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Traiter Israël comme un État paria


Il faut lire les mots de Jean-Pierre Filiu décrivant avec une précision chirurgicale, sans jamais chercher à alimenter la surenchère, ce qu’Israël fait à Gaza. Son livre, Un Historien à Gaza (Les Arènes), raconte ce que nous disent les survivants de l’enclave depuis plus de dix-huit mois et ce que toute personne un tant soit peu honnête et intéressée par le sujet a compris depuis fort longtemps : cette guerre est la tache noire de notre époque, le dernier clou dans le cercueil de l’ordre libéral international et le laboratoire de notre renoncement collectif à défendre l’utopie d’un autre monde.

C’est l’angle mort qui, faute d’avoir été traité, a fini par dévorer tout le reste. Laissons aux gardiens du droit international le soin de qualifier juridiquement ce qui s’y passe et de trancher s’il s’agit ou non d’un génocide. Ce débat a déjà pris trop d’espace et fait perdre de vue l’essentiel : à partir du moment où la Cour internationale de justice a évoqué, en janvier 2024, un « risque plausible de génocide », que les dirigeants israéliens assument pleinement leur intention de rendre la vie impossible à Gaza, qu’ils joignent les actes à la parole en affamant la population, en détruisant toutes les infrastructures publiques et en tuant de façon indiscriminée civils et combattants sous prétexte de combattre le Hamas, toute personne, physique ou morale, se prétendant ne serait-ce que concernée par le droit international aurait dû tout mettre en œuvre pour l’arrêter. Tout le reste n’est que littérature…

Parce qu’il est écrit par un homme qui n’a jamais perdu sa boussole, qui a compris que les destins de Gaza et de l’Ukraine étaient intimement liés, un historien rigoureux qui connaît parfaitement le Moyen-Orient et qui ne s’est jamais laissé aller à une forme de mythification du Hamas et de l’autoproclamé « axe de la résistance », le témoignage de Jean-Pierre Filiu est particulièrement précieux. Il intervient à un moment où les consciences occidentales commencent à se réveiller, et participera peut-être à accélérer ce processus.

Car si l’on peut se réjouir de ce réveil, force est de constater qu’il est non seulement tardif, mais surtout timoré et incomplet. Quel fut d’ailleurs son élément déclencheur ? La prise de conscience de la nature du projet israélien à Gaza ? La peur de se retrouver du mauvais côté de l’histoire, ou même pire d’être tenus comme coresponsables de cette tragédie ? La marginalisation de la « question iranienne » qui rend la dimension géopolitique plus simple à appréhender ? Nous ne parvenons pas à comprendre l’origine de cette bascule, réelle ou cosmétique. Elle est en tout cas insuffisante, pour au moins trois raisons.

La première, c’est qu’elle est d’ordre humanitaire et non politique. Il y a bien sûr une urgence humanitaire à traiter, mais cela ne peut être l’alpha et l’omega du discours occidental. Si Israël acceptait demain de fournir toute l’aide nécessaire aux Gazaouis, cela ne changerait pas pour autant le cœur du problème, qui est la négation de toute prétention palestinienne à exister politiquement. Le 7-Octobre est aussi la résultante de cette négation. Tant que les Occidentaux ne le comprendront pas, l’impasse restera totale.

La deuxième est liée au fait que, contrairement à ce que semblent penser les responsables occidentaux, le problème dépasse très largement Benjamin Netanyahu et son gouvernement d’extrême droite. Si un autre leader prenait le pouvoir demain, peut-être aurait-il une relation plus saine avec les Occidentaux, peut-être aurait-il un langage plus policé, et peut-être apaiserait-il en partie les tensions qui minent la société israélienne en interne, mais rien ne permet de penser qu’il mènerait, sur le fond, une politique tellement différente vis-à-vis des Palestiniens. Benjamin Netanyahu est le problème numéro un des Israéliens. Mais ce n’est pas celui des Palestiniens. Il n’a fait que pousser à son paroxysme un processus d’effacement d’un peuple qui le précède et qui lui succédera probablement. Sa politique à ce niveau-là est d’ailleurs soutenue au-delà des franges de l’extrême droite, tandis qu’aucun de ses adversaires n’évoque la nécessité de créer un État palestinien. Le discours anti-Netanyahu, bien que nécessaire, alimente, au mieux, une forme de cécité sur l’évolution de la société israélienne au cours de ces dernières décennies.

