Rechercher
Rechercher

Beyrouth, le lendemain

On va pouvoir leur ébouriffer les cheveux, les respirer dans le cou, les attraper la tête dans le frigo, le nez dans les casseroles, pour les serrer encore et encore, et ensuite soumettre à leur expertise la tablette qui ne prend plus le Wi-Fi, le portable qui ne stocke plus de photos, la télécommande qui refuse de commander… et puis voilà, et puis tout, la vie qui revient, les décorations de Noël qui transforment la maison en bazar, la joie désordonnée : les enfants sont de retour et les insomnies ne sont plus d’angoisse. On a vraiment cru, cette fois, que la séparation serait très longue, sans date, sans espoir, mais au pays de tous les maléfices, les carabosses n’ont pas pouvoir sur tout. L’avion qui passe en ce moment au-dessus de vos têtes n’est pas chargé de bombes. Il ramène les exilés les plus téméraires, ceux qui se sont décidés les premiers à réserver leurs places sur les vols de décembre, quoi qu’il arrive. Une deuxième portée viendra, puis une troisième. La guerre est finie, jurent-ils. Ce n’est qu’un cessez-le-feu, insistent les plus réalistes. Mais un cessez-le-feu, c’est déjà Byzance !

Beyrouth émerge, groggy, de deux mois d’horreur et déjà ses rues racontent l’inracontable. Sur la route de l’aéroport, aux portraits de l’ancien chef du Hezbollah tel qu’en lui-même souriant, priant ou doigt levé avant d’être liquidé sous des dizaines de tonnes d’explosifs, succède un portrait du président du Parlement Nabih Berry affiché avec son candidat favori, Sleiman Frangié, à une poignée de semaines de la date qu’il a lui-même fixée pour l’élection présidentielle. Défilent ensuite, financés par des particuliers, chefs d’entreprise, propriétaires de commerces divers et portant leur signature, des panneaux à la gloire de la « résistance », reprenant la rhétorique guerrière qui a tenté de relever le moral des combattants et des habitants des régions ciblées tout au long de la guerre : « Loin de nous l’humiliation », « Gare à l’ennemi, Dieu est avec nous », « Nous sommes victorieux d’une victoire éclatante » et autre littérature rappelant que la milice reste mobilisée malgré les revers subis et les destructions, plus de quatre mille morts en deux mois justifiant d’autres morts à venir. Dès l’entrée d’Achrafieh, les drapeaux des Forces libanaises n’ont pas besoin d’arguments pour signaler à l’arrivant une zone hostile à l’aventurisme chiite. Les territoires ainsi marqués ne présagent pas d’un avenir pacifié.

Mais il est trop tôt pour en spéculer. Pour l’heure, le ciel de Beyrouth a retrouvé ses bruits familiers. Les oiseaux qui l’avaient déserté, chassés par le vrombissement incessant des MK, reviennent dès le petit matin. Sur le rebord des fenêtres, les pigeons roucoulent à nouveau, ridiculisés par les pigeonnes qui les poussent dans le vide, sans autres états d’âme. Il arrive même que des grillons stridulent à la tombée de la nuit, venus des pinèdes brûlées, réfugiés d’un autre type. Dans les magasins, les scies de Noël n’ont pas (encore ?) envahi l’espace sonore. Décorations et marchandises se déploient dans un silence décent, signe qu’en dehors des positions radicalisées, empathie et solidarité prennent malgré tout le dessus. Certaines régions ont beau avoir été épargnées, la guerre a affecté tout le monde.

Derrière les immeubles encore debout, même sur un pied, l’impénétrable Dahyé est creusée de gouffres. Naguère, cet ensemble de quartiers presque bucoliques alignait des maisons à deux ou trois étages, entourées de jardins, propices à une convivialité sans méfiance. La radicalisation a fini par fragiliser ceux qui ont cru en leur propre supériorité. Évacués dans la panique, certains habitants ne retrouvent pas les lieux qu’ils ont quittés. Des compensations de 4 000 à 8 000 dollars sont promises à ceux qui ont perdu ce qui faisait une vie. Ces sommes, bien que considérables si l’on tient compte du nombre de personnes en demande, sont bien loin du compte. Comment réagira le peuple du Hezbollah s’il lui est impossible de regagner ses quartiers et villages? Nombreux sont ceux qui pleurent aujourd’hui Hassan Nasrallah, regrettant les discours qui les galvanisaient et les mots de l’espoir. En sa présence, ils se seraient contentés de mots. Trop de mauvaises politiques ne laissent place aujourd’hui qu’à un terrible silence.

On va pouvoir leur ébouriffer les cheveux, les respirer dans le cou, les attraper la tête dans le frigo, le nez dans les casseroles, pour les serrer encore et encore, et ensuite soumettre à leur expertise la tablette qui ne prend plus le Wi-Fi, le portable qui ne stocke plus de photos, la télécommande qui refuse de commander… et puis voilà, et puis tout, la vie qui revient, les...
commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut