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Culture - Exposition

Les fantômes de Ali Cherri habitent les vitrines de la Bourse de commerce, à Paris

Dans le cadre de l’exposition « Corps et âmes » qu’accueillera la Bourse de commerce dès le 5 mars, le plasticien libanais présente son installation « Vingt-quatre fantômes par seconde » où ses sculptures hybrides deviennent les personnages chimériques d’un film où se télescopent les cultures et les époques…

Les fantômes de Ali Cherri habitent les vitrines de la Bourse de commerce, à Paris

L'artiste libanais Ali Cherri. Photo DR

L’un des aspects les plus saisissants de l’œuvre de Ali Cherri, et peut-être son tour de force le plus troublant, est sa capacité de créer une porosité, un échange, une sorte de transparence entre son travail de cinéaste et celui de plasticien et sculpteur. D’une part, lorsqu’on visionne ses films, Le Barrage (2022) ou The Watchman (2024) sur lequel on reviendra dans cet article, on a souvent l’impression qu’à travers sa manière de filmer, d’organiser et de regarder les corps et les visages de ses protagonistes, ceux-ci prennent tout d’un coup une dimension sculpturale, quelque chose de l’ordre du muséal presque. On pense aussi à son film Somniculus (2017) tourné à Paris, dans lequel Ali Cherri remplaçait les corps des acteurs par des œuvres d’art et des objets filmés dans des musées vides. D’autre part, à chaque exposition de l’artiste, notamment Envisagement où il investissait la fondation Giacometti dans un dialogue avec le peintre et sculpteur suisse, ses sculptures imaginées comme un metteur en scène construit ses personnages transforment ces lieux en des décors de films. Aujourd’hui, c’est justement au cœur de cet entre-deux, sur ce fil ténu qui sépare le mouvement de l’inertie, que se construit l’installation Vingt-quatre fantômes par seconde de Ali Cherri qu’accueillent les vitrines du passage de la Bourse de commerce à Paris, dans le cadre de l’exposition « Corps et âmes ».

Ali Cherri, « L'homme aux larmes », dans le cadre de l’exposition « Corps et âmes », Bourse de commerce – Pinault Collection, Paris, 2025. Photo Florent Michel/11h45/Pinault Collection



Comme des flashs cinématographiques

À l’appui d’une centaine d’œuvres de la Collection Pinault, la Bourse de commerce présentera l’exposition « Corps et âmes » dès le 5 mars, interrogeant la représentation du corps dans l’art contemporain. D’Auguste Rodin à Duane Hanson, de Georg Baselitz à Ana Mendieta, de David Hammons à Marlene Dumas, d’Arthur Jafa à Ali Cherri, une quarantaine d’artistes exploreront ainsi, à travers la peinture, la sculpture, la photographie, la vidéo et le dessin, les liens entre le corps et l’esprit. « Dans les courbes matricielles de la Bourse de commerce, en un écho à la ronde des corps habitant le vaste panorama peint ceinturant le dôme de verre du bâtiment, l’exposition « Corps et âmes » sonde, à travers les œuvres d’une quarantaine d’artistes de la Collection Pinault, la prégnance du corps dans la pensée contemporaine. Libéré de tout carcan mimétique, le corps qu’il soit photographié, dessiné, sculpté, filmé ou peint ne cesse de se réinventer, conférant à l’art une organicité essentielle lui permettant, tel un cordon ombilical, de prendre le pouls du corps et de l’âme humaine », explique Emma Lavigne, directrice générale de la Collection et conservatrice générale.

Vue de la carte blanche à Ali Cherri « Vingt-quatre fantômes par seconde » dans le cadre de l’exposition « Corps et âmes », Bourse de commerce – Pinault Collection, Paris, 2025. Photo Florent Michel/11h45/Pinault Collection


