Il y a quelques mois, Jad el-Rabih, Malak Baajour, Hadi Alawiyeh et Zahraa el-Zein vivaient encore dans leurs propres maisons. Jeunes universitaires tournés vers l’avenir, ils s’apprêtaient à entamer une nouvelle année académique. Mais, comme de nombreux autres jeunes étudiants libanais, leur vie a basculé et ils ont été brutalement projetés dans les dures réalités de la guerre. Déracinés, ils ont dû composer au cours de ces deux derniers mois avec l’angoisse, la peur, le stress permanent et les contraintes liées à l’enseignement en ligne ou en mode hybride, tandis que plane sur le pays l’incertitude du lendemain. S’ils ont réussi à fuir les bombardements et les pilonnages et ont rejoint des zones plus sûres, ils ont malgré tout dû faire face à de nombreuses difficultés. Cependant, bénéficiant tous les quatre du programme de bourses d’études offert par « LIFE », un réseau professionnel mondial ayant pour objectif de soutenir la société libanaise, ils ont comme tant d’autres profité, en plus de l’aide financière, d’un accompagnement destiné à renforcer leur résilience et à diminuer leur détresse, afin de retrouver un équilibre dans leur vie.
Un soutien qui, de l’avis de Jad el-Rabih, 21 ans, s’est avéré extrêmement bénéfique. À tous les niveaux : relationnel, matériel, psychologique et mental.
Bien avant les frappes meurtrières sur la banlieue sud de Beyrouth, et plus précisément sur son quartier de Haret Hreik, il est rentré avec sa famille dans son village natal de Zaarouriyé, au Chouf. En quatrième année de génie informatique et communication à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth (USJ), il poursuit actuellement ses cours en mode hybride et ne se rend à l’université que pour passer ses examens. « L’aller-retour Zaarouriyé-Beyrouth prend trois heures. Cela sans oublier les risques désormais liés aux déplacements », fait remarquer le jeune homme dont le domicile a été endommagé. Jonglant avec la connexion internet, il recevra bientôt son propre boîtier. « C’est toute ma vie qui a été bouleversée », confie-t-il. « Mais je suis plus que jamais déterminé à poursuivre mes études et à aller de l’avant. Je ne suis plus les nouvelles et je me concentre davantage sur ce que j’ai à faire pour éviter que mon rendement académique soit impacté par ce qui se passe », conclut-il.
Étudiante en première année en ingénierie mécatronique à l’Université libano-américaine (LAU), Zahraa el-Zein a dû, elle aussi, en raison des frappes sur la banlieue sud, quitter son foyer à Kafaat pour s’installer à Hamra, chez sa tante maternelle. À 17 ans, la jeune fille admet que sa vie aurait pu prendre un tournant complètement différent si elle n’avait pas candidaté il y a un an pour la bourse d’études avec « LIFE ». « Ma famille n’avait pas les moyens de payer mes études, c’est pourquoi j’ai postulé au programme, mais à aucun moment je n’aurais pu imaginer l’impact de ce réseau sur ma vie. C’est beaucoup plus qu’une bourse d’études, beaucoup plus qu’une simple aide financière », estime-t-elle. « Nos mentors sont toujours disponibles, présents, ouverts et à l’écoute à tout moment. On peut leur parler de tout et de rien, en toute occasion », note-t-elle. « Certains d’entre eux étaient de jeunes universitaires lors de la guerre civile. Ils ont traversé ce que nous sommes en train de vivre actuellement. Ils nous encouragent et nous disent qu’ils sont passés par là aussi et que cela finira par s’arrêter, qu’il y a toujours de l’espoir », raconte-t-elle. Et de poursuivre : « Ils nous incitent à exprimer nos ressentis, ils les valident, ils nous donnent des conseils pour gérer notre quotidien, ils nous aident d’une manière vraiment très particulière en ces circonstances, en nous offrant gratuitement un espace sûr et sécurisant pour extérioriser nos émotions. »
En effet, si au début c’était extrêmement difficile pour Zahraa, de nature introvertie, la jeune étudiante a finalement réussi à se sentir en sécurité et à parler de son propre vécu. « À chaque fois, nous découvrons quelque chose de nouveau mais ce qui m’a le plus interpellée, ce sont les propos du Dr Tony Sawma (NDLR : psychologue clinicien) qui a tenu à nous rappeler qu’il y a un avant et un après, et que même si nos rêves semblent aujourd’hui lointains, il ne faut jamais désespérer », avoue-t-elle.
