Dans un microcosme où tout le monde veut du mal à tout le monde, tout le monde est facilement convaincu de la nécessité de faire mal le premier avant d’avoir mal à son tour, et la roue tourne à une telle vitesse que le moment arrive où on ne la voit plus bouger. Le moment est arrivé où plus rien ne bouge alors que le tourbillon enfle et s’amplifie. Le ballet des négociations a commencé sans aucune intention de concessions de part et d’autre. Les sourires diplomatiques ne trompent personne. La mort va continuer à roder. On ne sait pas quand ni comment s’arrêtent les guerres. Une lassitude finit par s’installer. La passion des débuts s’étiole. Une routine mortifère s’installe. La haine s’épuise. On essuie les plâtres, on enterre les morts, on aligne des photos sur les pianos fermés, devant les téléviseurs éteints à force de ressasser les mêmes horreurs qui n’horrifient plus personne. La guerre finit comme finissent les orgies, avec un dégoût de soi encore plus que de l’autre, un vide existentiel et un constat effaré de tout ce qu’il reste à reconstruire et panser, de toutes les béances impossibles à combler, de tous les lambeaux d’histoires individuelles et collectives qui ne pourront pas être reprisés. De mauvais arrangements permettant à chacun de sauver la face et justifier l’injustifiable prépareront le terrain à d’autres guerres, chaque descendance devant obligatoirement hériter de la sienne.
Si le diable est dans les détails des accords bancals, des anges se glissent aussi dans les mailles des ères déshumanisées. Comment ne pas pleurer de joie avec les jeunes travailleuses de la communauté du Sierra Leone que, dans leur exode, leurs employeurs ont laissées sur le bord du chemin. Sans papiers, sans argent, sans recours, certaines avec des enfants en bas âge, dans le sauve-qui-peut général elles ont trouvé des mains tendues. Ce n’était pas une association ni une ONG. De simples particuliers, Dea Hage-Chahine, Nasri Sayegh, Lea Ghorayeb et leurs amis et amies se sont démenés pour leur fournir un abri et gérer avec l’ambassade les soucis administratifs et leur rapatriement en toute dignité. Au bout de plus d’un mois de procédures, elles ont pu quitter hier le pays en guerre. C’était un exploit. La goutte d’eau du colibri sur le feu. Elles devaient être heureuses, elles étaient déchirées. Le cœur n’est pas léger, gonflé de tant d’amour. Des liens forts, organiques, se sont noués dans cet abri, loin des tiraillements communautaires, de la méfiance, des exigences, de la cupidité et de l’arrogance observés parfois dans les villes et villages où se sont repliés les déplacés du Sud. C’est un exemple parmi tant d’autres. Nombreux sont les Libanais qui n’attendent pas la distribution des aides, alourdie par mille paperasseries, pour venir au secours de leurs compatriotes. Il y a dans cet élan un ferment d’avenir. On ne peut pas continuer à s’entre-déchirer comme si c’était une fatalité. Israël n’est pas le seul ennemi de ce pays. Chaque communauté est potentiellement pour l’autre un Israël intérieur.
Il paraît que les avions sont pleins pour les fêtes de fin d’année. Fêtes est un grand mot, mais les retrouvailles seront belles. Tant que l’aéroport fonctionne, se revoir restera possible. Rien pourtant ne garantit cet espoir. Souvenir des retours dans les années 1980. La maison froide parce que le fuel avait disparu du marché, mais ripolinée comme on maquille sa pâleur. Le repas opulent, prévu longtemps à l’avance pour mille raisons complexes. Le bonheur mitigé des parents, conscients de vous exposer au danger des obus sporadiques, mais torturés par la séparation. De la guerre ou du manque, lequel est plus cruel ? La même question se pose depuis trois générations.
Tres touchant et dans les moindres détails
21 h 52, le 21 novembre 2024