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Diaspora - INTERVIEW

Un demi-million d’émigrés libanais parfaitement intégrés en Colombie

L’ambassadrice Georgine Mallat revient sur l’origine et l’actualité des liens entre les deux peuples
La Colombie, pays des émeraudes et du café, a attiré depuis la fin du XIXe siècle, à l’instar des autres pays d’Amérique latine, de nombreux candidats libanais à l’émigration. L’ambassadrice de ce pays au Liban, Georgine Mallat, estime leur nombre – tout en notant l’absence de statistiques fiables – à 400 000 ou 500 000 personnes aujourd’hui. Dans une interview à L’Orient-Le Jour, Mme Mallat revient sur l’attachement de ces émigrés colombiens à leur pays d’origine, sur l’état actuel des relations et sur les efforts de l’ambassade pour promouvoir les liens culturels et commerciaux.
« Ma famille a émigré en Colombie depuis avant la Première Guerre mondiale, et ce pays me tient à cœur, précise d’emblée Mme Mallat qui, bien qu’ayant vécu le plus clair de sa vie au Liban, a été nommée consul honoraire depuis plus de douze ans et ambassadrice depuis quatre ans et demi. J’ai fait ce travail de tout cœur, parce qu’une partie de moi et de ma famille est en Colombie, j’ai grandi avec l’idée de ce pays que j’ai visité fréquemment. »
Mme Mallat raconte que, lors de ses multiples voyages, elle n’a eu aucun mal à s’intégrer à la colonie des Colombiens d’origine libanaise. « Même ceux qui ne sont jamais venus au Liban me faisaient part de leur désir de le faire, se souvient-elle. J’ai remarqué qu’ils ont tous gardé des éléments de leur culture d’origine, surtout sur le plan gastronomique et musical. Certaines recettes de plats libanais se transmettent de mère en fille. »
L’ambassadrice a même cristallisé sa vision des échanges entre les deux pays dans un roman à trame historique, L’émeraude était bleue, qui retrace le parcours d’un émigré libanais qui connaît une grande réussite dans le domaine économique, alors que son fils s’illustre dans la politique. Pour elle, ce schéma s’est souvent réalisé en Colombie. « Je ne peux dire que tout le monde a aussi brillamment réussi, mais le Libanais a su s’intégrer dans la société, a fait preuve de persévérance et de pragmatisme dans le travail, notamment dans le secteur de l’économie et du commerce », précise-t-elle.
Pour mieux s’intégrer, justement, les Libanais qui débarquaient en Colombie (depuis les années 1870) ont souvent traduit leurs noms de famille en espagnol. Ils se sont parfois mariés avec des Colombiens. « Les premiers Libanais ont instauré l’idée du colportage, et leur activité a conduit à une baisse des prix très appréciée par les Colombiens », explique Mme Mallat. Elle cite un article publié en décembre 2006 dans la revue colombienne Semana, écrit par le chercheur Joachin Viloria de la Hoz, se fondant lui-même sur un article paru au début du siècle dernier sur les Libanais, et qui mettait en évidence l’apport de la colonie libanaise dans le commerce.
Pourquoi la Colombie ? « Les premiers Libanais qui sont partis en Colombie ont laissé derrière eux, dans leur pays d’origine, l’occupation ottomane, rappelle-t-elle. Ce qu’ils ont trouvé en Colombie, c’est une atmosphère de liberté, de démocratie. Ce pays, depuis 1886, avait déjà un système républicain sur base d’une démocratie représentative, un système qui n’a toujours pas changé. Bogota était appelé la nouvelle Athènes. Les Libanais avaient aussi besoin de nouveaux horizons économiques, ce que ce pays, immense et agricole, doté de grandes richesses naturelles, leur a offert. Il y a aussi beaucoup de ressemblance entre les deux peuples : chaleur humaine, hospitalité, finesse. »
Les mondes du textile, du commerce, de l’agriculture et puis de la politique ont ouvert leurs portes aux immigrants libanais, parfois dès la première génération. Mme Mallat cite particulièrement la famille Torbey, avec le sénateur Gabriel Torbey dès les années 1930, candidat à la présidence de la République, suivi du président César Torbey, qui a dirigé la Colombie de 1978 à 1982. Elle évoque par ailleurs le cas très frappant d’un grammairien anthropologue colombien, nommé Ezechiel Uricoecchea, qui a vécu et est mort au Liban dans les années 1880. Il a traduit la grammaire arabe dans sa langue.
L’ambassadrice rappelle que des personnalités colombiennes d’origine libanaise ont été reçues au Liban, comme Suleima Hatem, alors présidente du Parlement colombien, venue à la tête d’une grande délégation. Le président du Sénat colombien, à la tête d’une délégation de sénateurs d’origine libanaise, a également fait le déplacement en 2004.

« Tous les émigrés ne s’inscrivent pas au consulat »
Parmi ces centaines de milliers de Colombiens d’origine libanaise, pourquoi si peu sont-ils intéressés à s’inscrire ou inscrire leurs enfants au consulat ? Cela représente-t-il un quelconque intérêt à leurs yeux ? « Comme partout ailleurs, les émigrés ne prennent pas tous l’initiative de s’inscrire au consulat, mais cela ne signifie pas qu’ils se sentent moins Libanais, répond-elle. Même s’ils souhaitent le faire, d’ailleurs, cela ne s’avère pas toujours facile. Le pays est immense (1,2 million de kilomètres carrés). L’ambassade et le consulat sont à Bogota. Cela n’empêche que tous veulent revoir le pays de leurs ancêtres, mais ils en ont souvent été empêchés par la situation politique tendue et les guerres. Pour eux, même parfaitement colombiens, un tel voyage représente un retour aux sources. »
Mme Mallat souligne que beaucoup d’hommes d’affaires auraient aimé entreprendre des contacts professionnels avec le Liban et qu’ils ont été très bien reçus par les officiels lors de leurs visites, mais que les obstacles à de tels projets ne sont pas levés pour autant. « Parfois la distance ne facilite pas les relations commerciales, pour les deux parties, libanaise et colombienne », dit-elle.
À la question de savoir ce que les autorités libanaises devraient faire pour rapprocher ces communautés lointaines de leur pays d’origine, Mme Mallat précise avoir abordé avec les responsables à plusieurs reprises la question de faciliter l’obtention de visas quand l’origine libanaise peut être démontrée. « C’est à l’étude », assure-t-elle. Elle ajoute : « Les autorités nous facilitent par ailleurs la promotion d’activités en relation avec la Colombie, la culture et le commerce de ce pays. En 2006, une rue a été baptisée “République de Colombie” au centre-ville de Beyrouth. »
Mme Mallat ajoute que les activités culturelles pour promouvoir la Colombie au Liban se poursuivent avec des expositions d’artistes colombiens, des concerts de groupes colombiens, un défilé de mode d’une grande styliste, un Festival de cinéma… « Actuellement, il y a un accord de promotion culturelle signé entre le Liban et la Colombie, poursuit-elle. Il lui manquait un programme précis et exécutif, et il vient d’être approuvé par le gouvernement de la Colombie. J’espère pouvoir le concrétiser bientôt. »
La Colombie, pays des émeraudes et du café, a attiré depuis la fin du XIXe siècle, à l’instar des autres pays d’Amérique latine, de nombreux candidats libanais à l’émigration. L’ambassadrice de ce pays au Liban, Georgine Mallat, estime leur nombre – tout en notant l’absence de statistiques...