«Quand viendra le moment, on vous fera savoir ce qu’on aura pensé à votre place… Allez, du balai ! » Telle est en gros l’idée qui se dégage de la sortie nerveuse hier du Désigné face aux journalistes impatients. Faut le comprendre, le bonhomme : depuis trois semaines, il transpire comme un déménageur pour apparier des bipèdes incompatibles, dans le tissage de sa liquette ministérielle.
Pourquoi se fâcher, si on peut encore passer l’hiver, le printemps, voire l’été en palabres et causettes, à entendre le frou-frou des pelotages entre neuneus qui, il n’y a pas si longtemps encore, se taillaient des croupières et s’envoyaient mutuellement des râteaux dans les gencives… Le tout pendant que le pays se meurt à petit feu. Faut bien tuer le temps en attendant d’être tué !
Entre Bibi le Nataniais qui lui met le missile sur la tempe, Istiz Nabeuh qui entend se goinfrer de tout ce qui ressemble de près ou de loin à un chiite au gouvernement, le Tondu et ses Fleus qui lui ont tordu le bras pour obtenir les Affaires étrangères, et le Tripolichinelle du Liban-Nord qui menace de bouder le vote de confiance, Tonton Nawaf va finir en string !
Programme de la guignolade : d’abord construire un gouvernement en forme d’usine à gaz, puis s’employer après les prochaines élections à le démonter. Quel boulot ! Au Liban, on n’a peut-être encore ni gaz ni pétrole, mais pour sûr on n’a pas d’idées non plus…
Mais bon, le pays a bien pataugé deux ans durant sans chef d’État, végété des mois entiers sans Parlement. Alors pondre un gouvernement, dont les ministres sont un assemblage de bric et de broc, y a pas vraiment de quoi fouetter une chatte.
Déjà depuis la débandade des Syriens en 2005, la fabrication des gouvernements libanais était devenue un véritable parcours du combattant, dans le tapinois clandestin des chuchotis honteux entre vieux croûtons déliquescents aux allures de comploteurs. Il reste que la mayonnaise gouvernementale, aussi difficile à faire grimper qu’elle puisse paraître, obéit chez nous à une procédure réglée comme du papier à musique : 1) défilé des turlupins parlementaires devant le châtelain de Baabda qui les écoute d’un tympan distrait ; 2) papotages fiévreux avec l’Élu au Sérail, avec danse du ventre à la clé ; 3) voracité goulue de ministrables et slalom entre les peaux de banane pour ne pas s’étaler.
Ainsi, de journées cruciales en semaines décisives puis en mois déterminants, en attendant de passer au semestre fondamental et à l’année primordiale, le Libanais d’en bas a toujours fait tapisserie en se gavant de « partenariat », de « communauté de destin » et de « critères unifiés ».
En s’éclipsant en cachette hier du Palais, tel l’amant surpris dans l’armoire, l’Ancêtre législatif a épuisé ses ressources. Au final, la nature lui a donné deux extrémités : l’une pour s’exprimer, l’autre pour s’asseoir. Pour l’heure, rien d’intéressant ne sort ni de l’une ni de l’autre.
gabynasr@lorientlejour.com
"l’Ancêtre législatif" ... utilisation magistrale de la majuscule !
14 h 29, le 07 février 2025