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Culture - Art

Quand Ali Cherri et Alberto Giacometti se dévisagent

À l’Institut Giacometti à Paris, le plasticien et vidéaste libanais met en scène la rencontre de ses œuvres avec celle d’Alberto Giacometti, au sein de l’exposition « Envisagement », un thème à double tranchant qui interroge la fonction d’un visage, le fait d’envisager quelque chose mais aussi la question du regard…

Quand Ali Cherri et Alberto Giacometti se dévisagent

Une reproduction de l'arbre de la vie par Ali Cherri face à la sculpture d’un homme debout de Giacometti. Photo Institut Giacometti

Elles sont nombreuses, les expositions où des fondations et autres institutions muséales invitent un artiste contemporain pour un « face-à-face » ou à « confronter ses œuvres » avec celles de l’un de ses prédécesseurs. Et c’est justement à ce genre de configuration que l’on penserait avoir affaire en apprenant que l’Institut Alberto Giacometti à Paris invite le plasticien et vidéaste libanais Ali Cherri à mettre ses œuvres en dialogue avec celle du sculpteur et peintre suisse, sous le thème à double tranchant de l'Envisagement. Or, ce qui fait d’abord la particularité de cette exposition, comme le signale le commissaire Romain Perrin, c’est le fait d’avoir offert à Cherri « la possibilité d’appréhender les collections et archives mises à sa disposition, ainsi que le lieu où elles sont exposées de manière originale, avec le parcours et la culture qui sont les siens ». Et s’il fallait commencer par la fin, ou en tout cas par une impression qui reste après la visite d’Envisagement, c’est justement celle d’avoir été emporté dans une mise en scène de Ali Cherri, semblable à celles qui sous-tendent ses films. Car même si pour ce travail en particulier, c’est plutôt le pan  « plasticien » de l’œuvre protéiforme de Cherri dont il est question, il n’en demeure pas moins qu’Envisagement nous semble être le film, le court-métrage de la rencontre de ses œuvres et celles de Giacometti.

Une vue de l'exposition « Envisagement » de l'artiste libanais Ali Cherri à l'Institut Giacometti à Paris. Photo Institut Giacometti

Le visage-paysage

Lorsque Ali Cherri amorce la réflexion autour de cette exposition, puisque carte blanche lui a été donnée de la part de l’Insitut Giacometti quant à l’axe thématique et au choix des pièces à exposer, il choisit instinctivement de plancher sur les œuvres en plâtre de Giacometti, « les plus fragiles, et celles qu’il revoyait et retravaillait sur la durée », dit-il. Ce qui l’intéresse particulièrement, c’est la représentation de la face humaine chez Giacometti, puisque cela est également un thème central de sa propre œuvre. Cherri parle justement de ce moment charnière où les têtes de Giacometti, des volumes dénués d’expression et donc d’humanité mutent en visages ; c’est-à-dire des pages sur lesquelles on peut carrément lire un caractère, un tempérament, une émotion ou une humeur à la faveur de l’empilement de lignes peintes ou dessinées. « Cette démarche fait écho à la mienne lorsque je construis mes sculptures à partir de têtes anciennes qui existent avant mon intervention, mais auxquelles je donne corps par le biais de ce que j’appelle mes greffes et mes hybridations. Cette accumulation de récits leur donne corps d’une certaine manière », explique le plasticien libanais.

