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Le grand muet

Aurons-nous un président de la République aujourd’hui ? Hier, des dizaines de milliers de portraits du général Joseph Aoun étaient, paraît-il, imprimés, et de nombreuses municipalités préparaient pavois et feux d’artifice. Le candidat du Hezbollah, Sleiman Frangié, annonçait son retrait en sa faveur. De plus en plus de groupes parlementaires déclaraient leurs intentions de vote pour le général. Donc, vraisemblablement, sinon raisonnablement, à la question de savoir si notre infortunée république aura aujourd’hui un président après deux ans de vacance, des dizaines d’années d’insoutenables pressions et caprices assadiques et au moins six ans d’effondrements en cascade, on ose répondre oui. Il y a peu de risque à parier sur cette figure largement appuyée par la communauté internationale et dont l’arrivée à Baabda pourrait déverrouiller les indispensables aides à la reconstruction d’une vaste partie du Liban rasée par l’aviation israélienne.

S’il est élu, le général Joseph Aoun – né un 10 janvier, est-ce un signe ? – remplacera dans l’imaginaire collectif un autre « général Aoun », mais dans une version vierge de compromissions prosyriennes et d’implications dans les sales guerres d’avant-Taëf, sans chantage, sans chercher à éliminer quiconque, sans avoir besoin de paralyser le système pour s’imposer à Baabda, sans faire de l’accès à cette responsabilité l’événement de sa vie, trois fois médaillé de guerre, deux fois blessé, héroïque dans sa gestion des combats contre le terrorisme islamiste en 2017, refusant de tirer contre les manifestants lors du soulèvement d’octobre 2019 (« Nous ne sommes pas pêcheurs en eaux troubles ») et ne s’adressant dans ses rares mises au point qu’à l’armée elle-même.

Et pour que le berger entende bien la bergère, le 8 mars 2021, parlant à ses officiers laminés comme tout le reste des Libanais par la crise bancaire et financière, il harangue en direct l’ensemble de la classe politique figée, honteusement désengagée des souffrances de la population : « Où allons-nous ? Qu'attendez-vous ? Que comptez-vous faire ? »

S’il est élu, Joseph Aoun sera, après Fouad Chéhab et par la suite Émile Lahoud, Michel Sleiman et Michel Aoun, le cinquième militaire à la tête d’un État qui n’a pourtant rien, dans son essence, de belliqueux. C’est presque une anomalie pour ce petit pays qui n’a jamais demandé qu’à vivre en paix entre soleil et mer, malgré des inégalités qu’une bonne gestion aurait pu aplanir. Mais l’histoire est faite de dérapages, la politique de faiblesses humaines. Principale vitrine du Liban, Beyrouth s’est stratifiée en quelques années à la manière d’une Babylone contemporaine. Voyez ses cicatrices : traces de shrapnels sur les balcons et façades, du temps où les factions armées arrosaient les quartiers civils au bazooka, sans souci de calcul balistique ou d’évacuation. Une rumeur courait : « Ça va barder ce soir », et chacun savait à peu près à quoi s’en tenir. Voyez les slogans et graffitis de la révolte de 2019 encore étalés sur les murs du centre-ville, voyez le siège du Parlement, encore barricadé contre le principal ennemi des élus : leurs électeurs. Les traces de l’explosion du port sont, elles, plus profondes. Les bâtiments du secteur ont été pour la plupart restaurés ou reconstruits, mais la douleur de cette épouvantable agression restée anonyme, venue de nulle part, n’est pas près de s’atténuer à l’ombre d’une justice neutralisée. Pour le régime syrien et ses avatars locaux, le mot d’ordre a toujours été de maintenir le Liban dans un état de chaos permanent pour l’empêcher de relever la tête. Tant que ce petit voisin ravalait ses légitimes aspirations à l’excellence, à la paix et à une vie décente, les combines du régime Assad n’étaient pas inquiétées.

Certes, on n’attend pas de miracles. L’élection potentielle de Joseph Aoun suscite d’ailleurs peu d’émotion, à comparer avec les tumultueux scrutins de ses prédécesseurs. Une lassitude s’est installée. La récente guerre israélienne déclenchée par l’hubris du Hezbollah sous allégeance iranienne n’a laissé personne indemne, en plus de détruire le beau sud du pays qui avait cru, avec l’évacuation israélienne en 2000, avoir le droit de poursuivre sa vie comme tout le monde. Mais à la suite du télescopage hallucinant d’événements aussi énormes que la liquidation de Hassan Nasrallah et la fuite de Bachar el-Assad, ainsi que la prise du pouvoir, en Syrie, de factions islamistes au passé plus que trouble, la massive silhouette de Joseph Aoun, son attitude ferme et confiante et même son économie de paroles ont quelque chose de rassurant dans l’impermanence libanaise. Sans encore se remettre à rêver d’un pays au moins stable, les Libanais qui entendront peut-être, ce soir, tonner 21 coups de canon et retentir les sirènes marines, auront les larmes aux yeux. Mais ce n’est rien, c’est le vent.

Aurons-nous un président de la République aujourd’hui ? Hier, des dizaines de milliers de portraits du général Joseph Aoun étaient, paraît-il, imprimés, et de nombreuses municipalités préparaient pavois et feux d’artifice. Le candidat du Hezbollah, Sleiman Frangié, annonçait son retrait en sa faveur. De plus en plus de groupes parlementaires déclaraient leurs intentions de vote...
commentaires (5)

Les coups d’encensoir tournent à la génuflexion

Hitti arlette

19 h 38, le 16 janvier 2025

Tous les commentaires

Commentaires (5)

  • Les coups d’encensoir tournent à la génuflexion

    Hitti arlette

    19 h 38, le 16 janvier 2025

  • "le cinquième militaire à la tête d’un État qui n’a pourtant rien, dans son essence, de belliqueux. C’est presque une anomalie pour ce petit pays qui n’a jamais demandé qu’à vivre en paix entre soleil et mer"... l'Armée Libanaise, dans notre Patrie, a surtout la tâche de former des citoyens, des libanais et surtout des patriotes! Pour construire une Nation Moderne pour les Générations futures!! Mabrouk à Joseph Aoun dont le discours lance une période d'éducation intensive à nous tous!

    Wlek Sanferlou

    15 h 13, le 11 janvier 2025

  • Je souhaite que tous les libanais soutiennent le nouveau gouvernement Syrien pour la liberté et la paix. Bertrand Bordier, suisse qui vous admire.

    Bordier Bertrand

    19 h 27, le 09 janvier 2025

  • Je suis très heureux par le geste des Libanais de soutenir massivement Josef Aoun . Je souhaite que tous les libanais se soutiennent pour Je Je Je je souhaite que tous les libanais renforcent le nouveau gouvernement syrien dans la moderation. Bertrand Bordier citoyen suisse qui vous aime.

    Bordier Bertrand

    19 h 21, le 09 janvier 2025

  • Inchallah

    Eleni Caridopoulou

    02 h 45, le 09 janvier 2025

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