Des tempêtes, des vagues scélérates et le silence qui les précède, l’inertie surtout, l’œil du cyclone, mur d’orages qui se resserre ou s’écarte, et puis la quasi-certitude du retour des houles, de plus en plus puissantes sur l’esquif Liban de plus en plus frêle. Libanais, on devrait avoir peur de tout : de l’extérieur, de l’intérieur, du fameux partenaire-dans-la-patrie (charik fil watan) que l’on peine à désigner comme frère, et puis de l’avenir qui commence chaque matin et qu’on ne sait par quel bout prendre : insécurité et rareté de l’emploi, spectre de retraites misérables, d’une paupérisation croissante, d’un recul dramatique de la qualité de l’éducation.
A peine le tandem « de l’espoir » Joseph Aoun-Nawaf Salam ouvrait-il une trouée de lumière dans cette purée de pois que les vieux chantages et marchandages revenaient en force. A-t-on jamais vu ailleurs un parti politique s’approprier comme un dû, un portefeuille ministériel ? Que serait-ce, comme on le voit au Liban, un duo de partis confessionnels décidant unilatéralement d’imposer – se prévalant presque d’un titre de propriété –, leur droit absolu au ministère des Finances ? Et comment résoudre ce casse-tête ?
Depuis sa création, le Hezbollah a pris l’habitude de tout obtenir à l’arraché et imposer sa domination sous la menace des attentats et des armes. On l’a toujours vu provoquer des guerres dévastatrices pour ensuite proclamer des victoires indéfinissables et en exiger la rétribution au guichet de l’État. Le problème avec le Hezbollah est qu’il ne considère pas le Liban comme une patrie définitive mais une province iranienne, brave petite province prête à tous les sacrifices pour complaire à son tuteur et lui montrer sa bravoure. Le Hezbollah a réussi à convaincre son public – et une partie considérable des Libanais – que s’il n’attaquait pas régulièrement Israël, Israël envahirait le Liban, annexerait le Sud jusqu’à Beyrouth et « volerait » le Litani.
L’essentiel de la stratégie du parti chiite est de faire en sorte que le Liban ne possède rien pour n’avoir rien à regretter. « Si vous aviez une Ferrari et que je vous cognais avec une vieille Renault branlante, qui de nous deux aurait le plus à perdre ? » professait un docte du Hezbollah au plus fort des bombardements. Bien sûr, il ne tenait compte ni du fait que le propriétaire d’une Ferrari aurait a priori les moyens de la remplacer ou de la faire réparer, ni de l’évidence que celle-ci soit couverte par une police d’assurance, ni malheureusement du fait que conserver une vieille Renault branlante est signe de l’importance vitale de ce véhicule pour son propriétaire. Dans la même logique, le beau Litani s’est transformé en cloaque, tandis qu’en Israël la moindre goutte d’eau est préservée et convertie dans l’irrigation. Il faudrait y réfléchir en cet hiver sec et froid, annonciateur d’étiages et de nouvelles souffrances. Mais nous en étions là : mieux vaut faire pitié qu’envie. Cet adage inversé est supposé nous protéger des convoitises de l’État hébreu.
Petit pays plein de panache, le Liban était certes désirable pour son climat, la richesse de sa terre et la beauté de ses paysages. Sans doute l’est-il encore malgré la plaie des destructions à répétition et l’anarchie des reconstructions. Mais il l’était surtout pour la qualité de vie exceptionnelle que peut réaliser une société quand elle transforme sa diversité en richesse. Bien que toujours prompt à envoyer ses chômeurs vrombir dans les venelles, équipés de drapeaux jaunes en criant « chiia ! chiia ! », le Hezbollah n’est pas seul responsable de l’éclatement de la Cité. Chaque communauté de ce pays a été tentée, à un moment ou un autre, de dominer les autres par la force. Il y a toujours eu une puissance étrangère aux agendas malveillants pour flatter dans le sens du poil quelque bête de pouvoir en mal de reconnaissance, prête à se faire détacher pour aller aux sirènes. La dernière guerre a produit de nouvelles donnes qui laissent espérer que tout cela soit derrière nous.
Reconstruire le Liban, c’est d’abord – tout le monde en convient – réparer sa mémoire. Il y faudra des mots d’hier et des mots d’aujourd’hui, des mots de pardon et de réconciliation, des mots de considération pour les valeurs et l’apport de chacun et des mots de rancune, car ils sont nécessaires pour dépasser la douleur. Si l’aventure iranienne a tenté les chiites, ne pas oublier qu’ils forment par-dessus tout cette magnifique population d’agriculteurs, plus attachée que quiconque à la terre charnelle, plus féroce que quiconque quand il s’agit de la défendre et, en ce sens, l’archétype du paysan-guerrier n’est pas une idée sortie du néant. Aimons-nous enfin, et Ferrari ou pas, nous créerons du désir plutôt que de la convoitise. Désir de nous imiter plutôt que nous posséder.
Belle impression. Il y a aussi des vieilles Ferrari qui pourraient cabosser des nouvelles Renaud! La question restera la même. Oui le Liban est un beau pays et il restera, mais pas seulement. Quand le président Macron avait été au Liban,il avait visité Madame Fayrouz qui incarne par son talent et son travail notre culture qui fait partie de notre richesse. Il est grand temps qu'on re-apprenne le "vivre ensemble" , et cela ne se parachutera pas par le haut.
11 h 07, le 31 janvier 2025