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Société - Entretien exclusif

Au Liban, les élèves du public ont au moins trois ans de retard, révèle la ministre de l’Éducation

Trois mois et demi après sa prise de fonctions, Rima Karamé a accordé à « L’Orient-Le Jour » sa première interview exclusive. 

Au Liban, les élèves du public ont au moins trois ans de retard, révèle la ministre de l’Éducation

Un élève dans une salle de classe d'un établissement scolaire à Beyrouth. Photo d'archives Joseph Eid/AFP

Les défis de l’éducation au Liban sont immenses dans un contexte de crise économique, déclenchée en 2019, et du récent conflit entre le Hezbollah et Israël. Travaillant sur plusieurs fronts avec la volonté d’entraîner le changement, la ministre de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, Rima Karamé, également professeure associée à l’Université américaine de Beyrouth, spécialisée en gestion de l’éducation et dans les politiques éducatives, reste concentrée sur ses objectifs : réhabiliter l’école publique et relever le niveau de l’éducation. Trois mois et demi après sa prise de fonctions, le 8 février 2025, elle accorde à L’Orient-Le Jour sa première interview exclusive.

Au début de votre mandat, vous avez annoncé votre objectif principal de redonner vie à l’école publique et de préparer les réformes. Avez-vous avancé sur ce point ?

J’ai identifié trois priorités : les pertes d’apprentissage des élèves depuis la pandémie de Covid-19, l’informatisation et le renforcement de l’administration, ainsi que le dossier des enseignants et directeurs du public, cadrés et contractuels.

J’ai dû d’abord obtenir une vue d’ensemble du secteur de l’éducation, m’informer sur les fonctions du ministère, ses services, les défis de ses travailleurs, depuis l’école jusqu’à ses partenaires étrangers. Pour m’engager dans des réformes, il était aussi important de voir la mise en application des textes et législations. J’ai désormais suffisamment d’informations pour me lancer, avec le souci de ne pas empirer un problème, mais de partir d’un point stratégique susceptible d’entraîner une spirale de changement.

Quelle stratégie pour pallier les pertes d’apprentissage des élèves ?

Les élèves de l’école publique du Liban ont au moins trois ans de retard, selon la Banque mondiale. Identifiées durant la pandémie, les pertes d’apprentissage ont été exacerbées par les crises multiples qui se sont succédé au Liban depuis 2019, dont les répercussions ont été plus importantes pour l’école publique que privée, en raison notamment des grèves d’enseignants ou du manque d’équipements et de compétences pour l’apprentissage à distance.

Pour mieux connaître ces lacunes, nous organisons en ce moment des épreuves écrites et orales en arabe, français ou anglais, et mathématiques dans toutes les classes de l’école publique de la onzième à la sixième (EB1 à EB6). Nous mettrons ces examens à la disposition des écoles privées. Nous posons en parallèle les bases pédagogiques, notamment sur le cursus, pour améliorer le niveau de l’éducation et compenser les pertes d’apprentissage. Nous espérons trouver un financement auprès de nos partenaires internationaux.

Comment comptez-vous traiter l’épineux dossier des contractuels de l’école publique ?

Ce dossier remonte à une bonne décennie durant laquelle l’État n’a pas effectué de nominations, ni d’examens d’entrée dans le cadre, ni respecté les modalités d’embauche voulues par la loi, par le Conseil de la fonction publique ou par les besoins du marché. Les contractuels ont été embauchés à profusion et de manière provisoire, pour des raisons politiques et clientélistes. Certaines écoles ont aujourd’hui plus d’enseignants que d’élèves. Le pire, c’est qu’il y a plusieurs formes de contractuels (sous contrat avec le ministère, avec la caisse de l’école, avec la caisse des parents, avec les caisses sociales des régions éducatives…).

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Dans l’enseignement de base (primaire et complémentaire), où quasiment 80 % des enseignants sont contractuels, c’est le chaos. Dans l’enseignement secondaire, qui compte 75 % de cadrés, la situation est moins problématique (selon les chiffres fournis par le ministère, l’école publique compte au total 15 809 enseignants contractuels et 8 930 cadrés. Elle compte de plus 8 165 contractuels payés par les organismes internationaux pour la scolarisation des élèves syriens).

