
Nisrine Chahine, présidente du comité des enseignants contractuels en éducation publique de base, énonce les revendications. Photo fournie par l’un des manifestants
À l’issue d’une grève d’avertissement de deux jours, la semaine passée, plusieurs centaines d’enseignants contractuels du secteur public se sont réunis lundi matin à Beyrouth, sous le slogan de « lundi de la colère », devant le siège du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, à l’appel de la syndicaliste Nisrine Chahine et de son comité des enseignants contractuels en éducation publique de base. Avec pour principales revendications de cadrer les contractuels, afin qu’ils bénéficient de leurs droits, notamment d’une couverture médicale, d’indemnités de transports complètes et d’une retraite. Dans l’attente, ils réclament avec insistance que leur salaire horaire retrouve son niveau d’avant la crise financière de 2019, soit l’équivalent de 13 dollars, et qu’ils bénéficient de la prime de productivité durant toute l’année, même pour les mois de vacances scolaires. La ministre de l’Éducation, Rima Karamé, a aussitôt reçu les représentants syndicaux, promettant de publier un communiqué en soirée.
En octobre 2019, l’effondrement de la livre libanaise par rapport aux devises avait entraîné une importante dévalorisation des salaires de la fonction publique, payés en monnaie locale. Aujourd’hui, un dollar s’échange à 89 500 livres libanaises contre 1 500 LL avant la crise. Plusieurs mesures ont été prises par les autorités, notamment de réajuster de manière cosmétique le salaire des fonctionnaires cadrés, sans pour autant rectifier le salaire horaire des contractuels. Mais elles demeurent largement insuffisantes. Ce n’est que récemment, après la formation du gouvernement dirigé par Nawaf Salam, le 8 février 2025, que le salaire horaire des contractuels a été augmenté à 8,2 dollars payés en livres libanaises.
Des droits bafoués
Les enseignants contractuels de l’école publique sont en colère et entendent bien faire entendre leur voix. Ils ont récemment appris qu’ils ne toucheraient pas de prime de productivité pour les vacances scolaires de l’été passé, contrairement à leurs collègues cadrés qui touchaient jusque-là une prime mensuelle de 375 dollars tout le long de l’année. Quant à leur salaire horaire, récemment revalorisé, « il est ridiculement bas », estiment-ils. D’autant qu’ils ne perçoivent aucune prestation sociale, mis à part des indemnités partielles de transport. À cela s’ajoute une décision du ministère des Finances d’intégrer les primes de productivité de tous les fonctionnaires aux salaires versés dans les comptes bancaires en livres libanaises.
« Nous nous sommes précédemment réunis avec le Premier ministre, Nawaf Salam, et avec la ministre de l’Éducation. Ils nous ont informés que les avances du Trésor ont été supprimées et que nous n’avons pas droit aux primes pour les mois non travaillés de vacances. De plus les primes seront ajoutées aux salaires en livres libanaises et non plus versées séparément en devises », dénonce la syndicaliste indépendante qui réclame un amendement des conditions liées aux contractuels.
« Si la loi ne nous accorde pas nos droits, changez donc la loi. Nous réclamons une prime de productivité pour les trois mois d’été chômés, autrement dit, 375 dollars multipliés par trois », crie-t-elle, devant un parterre de manifestants « mécontents de devoir passer les fêtes à venir sans un sou en poche ». Nisrine Chahine se démarque des syndicats traditionnels d’enseignants du public, souvent affiliés à des partis politiques, qui sont accusés de manipuler les enseignants. Forte en gueule, focalisée sur sa « cause nationale, le droit des enseignants contractuels du secteur public, elle tire sa popularité de la contestation populaire de 2019 et de son engagement à lutter contre la corruption et le clientélisme, dans un pays où la mauvaise gouvernance est notoire. « Dialoguez avec nous. Ne nous mettez pas devant le fait accompli », lance aussi la syndicaliste aux autorités, notamment au gouvernement et aux ministères des Finances et de l’Éducation.
Parallèlement, ce lundi, les enseignants cadrés de l’éducation publique de base (primaire et complémentaire) ont lancé un mouvement de grève. Ils invitent la ministre de l’Éducation, par le biais de leur syndicat mené par Hussein Jawad, à adopter une nouvelle grille de salaires de la fonction publique, pour corriger la dévalorisation des salaires depuis 2019. Une mesure qui, si elle était adoptée, concernerait aussi les enseignants du privé.
En 2022-2023, selon les dernières statistiques publiées par le CRDP, le secteur de l’éducation comptait 90 596 enseignants, dont 35 500 dans le secteur public, soit 16 000 cadrés (directeurs et personnel administratif inclus) et 19 500 contractuels.
Reprenez les cours
La réaction de la ministre de l’Éducation n’a pas tardé. Lors d’une rencontre au ministère avec les manifestants représentés notamment par Nisrine Chahine, et après avoir écouté leurs doléances, Rima Karamé leur a fait part de sa détermination à proposer au gouvernement une nouvelle échelle salariale, affirmant dans un communiqué qu’elle « n’interrompra pas ses efforts tant qu’une nouvelle échelle salariale propre aux enseignants ne sera pas adoptée ». La ministre a toutefois invité les enseignants à « reprendre les cours », afin que les élèves n’assument pas la responsabilité de la grève, assurant « avoir bien écouté leurs revendications et poursuivre le travail ». Elle s’est aussi « abstenue de faire des promesses qui ne soient pas basées sur des financements disponibles ».
Rima Karamé a pris soin, au passage, d’expliquer à ses interlocuteurs la décision du Conseil des ministres d’approuver le budget 2025 et d’annuler les avances du Trésor, ce qui a modifié le mécanisme de paiement des primes de productivité pour garantir les revenus des enseignants. Elle a enfin demandé aux enseignants de lui donner « le temps nécessaire pour l’élaboration d’une stratégie » qu’elle envisage de soumettre au Conseil des ministres.