Depuis, l’étudiante a décidé de se concentrer sur une solution constructive. Elle consacre toute son énergie à ses études. « Le monde ne s’est pas arrêté. C’est pourquoi nous devons continuer et nous adapter pour pouvoir atteindre nos objectifs et concrétiser nos rêves », ajoute-t-elle. Elle cherche aussi à voir le bon côté des choses. « Je suis déjà reconnaissante de ne pas vivre avec des étrangers, que nous sommes dans une meilleure situation que tant d’autres, que l’université est à deux pas et que je peux m’y rendre pour suivre mes cours, que je passe davantage de temps avec ma tante… J’essaye de cultiver un état d’esprit positif, sinon je risquerais de rester alitée toute la journée à pleurer », confie-t-elle. Parvient-elle à envisager l’après-guerre et à se projeter dans l’avenir ? « Parfois, je me sens perdue, comme s’il n’y avait pas de lendemain », confie-t-elle. « Nous vivons au jour le jour, pire même, une heure après l’autre. J’angoisse surtout la nuit quand on commence à recevoir des ordres d’évacuation. À chaque fois, j’ai peur que ma maison ou celles de nos amis ou voisins ne soient détruites. C’est un sentiment que personne ne devrait ressentir. Je n’arrive pas à imaginer ce que je ferais. Je serais anéantie. Tous mes souvenirs, toute ma vie sont là-bas. Je veux croire que ce n’est qu’une phase et que je vais bientôt rentrer chez moi, comme si de rien n’était », a-t-elle ajouté, la voix nouée par l’émotion.
Je me sentais impuissante
Situation quasi similaire pour Malak Baajour, jeune étudiante en troisième année de génie industriel à l’Université américaine de Beyrouth (AUB). Habitant près de la route de l’aéroport où elle a grandi, la jeune fille de vingt ans s’est retrouvée depuis le 23 septembre chez son oncle maternel à Yarzé, dans un appartement qui a accueilli presque toute la famille en provenance du Liban-Sud et de Beyrouth, soit au total 25 personnes. La jeune universitaire, qui a récemment rejoint le réseau des boursiers de « LIFE », avoue avoir eu du mal au début à s’habituer à la situation. Déracinée, elle avait besoin d’intimité, de solitude et de temps pour elle-même pour faire la part des choses. « Je ne disposais pas de ma propre chambre, ni d’une table, ni d’une connexion wi-fi. Et je manquais de calme pour poursuivre mes cours en ligne. Mais après quelques jours, j’ai fini par créer mon propre cadre, réussir à prioriser mes tâches et me reconnecter à la réalité », avance-t-elle. Quelle ne fut sa surprise lorsqu’elle reçut un appel de la part de l’équipe de « LIFE » qui s’enquérait de son état et lui proposait aide et assistance. « Tout au long de cette période, les membres ont été magnifiquement solidaires et se sont mobilisés en grand nombre. Ils ont donné de leur temps. Ils ont proposé des idées. Ils nous ont écoutés. J’ai reçu un soutien incroyable », souligne-t-elle. « J’étais en colère, je devenais de plus en plus irritable, je me sentais impuissante et je souffrais de voir les membres de ma famille vieillir de cent ans en un jour, surtout ma grand-mère. Cela me peinait de les sentir physiquement et moralement fatigués sans que je puisse les aider », explique-t-elle. Cependant, lors de la première rencontre axée sur la santé mentale, Malak Baajour a été profondément marquée par les questions posées. « Qu’est-ce qui vous rend heureuse ? Qu’est-ce qui vous rend triste ? Qu’est-ce qui vous met en colère ? » Trois questions auxquelles elle a tenté de répondre et qui l’ont poussée à réaliser l’importance de ce qu’elle possède.
« Nous avons l’habitude de prendre les petits riens de la vie pour acquis, mais, en ces dures circonstances, j’ai appris à apprécier ce que veut dire avoir une famille, un toit, un foyer, ce que veut dire vivre en sûreté… ». Si pour le moment la jeune fille vit au jour le jour, se sent reconnaissante que sa maison tienne toujours debout, que sa famille est saine et sauve, qu’elle avance sur le plan académique, elle est désormais sûre que sa vision du monde a radicalement changé. « Hier encore, j’accordais de l’importance à des trucs qui me semblent aujourd’hui futiles, alors que ce qui est important réside ailleurs », confie-t-elle. Retrouver son foyer est à ses yeux une priorité. Mais, pour l’heure, elle se concentre sur la préparation des deux entrevues de stage qu’elle a obtenues grâce à « LIFE ». Originaire du célèbre village frontalier de Maroun el-Rass au Liban-Sud, Hadi Alawiyeh, 21 ans, réside depuis des années à Aïn el-Remmaneh. Poursuivant une formation en génie informatique et communication à l’Université antonine (UA), il effectue des allers-retours à son domicile, en fonction de la situation sécuritaire. Il se réfugie chez des proches lorsque les frappes israéliennes s’intensifient. « En ces durs moments, tout un chacun a besoin d’aide financière », estime-t-il. « Toutefois, le soutien de « LIFE » dépasse de loin cet aspect, aussi important soit-il », précise-t-il. « Le contact humain, l’appui socio-émotionnel, les relations interpersonnelles ont créé un fort sentiment de connexion, un grand réseau de soutien vers lequel on peut se tourner à tout moment », conclut-il.
Courage a tous nos chers eleves: C'est cela la vraie resistance au fanatisme, a la violence et l'obscurantisme de tous les cotes! Bravo! L'education nous sauvera: notre histoire d'ouverture et de culture va perdurer!
18 h 54, le 14 novembre 2024