Un ami cher, un fervent soutien de l’identité et de la diversité libanaises, un défenseur du dialogue entre les religions et les cultures : c’est en ces mots que le président Joseph Aoun a rendu hommage à la mémoire du pape François décédé lundi. Mais par-delà la réelle (et d’ailleurs planétaire) tristesse que cause la disparition de cet homme de paix et de compassion pour l’humanité souffrante, sans doute le chef de l’État a-t-il aussi voulu rappeler à la cantonade sa propre philosophie en matière de gestion des dossiers les plus épineux. Or c’est clairement la récurrente question de l’arsenal du Hezbollah qui émerge obstinément du lot.
Car pas plus que la trêve des confiseurs pour Pâques, le deuil officiel de trois jours décrété au Liban ne saurait mettre fin à une polémique qui s’est installée même dans la plus modeste des chaumières libanaises. Ces derniers jours, les deux dirigeants les plus haut placés de la milice ont usé d’un ton de défi pour signifier qu’ils ne permettront à personne de désarmer cette dernière ; ils se sont dits prêts à débattre d’une stratégie de défense, mais en aucun cas sous la pression de l’occupation et des agressions israéliennes. De son côté, le président a réaffirmé sa volonté de privilégier le dialogue pour restituer à l’État son monopole naturel sur la détention des armes dès que les circonstances le permettront ; il a pratiquement exclu, en outre, tout recours à une calamiteuse confrontation.
Le fait est que le président de la République est bien contraint d’exploiter toutes les ressources de la rhétorique, du moment qu’il fait face aux pressions les plus diverses. Il est harcelé par les Américains alors même qu’Israël, en multipliant ses attaques meurtrières, ne fait en réalité qu’apporter de l’eau au moulin du Hezbollah… qui lui rend la politesse. Faire preuve de zèle dans ces conditions serait prêter le flanc aux infamantes accusations de collusion avec l’État hébreu : outrance dont s’est d’ailleurs rendu coupable, sous forme d’insinuations postées sur X, l’ambassadeur d’Iran, ce qui lui vaudra d’être convoqué pour explications au ministère des AE. Le pouvoir libanais doit encore s’adresser à ceux des Libanais qui ne cessent de réclamer à cor et à cri un calendrier-programme pour la cession des armes, comme si de fixer des dates butoir pour un tel évènement pouvait faire avancer les choses.
Reste l’essentiel, à savoir quelle forme de persuasion pourrait amadouer une milice dont les obédiences iraniennes demeurent jusqu’à nouvel ordre inentamées. Évidente serait la réponse si elle ne tenait qu’aux seuls résultats du grand bazar en cours entre la République islamique et les États-Unis. C’est une approche parallèle qu’a néanmoins débroussaillée Joseph Aoun en évoquant récemment une possible intégration à l’armée régulière d’anciens miliciens qui présenteraient les qualifications requises. Même s’il a pris soin d’exclure énergiquement toute réédition du modèle irakien (les milices chiites embrigadées pêle-mêle sous les couleurs de l’État), le président a fait sursauter nombre de Libanais qu’affole bien sûr l’éventualité d’un noyautage de la troupe par les vétérans de la milice. Mais a-t-on bien réfléchi à ces qualifications que Joseph Aoun exigeait des potentielles recrues ?
On peut parier que le président ne parlait pas de vétérans du baroud cruellement menacés de chômage. Il n’ouvrait pas en grand les portes de l’institution militaire à quiconque se contenterait de prouver sa bonne santé, œil vif et urines claires à l’appui. C’est plutôt la perspective d’une loyauté sans faille, d’une digne reconversion des allégeances qu’il fait miroiter non seulement aux effectifs de la milice mais aussi à leurs familles : à l’ensemble du public qui fut longtemps celui du Hezbollah au sein de la communauté chiite. De toutes les réformes structurelles impatiemment attendues du pays par les puissances et organisations internationales, c’est en somme à la plus essentielle que s’est attaqué, quitte à faire des vagues, le chef de l’État : celle des esprits. De tous les esprits.