à raison de 5 000 plants par hectare. En tout, 110 villages, du nord au sud et de l'ouest à l'est de la Casamance, soit 5 400km2, ont participé bénévolement à cette campagne, représentant plus de 10 000 planteurs.
Haïdar el-Ali a l'accent coloré des gens du Levant, mâtiné d'une touche tropicale. Il a ses racines au Liban, mais il est né au Sénégal, presque par hasard en 1953. Partant de l'ancien protectorat français pour Marseille, ses parents devaient embarquer de la cité phocéenne sur un transatlantique pour l'Amérique. Mais « en débarquant, ils furent très surpris de constater que tous les ‘‘Américains'' étaient noirs... », aime à préciser le grand fils au physique de lutteur.
Engagé dans le combat politique - il est président de la Fédération des partis écologistes et verts d'Afrique de l'Ouest -, M. el-Ali n'oublie pas les actions de terrain. Il a participé notamment à la création d'aires marines protégées, gérées par et pour les populations locales, à l'instar de celle du Bamboung, dans le delta du Saloum, fonctionnant depuis 2004, avant celles de la pointe Saint-Georges, de Casamance ou du cap Manuel.
Haïdar el-Ali a grandi à Médina, quartier populaire de Dakar, et n'oublie pas le jour où, enfant, après s'être perdu sur les hauteurs de la péninsule du Cap-Vert, il se retrouva face à l'océan. Quelques années plus tard, il osa y plonger. « Depuis la première fois où j'ai mis la tête sous l'eau, je crois que je ne l'ai jamais vraiment relevée », précise-t-il.
En 1984, après une formation de plongeur professionnel en France, il devient directeur de l'Océanium, à l'époque uniquement une école de plongée. Il découvre les pratiques désastreuses pour l'environnement maritime, comme la pêche à l'explosif. Dans les années 1990, ses combats environnementaux se multiplient : sensibilisation des populations et lutte contre la surpêche, contre l'exploitation anarchique des forêts, pour la protection d'espèces comme le cymbium, coquillage très prisé dans la cuisine sénégalaise.
 « Un vrai désastre écologique »
Début 2000, en pleine campagne pour l'élection présidentielle, l'affaire de l'Orient-Flower défraie la chronique. Ce cargo, rempli de plus de 100 000 tonnes de produits chimiques, reste des mois au large de Dakar. Soupçonnant un déversement sauvage, M. el-Ali proteste pendant des semaines, jusqu'à ce que les autorités décident de couler le navire à quelque 25 kilomètres de la péninsule du Cap-Vert.
Le 26 septembre 2002, le Joola, ferry reliant Dakar à Ziguinchor, en Casamance, se retourne, avec plus de 2 000 personnes à bord. Le lendemain, M. el-Ali embarque avec des plongeurs en direction de l'épave, espérant sauver quelques personnes prisonnières dans des poches d'air. Du Joola retourné, ils extraient 368 corps. « La gestion du naufrage a été une seconde catastrophe », se souvient-il.
M. el-Ali ne compte plus les menaces et les tentatives musclées d'intimidation. Preuves que sa parole porte loin : « Ici, les politiques ne sont pas à la hauteur des questions environnementales. Beaucoup sont corrompus et sans aucune valeur morale. » (www.oceanium.org ).

Olivier HERVIAUX

*Article publié dans le Monde du 7 janvier 2009
 Voir notre édition du 19 novembre 2007 sur Ibrahim el-Ali, frère de Haïdar : http://fondation-elali.blogspot.com - Liban, écologie, biodiversité)
À Diakène, en Basse-Casamance (Sénégal), tout le village est rassemblé pour danser et chanter le début de l'opération de reboisement de la mangrove. Car la Casamance souffre de la disparition progressive de la mangrove. Les témoignages des pêcheurs le prouvent : pour remplir leurs filets, ils doivent aller de plus en plus...