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Au moment de choisir un thème pour cette exposition, le terme « Envisagement » lui vient presque comme une évidence, ne serait-ce que pour l’aspect à double sens de ce mot, qui, d’une part, signifie considérer, porter attention à quelque chose et, d’autre part, dévisager, déchiffrer un visage. « Cela rejoint mon intérêt pour la “firasa”, ou la science du profilage consistant à lire une personne à travers les traits de son visage, ajoute-t-il. Le visage, en ce sens, représente pour moi les sous-entendus, une clef qui permet de décoder. Le visage a toujours été pour moi un paysage à part entière, et c’est à la manière des paysages que je capture mes personnages, leurs visages, dans mes films, notamment The Dam et The Watchman. » D’ailleurs, c’est une démarche quasi similaire à laquelle se pliait Alberto Giacometti lorsqu’il se concentrait sur cinq modèles, peignant sans cesse leur visage pour faire découler de cette répétition quelque chose qui a attrait à l’universel. C’est sans doute cela qui explique la scénographie d’Envisagement, pensée tel un « travelling » selon les mots du commissaire Romain Perrin, ou si l’on peut dire tel un paysage de visages qui constellent l’Institut de Giacometti.

Le plasticien et vidéaste libanais Ali Cherri. Photo Boris Camaca

Regarder Giacometti

Une communauté de visages qui nous (ac)cueillent dès le début du parcours et qui invoquent le mouvement, un rythme, et en tout cas carrément l’impression de regarder le visiteur. « De façon à inverser le rapport de visiteur et d’œuvres, du fait qu’ici on a l’impression d’être regardé par les œuvres plus qu’on ne les regarde », nuance Ali Cherri. En ce sens, la notion de regard occupe une autre place centrale dans la thématique d’Envisagement, non seulement parce que les sculptures de Cherri et Giacometti paraissent si humaines qu’on croirait qu’elles nous scrutent, mais aussi et surtout parce qu’Ali Cherri a posé un regard sur l’être humain qu’était Alberto Giacometti dans sa construction de l'exposition. Il a regardé la fascination que Giacometti avait pour l’art de la Mésopotamie, et en particulier la statuaire du Proche-Orient au musée du Louvre où ce dernier passait beaucoup de temps à copier des sculptures. Dans cette section, une œuvre cruciale, un orthostate qui occupait les murs du palais royal de Sargon II, représentant la figure d’un homme face à un arbre, « la confrontation de la nature et la culture », souligne Ali Cherri. En clin d’œil à cet élément, le plasticien libanais a choisi d’installer dans la salle centrale de l’Institut Giacometti une reproduction de cet arbre de la vie (aussi en allusion aux copies que Giacometti produisait) face à la sculpture d’un homme debout de Giacometti.

Une exposition conçue comme un traveling autour d'une assemblée de têtes sculptées par Giacometti et Ali Cherri. Photo Institut Giacometti

Plus loin, dans une salle adjacente, Ali Cherri propose une vidéo assemblée par morceaux, à la manière de plusieurs de ses sculptures, où des têtes antiques se voient greffées d’une autre histoire à la faveur d’éléments rajoutés par l’artiste. Dans ce film intitulé Retrouver la face (2024), se télescopent plusieurs fragments de films tels Blow Job (1964) d’Andy Warhol, Les Yeux sans visage (1960) de Georges Franju ou encore Persona (1966) d’Ingmar Bergman, où des réalisateurs ont justement réfléchi à la notion de visage. « C’était pour moi une façon d’ouvrir l’exposition vers autre chose », conclut-il. Et cette exposition, en plus d’être une énorme et si méritée consécration pour celui qui a reçu le Lion d’or à la Biennale de Venise en 2022, aura permis, grâce à Cherri, de poser un autre regard sur Giacometti, par-delà la face, le visage de son œuvre qu’on lui connaissait déjà.

Elles sont nombreuses, les expositions où des fondations et autres institutions muséales invitent un artiste contemporain pour un « face-à-face » ou à « confronter ses œuvres » avec celles de l’un de ses prédécesseurs. Et c’est justement à ce genre de configuration que l’on penserait avoir affaire en apprenant que l’Institut Alberto Giacometti à Paris invite le...

commentaires (1)

Bravo, excellent!

Céleste

22 h 53, le 27 janvier 2024

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Commentaires (1)

  • Bravo, excellent!

    Céleste

    22 h 53, le 27 janvier 2024

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