La troisième tient au fait que les actes ne suivent malheureusement pas les mots. Le durcissement s’accompagne de menaces mais pas de sanctions. Or cette politique d’entre-deux est doublement improductive. D’une part parce que Israël perçoit la moindre critique contre lui comme un acte de traîtrise qui remet en question tout le reste. D’autre part parce que cette approche « équilibrée » ne permet pas d’avoir le moindre levier de pression sur l’État hébreu.

Aussi les Occidentaux, plus particulièrement les Européens, doivent-ils faire un choix. Soit considérer qu’Israël est leur allié stratégique, pour de multiples raisons, fermer les yeux sur la situation à Gaza et arrêter de prétendre défendre la solution à deux États, qu’ils savent impossible à mettre en œuvre en raison de la colonisation de la Cisjordanie. Soit estimer que le règlement de la question palestinienne et la défense des principes dont ils se réclament sont plus importants pour eux que cette alliance et se donner les moyens de peser dans le débat. C’est-à-dire traiter Israël, en raison de ce qu’il fait, comme un État paria. Et lui parler le seul langage qu’il comprend à l’instar de tous les autres prédateurs : celui du rapport de force.

Il faut lire les mots de Jean-Pierre Filiu décrivant avec une précision chirurgicale, sans jamais chercher à alimenter la surenchère, ce qu’Israël fait à Gaza. Son livre, Un Historien à Gaza (Les Arènes), raconte ce que nous disent les survivants de l’enclave depuis plus de dix-huit mois et ce que toute personne un tant soit peu honnête et intéressée par le sujet a compris depuis fort longtemps : cette guerre est la tache noire de notre époque, le dernier clou dans le cercueil de l’ordre libéral international et le laboratoire de notre renoncement collectif à défendre l’utopie d’un autre monde.C’est l’angle mort qui, faute d’avoir été traité, a fini par dévorer tout le reste. Laissons aux gardiens du droit international le soin de qualifier juridiquement ce qui s’y passe et de trancher s’il...
commentaires (22)

Etat paria parce qu'état voyou : merci à l'occident d'avoir enfanté ce monstre !

Politiquement incorrect(e)

20 h 26, le 08 juin 2025

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Commentaires (22)

  • Etat paria parce qu'état voyou : merci à l'occident d'avoir enfanté ce monstre !

    Politiquement incorrect(e)

    20 h 26, le 08 juin 2025

  • Que d’arguments ‘’sont liés au fait que’’, et je lis : ‘’La peur de se retrouver du mauvais côté de l’histoire’’. C’est une question de positionnement, alors. Quand je lis l’éditorialiste en chef d’un autre quotidien francophone, que son pays ‘’se remet du bon côté de l’histoire’’ (c’est le titre de son édito) c’est que le poids des pays qui se mettent du bon côté est tellement significatif pour régler la question palestinienne avant l’Ukraine, et l’Irlande du Nord. Se mettre du bon côté, c’est se laver les mains, et comme chacun sait, entre l’Europe et le Moyen-Orient, il y a assez d’eau.

    nb

    11 h 00, le 06 juin 2025

  • Etat palestinien, la nouvelle fiction. Mais cet Etat sera créé sur quel territoire ? Où sera fondé l’Etat Palestinien ? En Cisjordanie, l’autre territoire israélien, (à voir le nombre de colonies) d’aucuns vous diront Cisjordanie, c’est Israël bis. Si les Palestiniens vivront dans leur Etat à côté des colons, c’est qu’ils auraient pu vivre paisiblement (Arabes et Juifs) depuis la nakba ! Après l’extermination des Gazaouis, la construction de nouvelles tours, que dis-je des gratte-ciel pour y loger quels ‘’touristes’’, devinez.