En préparation de cet événement, la Bourse de commerce a commencé à dévoiler, depuis le 5 février, certaines œuvres qui constitueront « Corps et âmes », notamment l’installation Vingt-quatre fantômes par seconde de Ali Cherri. Une œuvre déployée sur les vingt-quatre vitrines du passage qui encercle la rotonde du musée, et qui, comme son titre l’indique, fait référence au cinéma et ses vingt-quatre images par seconde. En ce sens, avant même de se pencher sur le contenu de ces vitrines-là, que Cherri a investies à la manière d’un cabinet de curiosité dont on se demande s’il est en vie, c’est une première sensation qui se dégage en les parcourant. La sensation d’avoir affaire à des flashes cinématographiques. La sensation de passer d’une image à l’autre, avec une succession, un rythme, une trame presque qui confère à Vingt-quatre fantômes par seconde une dimension profondément cinématographique. Sur le fond blanc des vitrines, derrière les objets de Cherri qu’il érige comme un véritable chirurgien tisse le passé au présent et brouille les frontières entre la réalité et la fiction, l’artiste a choisi de présenter des phrases calligraphiées du film surréaliste Le Sang d’un poète de Jean Cocteau (1930). Des bribes de mots qui, par une magie dont seul le plasticien a le secret, animent les sculptures et les font aller et venir entre la vie et la mort. Celles-ci deviennent alors les protagonistes d’une histoire qui traverse le temps et condense les époques.

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Une affaire de fantômes

Pourtant, ce n’est pas un hasard si le plasticien libanais a choisi d’intégrer le terme fantôme, et en tous cas un caractère spectral à son installation. « Puis vint le cinéma pour ressusciter les corps », écrit-il dans sa note d’intention. « L’histoire du cinéma est une histoire de morts qui survivent en images. Le cinéma a toujours été une affaire de fantômes, que ce soit pour des raisons techniques (projection lumineuse, fondus enchaînés), généalogiques (influences de la fantasmagorie et de la lanterne magique), ou surtout poétiques (les personnages à l’écran meurent et ressuscitent à chaque projection). En enregistrant et en conservant les traces des corps, le cinéma devient ainsi un moyen de faire revivre les morts à travers l’écran, réveillant l’âme des corps inertes. »

Vue de la carte blanche à Ali Cherri « Vingt-quatre fantômes par seconde » dans le cadre de l’exposition « Corps et âmes », Bourse de commerce – Pinault Collection, Paris, 2025. Photo Florent Michel/11h45/Pinault Collection


C’est que dans leurs boîtes de verre, les sculptures d’Ali Cherri semblent justement exister dans un espace entre silence et mouvement, antiquité et présent. L’artiste préfère considérer ses personnages comme dans un état de demi-sommeil, au cœur d’un musée qu’il envisage comme un dortoir. Fidèle à sa pratique qui mêle trouvailles archéologiques et créations, le plasticien crée des sortes de chimères qui interrogent les manipulations d’artefacts (spoliations, trafics, appropriations) par lesquelles il a été profondément marqué en grandissant au Liban pendant la guerre civile. « Les greffes que j’opère dans ma série de sculptures sont une forme de solidarité entre corps brisés, fragmentés, violentés, qui, en se soudant, créent une communauté », explique-t-il aussi dans sa note d’intention. Les objets exposés deviennent des témoins impuissants des conflits dont leurs corps scarifiés sont l’ultime marqueur, des personnages qui à force de spoliations, de trafics et d’appropriations coloniales finissent par perdre leur sens. D’ailleurs, si le parcours de Vingt-quatre fantômes par seconde ressemble au déroulement d’une œuvre cinématographique, chacun des objets qui en fait partie est une histoire à part entière. C’est qu’à travers sa pratique d’hybridation, par le biais de laquelle Ali Cherri donne corps à des objets oubliés via ce qu’il désigne de greffes, les sculptures présentées à la Bourse de commerce deviennent à elles seules le réceptacle de récits qui transcendent notre temporalité. À la fois vidées de leur passé, mais habitées par le poids invisible de l’histoire, là encore, les œuvres de Cherri sont traversées par une forme d’onirisme. Une magie que lui seul sait créer, en jouant avec le temps…  

Bourse de Commerce, Collection Pinault. 2 rue de Viarmes, 75001, Paris, France. Jusqu'au 25 août 2025.

L’un des aspects les plus saisissants de l’œuvre de Ali Cherri, et peut-être son tour de force le plus troublant, est sa capacité de créer une porosité, un échange, une sorte de transparence entre son travail de cinéaste et celui de plasticien et sculpteur. D’une part, lorsqu’on visionne ses films, Le Barrage (2022) ou The Watchman (2024) sur lequel on reviendra dans cet article,...
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