Le chantier à mener est énorme. Nous ne pouvons pas perdre les compétences des contractuels mais nous ne pouvons pas tous les cadrer, car le budget de l’État ne le permet pas. Avec le ministère des Finances, nous préparons un projet de décret pour traiter leur situation financière sans toucher à leurs salaires. Nous voulons aussi bâtir un nouveau système qui définit les compétences requises pour cadrer un enseignant. Cela passera par une préparation de haute qualité, la prise en considération de leurs revendications, l’octroi de conditions justes de travail et la capacité de tenir la pression imposée par les formations.

L’école privée a le vent en poupe. Elle est aussi en souffrance, vu la dollarisation de ses écolages et les revendications salariales de ses enseignants. Avez-vous des solutions pour ce secteur ?

L’école privée scolarise 78 % des élèves du pays. Le Liban a fait le choix que le privé ait une grande liberté. Seuls quelques dossiers relatifs au privé sont sous la responsabilité du ministère de l’Éducation (le respect de la loi sur les budgets scolaires notamment, NDLR). Aucun autre pays n’a donné autant la responsabilité d’éduquer ses enfants au secteur privé. Pourtant, les pays les mieux notés en matière éducative sont ceux dont la majorité des élèves sont scolarisés à l’école publique.

Les crises, ajoutées aux pressions politiques et au manque de contrôle d’excellence, ont rendu plus difficile l’application des lois. Le secteur privé ayant les mains libres, les disparités de performances sont énormes d’un établissement à un autre. Certains ont introduit des accréditations, de leur propre chef, ce qui leur coûte cher et entraîne des écolages très élevés. D’autres n’appliquent pas la moindre norme. Il est de notre devoir de prendre des mesures pour organiser la qualité de l’école privée en imposant des accréditations, même aux établissements les moins chers. Je ne sais pas si nous aurons le temps de le faire (des élections législatives se tiennent au printemps 2026, NDLR).

Malgré les revendications des élèves, vous n’avez pas cédé sur les demandes de matières optionnelles au bac libanais. Pourquoi ?

Nous avons pris cette décision difficile suite aux recommandations d’experts. Nous sommes conscients du caractère exceptionnel de la situation du pays et des difficultés que vivent les Libanais en zones de conflit. Nous sommes aussi soucieux de la santé mentale des jeunes. Les élèves en zones de conflit bénéficient de cours intensifs et d’un prolongement de l’année scolaire. Leurs enseignants sont aussi soutenus financièrement.

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Mais en matière de résultats scolaires, le Liban est à la traîne. Nous voulons doter les examens de crédibilité et ne pouvons pas distribuer des diplômes qui ne garantissent pas les compétences pour la prochaine étape. Les difficultés rencontrées par les bacheliers lors de leur première année d’université sont énormes car ils n’ont pas le niveau requis. Quant à ceux en situation d’échec, nous continuerons de travailler avec eux.

Les défis de l’éducation au Liban sont immenses dans un contexte de crise économique, déclenchée en 2019, et du récent conflit entre le Hezbollah et Israël. Travaillant sur plusieurs fronts avec la volonté d’entraîner le changement, la ministre de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, Rima Karamé, également professeure associée à l’Université américaine de Beyrouth, spécialisée en gestion de l’éducation et dans les politiques éducatives, reste concentrée sur ses objectifs : réhabiliter l’école publique et relever le niveau de l’éducation. Trois mois et demi après sa prise de fonctions, le 8 février 2025, elle accorde à L’Orient-Le Jour sa première interview exclusive.Au début de votre mandat, vous avez annoncé votre objectif principal de redonner vie à l’école publique et de...
commentaires (2)

Même en occultant l'excellence en matière d'écoles privées , par exemple le Eton collège en Angleterre, le Philips Academy aux USA ou encore le lycée Stanislas en France, les ecoles privées ont, souvent pour ne pas dire toujours, obtenu de meilleurs résultats que l'école publique.

C…

13 h 02, le 28 mai 2025

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Commentaires (2)

  • Même en occultant l'excellence en matière d'écoles privées , par exemple le Eton collège en Angleterre, le Philips Academy aux USA ou encore le lycée Stanislas en France, les ecoles privées ont, souvent pour ne pas dire toujours, obtenu de meilleurs résultats que l'école publique.

    C…

    13 h 02, le 28 mai 2025

  • Enfin une ministre qui fait un état des lieux sans langue de bois et expose son programme. Et sa démarche semble s’inspirer des meilleures pratiques internationales dans ce domaine fondamental qu’est l’enseignement. Ses confrères ne se bousculent pas pour nous informer, en dehors des effets d’annonce. Au suivant!

    Marionet

    08 h 38, le 28 mai 2025

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