    nb

    10 h 34, le 06 juin 2025

  • Un Etat paria, mais il n’est pas le seul, et alors ? Ces mots qui ne veulent rien dire, comme par exemple de la bouche d’une célèbre journaliste parisienne (elle n’est pas d’origine française) d’un ‘’Etat croupion’’ à propos du malheureux Liban. Croupion, paria, et entre les deux une zone de non-droit, (jusqu’à nouvel ordre), un véritable théâtre de guerre. Etat paria ne veut rien dire, quand il est reconnu par la communauté internationale.

    nb

    10 h 10, le 06 juin 2025

  • On a dit : pas de censure, donc pas de censure. Le second message est publié avant le premier, c'est que la modération vérifie ma publication.

    nb

    10 h 10, le 06 juin 2025

  • Les occidentaux, toujours les occidentaux, rien que les occidentaux. Ils peuvent agir sur qui ? Sur l’Afrique, qu’elle soit du Nord ou du Sud, sur le ‘’Middel East’’ ? Un article de Filiu sur deux pages dans un journal parisien qui paraît l’après-midi (je ne peux pas le nommer par crainte de censure, pardon, par refus de publication de la modération). La lecture de l’article de Filiu donne froid au dos. Mais, seuls peuvent parler, sont ceux qui ont prédit l’attaque du Hamas d’octobre 2023. Décrire le spectacle de la désolation, c’est faire de la littérature.

    nb

    10 h 00, le 06 juin 2025

  • Samrani écrit : ''C’est-à-dire traiter Israël, en raison de ce qu’il fait, comme un État paria. Et lui parler le seul langage qu’il comprend à l’instar de tous les autres prédateurs : celui du rapport de force''. Vous êtes sérieux ?

    nb

    09 h 52, le 06 juin 2025

  • Merci ??

    Pat Man

    11 h 40, le 04 juin 2025

  • Grand merci Antony pour ces mots sur les maux. Chez nous en France, pays des droits de l'homme, comble de honte et de déni, a eu lieu le 27 mai un gala (autorisé par le préfet Laurent Nunez malgré les demandes d'annulation) en soutien à Tsahal, ou les participants, fine fleur de l'extrême droite française, ont participé à un petit quizz sur le nombre de morts à Gaza....Le gouffre de l'abjection et de la lâcheté n'ont pas de fond....

    Axelle Motte

    16 h 27, le 03 juin 2025

  • It’s been a long time coming. It’s about time to impose harsh sanctions on Israel and an arms embargo to cripple their economy. That’s the only language they can understand.

    Mireille Kang

    15 h 53, le 03 juin 2025

  • Ce réveil tardif est encore plus éloquent sur la complicité de l'occident que son silences pendant les 18 mois précédents. Ces pays ont à jamais perdu toute crédibilité.

    Politiquement incorrect(e)

    15 h 25, le 03 juin 2025

  • Desolé de m'inscrire en faux avec cet article et tous les commentaires ci-dessous : Israel se drappe de son "bon droit" a liberer ses otages enlevés par un groupe unaniment reconnu comme terroriste mais qui jouissait jusqu'a tout recemment d'une immense popularité parmi les 2 millions de Gazaouis. l'amalgame est vite fait entre la population et le Hamas et tant qu'Isreal aura des otages a Gaza, il sera tres difficil de le condamner. Encore moins de le tourner en un Etat pariah. Et quand le dernier otage sera livré Gaza sera une terre invivable. Probablement pour toujours.

