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Étoiles du troisième type

L’élection du général Joseph Aoun à la première magistrature n’a pas seulement mis fin à une vacance présidentielle devenue, par son obstination à se répéter, une des tares les plus criantes de notre démocratie. Elle ne fait pas que consacrer un spectaculaire repositionnement arabe du Liban, miraculeusement débarrassé du carcan iranien qui le défigurait, dans le même temps qu’il l’étranglait. Si cette élection visiblement imposée du dehors bénéficie néanmoins d’une tout aussi évidente faveur populaire, c’est surtout parce qu’elle augure d’une miraculeuse réapparition de cette denrée vitale qui avait déserté la République : la normalité, censée en effet régner sur la vie publique et le fonctionnement des institutions.


Quoi, un militaire amplement étoilé pour nous réapprendre les rudiments du vivre-ensemble dans le cadre de la loi, à l’ombre d’un État seul détenteur désormais de la force armée ? Encore, et pour la quatrième fois d’affilée, un galonné bombardé président sans égard pour les expériences souvent décevantes ou parfois catastrophiques du passé ? Ne faut-il pas plutôt voir dans ce phénomène la totale faillite d’un establishment politique qui s’est évertué à rendre impraticable, méconnaissable, le système de démocratie parlementaire dont s’était doté le pays ?

Joseph Aoun n’a pas été nourri dans le sérail ; mais pour pasticher Racine, il en connaît fort bien les détours. Le chef de l’État l’a montré en énumérant, dans son discours d’investiture du 9 janvier, toutes les plaies dont souffre notre pays ainsi que les remèdes qu’il se promet – et nous promet – d’y apporter. Frappant de vérité est son diagnostic : la crise de gouvernance se double en réalité d’une crise de gouvernants, lesquels échouent dans l’application des lois et se perdent dans l’interprétation et la formulation de ces dernières. Comble de l’ironie, on venait tout juste d’en voir l’illustration dans les vifs échanges entre parlementaires débattant – de bonne ou de fort mauvaise foi – de la régularité du scrutin. Le fait demeure néanmoins qu’à force de la triturer dans tous les sens, des générations d’élus ont fait de la Constitution une sorte d’auberge espagnole où tout un chacun trouve les arguties juridiques qu’il y a apportées, l’exemple venant naturellement du haut…

C’est à de véritables travaux d’Hercule que s’attaque un homme qui en a d’ailleurs l’imposante stature, mais qui, avec ses impeccables états de service, est fort surtout de son audience locale et internationale. Qu’il s’agisse de la pacification du Sud sur la base des diverses résolutions de l’ONU, de la délimitation de toutes les frontières, de la décentralisation, du retour de la communauté chiite dans le giron de l’État ou encore des réformes et du redressement économico-financiers, Joseph Aoun aura cependant besoin d’être secondé par un gouvernement partageant ses options, en grande harmonie avec ses orientations. En se décidant à élire un chef de l’État en parfaite connaissance des vues de ce dernier, la Chambre des députés n’a en fait parcouru qu’une partie du chemin, puisqu’il lui faut encore désigner le Premier ministre adéquat, à la faveur des consultations parlementaires qui démarreront dès lundi prochain. Restera alors à former une équipe gouvernementale à la hauteur de l’évènement, et par-dessus tout homogène, loin de toutes ces hérésies de ministres opposants et de tiers de blocage, propres à décourager les meilleures volontés du monde.

Est-il seulement besoin de souligner que, face à ce véritable marathon, l’allié le plus sûr, le plus précieux du président sera une justice renaissante et retrouvant son indépendance ? Car dans notre pays devenu celui de toutes les turpitudes, il ne s’agit pas seulement de sanctionner contrebandiers et trafiquants de drogue. Des dirigeants ont pillé les ressources de l’État sans avoir eu à en rendre compte. De nombreux attentats, assassinats et autres crimes politiques, avec leur lot de complicités ou d’impardonnables négligences, ont été commis en toute impunité. Un certain juge d’instruction, notoirement menacé jusque dans son bureau du Palais, attend ainsi que l’État ait repris vie pour publier les résultats de son enquête sur les meurtrières explosions de 2020 dans le port de Beyrouth.


L’épée légale ne manque certes pas d’impressionner. Elle le fait encore mieux quand elle s’appuie sur le glaive de la justice.

Issa GORAIEB
 igor@lorientlejour.com

L’élection du général Joseph Aoun à la première magistrature n’a pas seulement mis fin à une vacance présidentielle devenue, par son obstination à se répéter, une des tares les plus criantes de notre démocratie. Elle ne fait pas que consacrer un spectaculaire repositionnement arabe du Liban, miraculeusement débarrassé du carcan iranien qui le défigurait, dans le même temps...