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Est-il libanais d’espérer ?

Les Libanais ont ce pouvoir – résilience, résistance, adaptation ou ce qu’on voudra – de faire contre mauvaise fortune bon cœur et de transformer les problèmes en opportunités. La fuite de Bachar el-Assad, l’affaiblissement de l’Iran et du Hezbollah ont permis l’arrivée à la tête de l’État d’un duo sur lequel souffle l’esprit qui a régné sur le soulèvement avorté de 2019. L’explosion au port suivie de la crise économique ont achevé de porter les plus hésitants à quitter le pays. L’ancien président Michel Aoun avait bien invité les mécontents à partir et indiqué l’enfer à ceux qui se demandaient où nous allions. Joseph Aoun et Nawaf Salam, voilà deux hommes dont les Libanais non affiliés au Hezbollah et à ses avatars n’osaient pas imaginer les noms au générique désespéré de leurs vies. L’espoir tout court, tout simple, tout nu, était-il seulement possible ?

Le comique Farid Hobeiche (Farix) illustre le choc des « bonnes nouvelles » en se cachant sous une capuche, le doigt sur la zapette. On en reçoit tant, du même coup, que celles-ci sont émotionnellement impossibles à gérer. Déjà, de tous les coins du monde, ceux qui sont partis en jurant de ne pas se retourner amorcent ce mouvement du cou qui peut vous transformer en statue de sel. Les deux grandes formations chiites affichent évidemment leur mécontentement. Cette joie diffuse, ces sourires sous cape les insultent. Ils boudent. Ils tentent de montrer encore qu’ils ont la main haute sur le grand jeu. Craignant l’exclusion, ils s’excluent d’eux-mêmes, persuadés que leur absence faussera la donne dans la composition du gouvernement à venir. Cette bouderie ne fait, au final, que pimenter l’attente. Si l’histoire se répète, et au Liban elle n’en fait pas d’autres, c’est qu’elle est aussi capable de répéter ses années fastes. Sommes-nous enfin au seuil de la tranquillité ?

Cinquante ans durant, le souffle des Assad dans la nuque des Libanais a empêché tout progrès, toute possibilité de vie décente, toute velléité de liberté d’expression, toute liberté politique. Ce régime malfaisant a traité le Liban comme une province-poubelle, portant au pouvoir tantôt les plus soumis – ou les plus endoctrinés –, tantôt les plus infatués, tantôt les plus cupides, tous manipulables à souhait, et maintenant les opposants sous une chape de terreur. Le bras armé des Assad au Liban et l’exécutant de ses basses œuvres était bien sûr le Hezbollah, non par amour pour cette famille en rien aimable, mais parce que le parti pro-iranien avait besoin des précieux couloirs secrets mis à sa disposition, débouchant d’un côté sur la Méditerranée, de l’autre sur les confins de l’Irak, protégés par le régime pour véhiculer depuis l’Iran armes lourdes, mercenaires et argent liquide.

Le Hezbollah se flattait de n’avoir besoin de personne pour entretenir ses « gens » et ses troupes. Certes, l’Iran lui versait des sommes considérables, mais les trafics divers dont il alimentait ses caisses, se partageant sans doute les recettes avec le régime syrien (au regard des fabriques de Captagon découvertes après le départ de Bachar el-Assad,) en faisait une organisation criminelle, parasite de l’État libanais. Fort et fier de cette image inquiétante de hors-la-loi, dédaigneux de l’opinion de ses « autres » compatriotes, dévoué corps et âme à son patron iranien, le Hezbollah était seul maître à bord, au point de décider en solo de la guerre et de la paix. « Que savez-vous de la guerre ? Restez planqués et laissez-nous faire » répétaient ses porte-parole au plus fort des bombardements israéliens durant la tragique fin d’été 2024. Mais Israël ne jouait plus. Résolu à briser la formation qui a juré d’œuvrer à sa perte au prétexte de prêter main-forte à Gaza, le gouvernement Netanyahu a déclenché toutes les opérations pour lesquelles l’armée et les services de renseignements s’étaient préparés depuis la guerre de 2006. Avant de disparaître sous des dizaines de tonnes d’explosifs, Hassan Nasrallah avait veillé à glisser dans son discours quelques petites phrases permettant au Hezbollah de garder ses rangs serrés. « L’important est ce que vous verrez, non ce que vous entendrez », avait-il dit, garantissant ainsi un flou autour de sa mort éventuelle, dans les jours qui la suivraient. Il a aussi assuré à ses adeptes que la victoire viendrait et que les batailles ne sont pas les guerres.

Les explosions simultanées des pagers à la face de leurs porteurs ? Une bataille. La liquidation de Nasrallah et de son successeur Hachem Safieddine ? Une bataille. La destruction du Sud libanais et de la banlieue sud de Beyrouth ? Une bataille. La déroute des combattants et agents du parti harcelés par les drones israéliens, l’exode de la population chiite pour laquelle aucun abri n’a été prévu, la désinformation autour des capacités du parti, la signature forcée de la résolution 1701, les centaines de morts civils ? Une bataille. La chute du régime Assad, l’affaiblissement de l’Iran, la perte des couloirs d’acheminement ? Une bataille. Pour autant, cette somme de batailles perdues ne constitue encore pour le Hezbollah ni une guerre ni la fin de la guerre. Le financement de la reconstruction viendra par les voies légales et étatiques ou ne viendra pas. Quelle adaptation sera-t-elle la plus difficile ? Celle du Hezbollah à un État souverain, ou celle du reste des Libanais à la possibilité d’espérer ?

Les Libanais ont ce pouvoir – résilience, résistance, adaptation ou ce qu’on voudra – de faire contre mauvaise fortune bon cœur et de transformer les problèmes en opportunités. La fuite de Bachar el-Assad, l’affaiblissement de l’Iran et du Hezbollah ont permis l’arrivée à la tête de l’État d’un duo sur lequel souffle l’esprit qui a régné sur le soulèvement avorté de...
commentaires (6)

Et maintenant ou nous allons ( les chiites) ?

Eleni Caridopoulou

13 h 16, le 16 janvier 2025

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Commentaires (6)

  • Et maintenant ou nous allons ( les chiites) ?

    Eleni Caridopoulou

    13 h 16, le 16 janvier 2025

  • Bravo et merci Madame pour ce bel article

    KHL V.

    11 h 40, le 16 janvier 2025

  • Chère Madame. Ce qu’on appelle le tandem chiite doit s’intégrer dans l’équation libanaise de l’égalité entre les chrétiens et les musulmans, sinon leur base populaire se retournera contre eux et les autres parties ne voudront plus cohabiter avec eux.

    Lecteur excédé par la censure

    09 h 22, le 16 janvier 2025

  • j'aime ces batailles ! je les apprecie !

    L’acidulé

    09 h 14, le 16 janvier 2025

  • Votre plume inspire et nous rappelle que l’espoir reste un acte de résistance précieux. Ayant quitté le Liban après la double explosion du port en 2020, c’est effectivement incroyable ce nouvel élan et cet espoir d’envisager l’idée de pouvoir rentrer bientôt, inconcevable jusqu’à il y a peu… Nous quittons ce beau pays, mais il nous quitte jamais…

    EL Darwiche Faycal

    07 h 54, le 16 janvier 2025

  • Superbe article!

    Cadmos

    05 h 11, le 16 janvier 2025

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