    Lebinlon

    12 h 39, le 03 juin 2025

  • "....;Le 7-Octobre est aussi la résultante de cette négation. Tant que les Occidentaux ne le comprendront pas, l’impasse restera totale......" ou ne veulent pas l'admettre. Très belle analyse. Merci

    Antoun Souhaid

    11 h 29, le 03 juin 2025

  • Au delà de la tragédie de Gaza, il faudrait structurellement, protéger les palestiniens des exactions israéliennes en continues… peut être qu’il faudrait même protéger les juifs des israéliens. Par tous les moyens. Le projet britannique initialement, puis européen et nord américain et des gouvernants arabes d’ancrer un état ethno centré « juif » dans notre région, s’est avéré être une catastrophe pour palestiniens bien sûr mais aussi pour tous les peuples et pays limitrophes, politiquement, économiquement, socialement et culturellement. Une catastrophe. La « Nakba » a plusieurs dimensions.

    Sphinx

    11 h 03, le 03 juin 2025

  • On n’arrive pas à transférer l’article grâce a la touche dédiée à cet effet.

    Irene de Santa Ana

    10 h 42, le 03 juin 2025

  • Qu'ils le veuillent ou pas, et les déclaration n'y feront rien, le monde est complice de ce massacre, y compris les Russes et les Chinois. Le silence est probablement monnayé dans les méandres sombres de la politique. Nous vivons dans un monde cynique où la valeur humaine est enterrée au profit de l'argent et de la folie des hommes politiques. Et ceux rares qui osent sont traités de traitres dès qu'ils s'opposent à un système qui gouverne ou qui a la force des armes quelque soit le pays. Ils sont marginalisés ou assassinés ... Cela touche gaza et toutes les guerres mais aussi l'écologie etc

    Zeidan

    09 h 47, le 03 juin 2025

  • Tout a fait . “ Elementaire mon cher Watson”! Malheureusement pour notre pays et pour notre region…

    Madi- Skaff josyan

    09 h 01, le 03 juin 2025

  • Ce n'est pas que les occidentaux ne savent pas ce qui se passe mais qu'ils ne veulent pas le reconnaître pour plusieurs raisons. Ils se trouvent maintenant devant un dilemme et ne savent pas s'en sortir. Les Etats Unis sont mêmes loin d'être a se demander s'il y'a génocide ou pas ou s'il faudra considérer l'option de deux etats. L'ambassadeur Américain en Israël a été clair sur ce sujet en répondant à Macron il y'a quelques jours en disant que la France devrait installer les Palestiniens sur la Côte d'Azur.

    Ma Realite

    08 h 42, le 03 juin 2025

  • Tout à fait d'accord avec l'analyse. Mais traiter Israel comme un prédateur et installer un rapport de force est malheureusement impossible, et cela dû à Yom Kippour et le 7 Octobre, qui ont démontré la grande vulnérabilité d'Israel. Vu l'historique l'antisémitisme, les européens ne peuvent pas se permettre de mettre Israel à nu.

    E G

    08 h 05, le 03 juin 2025

  • bravo, c'est exactement cela.

    Pour un Liban libre et laïc

    07 h 28, le 03 juin 2025

  • Compliments pour un texte lucide. Enfin, certains médias Arabes se réveillent pour dénoncer l'effroyable sort des Palestiniens. Cela fait depuis 1948 que ce peuple vit tragédie après l'autre. Paradoxalement, le sort des Palestiniens, à qui on montre compassion dans le texte, semble être étroitement lié au sort de cet axe de la résistance, qu'on ne cesse de critiquer. Notamment du Hizbollah, qu'on qualifie tous les jours des pires attributs. Dans un Islam qui compte plus d'un billion d'adeptes Sunnites, on laisse la sale besogne aux Shiites, les seuls à vouloir combattre le zionisme extrême...

    Raed Habib

    06 h 57, le 03 juin 2025

  • Israel est l’état de Dieu ou du diable ?

    Eleni Caridopoulou

    01 h 01, le 03 juin 2025

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