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Culture - Hommage

Wadad Halawani, cette « fourmi qui creuse dans la pierre » au service des disparus de la guerre du Liban

Une pièce de théâtre diffusée par l’Institut arabe pour les femmes (AIW) et mise en scène par Lina Abyad relate le combat de l’épouse de Adnane Halawani, enlevé en septembre 1982, à Ras el-Nabeh par deux individus armés et porté disparu depuis. 

Wadad Halawani, cette « fourmi qui creuse dans la pierre » au service des disparus de la guerre du Liban

Sur les planches de l'Irwin Hall, après la représentation, l'activiste Wadad Halawani et les deux acteurs qui ont incarné son personnage et la voix off de son époux disparu, Christine Chouéri et Ibrahim Khalil. Photo A.M.H.

« Nous avons mis 36 ans à obtenir le droit de connaître le sort des disparus de la guerre. Faut-il 36 autres années pour que la loi soit appliquée ? » Ce cri du cœur lancé par Wadad Halawani résume le combat titanesque qu’elle a mené après l’enlèvement de son époux Adnane en 1982, pour que les autorités se penchent sur la cause des disparus de la guerre civile libanaise (1975-1990).

Après plusieurs essais infructueux, la loi 105 est enfin adoptée en 2018 accordant aux familles « le droit de savoir » et la création d’une commission nationale indépendante chargée du dossier. Mais les choses n’avancent pas vraiment, ou si peu.

Mardi, ce petit bout de femme, devenue par la force du destin, une icône de la cause des personnes disparues et kidnappées au Liban, était à l’honneur de l’Institut arabe pour les femmes (AIW) à l’Université libano-américaine de Beyrouth (LAU). Une pièce de théâtre intitulée « Wadad, une fourmi qui creuse dans la pierre », a relaté la vie de cette mère, épouse et enseignante, devenue militante… ce deuil impossible sans preuves, sa détermination à ne pas baisser les bras, malgré le désespoir et le découragement, parfois, comme les proches des 17 000 disparus du funeste conflit libanais, toutes confessions et appartenances confondues.

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« Nous avons arraché le droit de connaître le sort des disparus et kidnappés de la guerre du Liban. Mais il reste tant à faire. Nous vivons au-dessus de fosses communes, synonymes de crimes de guerre. Et l’État ne nous donne pas les moyens d’avancer », indique-t-elle à L’Orient-Le Jour, dénonçant l’inertie des autorités sur la question, alors que les familles des disparus réclament inlassablement un budget conséquent, des recherches, des indices, des tests, des résultats. « Les seigneurs de la guerre qui ont kidnappé et massacré sont devenus députés, ministres et plus même », rappelle-t-elle à l’assistance, parmi laquelle la députée Halimé Kaakour, ainsi que nombre de militantes et militants des droits de l’homme.

Dotée d’un budget annuel de trois milliards de livres libanaises (33 500 dollars), la commission indépendante nationale chargée du dossier des disparus du conflit libanais, créée en 2020 et dont le mandat vient à échéance le 10 juillet prochain, ne dispose ni de moyens financiers suffisants ni d’un local. « Nous avons quand même mis les bases, grâce aux aides d’agences internationales et d’activistes locaux », tempère Mme Halawani.

Le dialogue entre une femme et son époux disparu

Sur scène, Wadad Halawani, incarnée par l’actrice Christine Chouéri, s’adresse à Adnane, enseignant comme elle, enlevé à leur domicile à Ras el-Nabeh, au cœur de Beyrouth, le 24 septembre 1982 en plein jour, par deux individus armés qui se sont faits passer pour des agents officiels. « J’ai bien tenté de les en empêcher. Ils pointaient leurs armes sur tes tempes. Ils m’ont montré leurs papiers soi-disant officiels, m’ont dit qu’ils avaient besoin de toi cinq minutes pour enquêter sur un accident de la route. J’ai enregistré la plaque d’immatriculation de leur voiture, une Peugeot 404, mais il s’est avéré qu’elle était fausse. J’ai remué ciel et terre pour te retrouver. J’ai frappé aux portes de tous les responsables officiels. Mais tu n’es jamais rentré », dit-elle. En voix off, incarnée par l’acteur Ibrahim Khalil, son époux lui répond. La souffrance de Wadad est poignante. Aussi intense que l’amour qu’elle porte au père de ses deux garçons, Ziyad et Ghassan, très jeunes à l’époque. Ces enfants à qui elle cache la vérité pour les protéger. « Je leur disais que tu étais en voyage », avoue-t-elle.

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Le combat de Wadad prend une autre dimension lorsqu’elle réalise que seule, elle n’y arrivera jamais. Grâce à une radio locale, elle réunit alors d’abord 200 familles qui sont à la recherche d’un proche, kidnappé ou disparu durant le conflit. À force de mobilisations, « nous avons réussi à nous faire entendre. Nous avons été reçus par le Premier ministre Chafic Wazzan », lâche-t-elle. Mais les résultats ne sont pas à la hauteur des attentes. En 1995, une loi sur les disparitions forcées est adoptée par les autorités libanaises, stipulant que toute personne disparue pendant quatre ans peut être déclarée morte par sa famille. Le choc est immense. Wadad Halawani se résigne à porter le deuil. Sa détermination n’en est que plus forte. Elle fonde le Comité des familles de disparus au Liban.

L'appel à signer la pétition destinée à pousser les autorités à activer le dossier des disparus de la guerre.

Le parcours d’une femme d’exception 

Pour la directrice de l’AIW, Myriam Sfeir Murad, la décision de raconter sur les planches la souffrance de Wadad Halawani était une évidence. « La cause des disparus de la guerre a transcendé les divisions religieuses, nationales et partisanes. Elle a fédéré les familles de disparus d’où qu’elles viennent. » Le projet a été financé par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) avec l’ambassade du Canada et ONU Femmes dans le cadre du Fonds de leadership féminin. « Wadad Halawani est un formidable exemple de leadership féminin », souligne Mme Sfeir Murad.

Mettre en scène le parcours de cette femme d’exception n’a pourtant pas été de tout repos pour la metteure en scène et activiste, Lina Abyad. « J’ai mis deux bonnes années à préparer cette pièce », avoue-t-elle. Après une trentaine de rencontres avec Wadad Halawani, elle a trouvé évident de mettre l’accent sur trois aspects du personnage, son histoire d’amour avec son époux, sa recherche de cet homme disparu, et enfin la colère qu’engendre la léthargie des autorités face à une telle situation. « Je voulais que les spectateurs touchent du doigt l’absence insupportable d’une personne dont les proches ne savent plus rien. Qu’ils comprennent que la recherche devient une obsession, explique Lina Abyad. Je voulais aussi que les spectateurs sortent en colère contre cet État corrompu qui, à travers les ans, a occulté la douleur des familles et insulté la mémoire des disparus. »

Parce que les familles des personnes disparues ont le droit de connaître le sort de leurs proches, Wadad Halawani a lancé une pétition nationale avec un groupe de militants baptisés Forum civil.

La pièce se joue les 11, 12 et 13 juin à 20h30 à l’Irwin Hall de la LAU, ainsi que les 14 et 15 juin à Beit Beirut, Sodeco, à la même heure. Entrée libre.

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