Dans une salle de classe, des cris stridents retentissent. Des élèves paniqués se sont subitement levés de leur siège, arpentant nerveusement les rangées. Leur bâtiment, à Baabda, offre une vue plongeante sur la banlieue sud de Beyrouth, où un missile israélien vient de s’abattre. Dès 10h40, mardi matin, des quartiers de Laïlaki, Ghobeiry, Haret Hreik et Hadath ont été la cible d’une série de bombardements israéliens, après trois appels à évacuer lancés par l’armée israélienne vers 10h. A travers la baie vitrée, un nuage de fumée noire s’élève à quelques centaines de mètres de là. La vidéo circule en boucle sur les réseaux sociaux. Elle se déroule, assure-t-on, au Collège des pères Antonins de Baabda. Nous n’avons pas réussi à joindre la direction de l’institution pour vérifier l’information. Mais au standard, où on ne commente pas la vidéo, on nous répond que « tout se déroule normalement au collège où l’on entend au loin le bruit des explosions ».
Depuis la rentrée scolaire, le 7 octobre pour les écoles privées et le 4 novembre pour le public, c’est la première fois que la banlieue sud de Beyrouth est pilonnée en pleine journée, alors que les élèves sont en classe. Le 22 octobre, plusieurs attaques israéliennes avaient visé la zone en plein jour, faisant notamment s’écrouler un immeuble de dix étages à Tayouné, mais ces bombardements avaient eu lieu après la fin des cours. Et le 2 novembre dernier, un missile s’est abattu dans le secteur de la galerie Semaan à Hadath, mais c'était un samedi et les écoles étaient donc fermées.
« A chaque fois qu’une explosion retentissait ce matin, toute la classe hurlait et une fois les élèves calmés, le cours reprenait, comme si de rien n’était ». Caroline M., mère d’une élève de première, relate l’ambiance qui régnait ainsi dans la salle de classe de sa fille, en première au Grand Lycée franco-libanais de Beyrouth (GLFL). Dès le premier appel à évacuer lancé par l’armée israélienne, vers 10h, suivi des premiers bombardements, elle a échangé avec sa fille de rapides messages, histoire de la rassurer. En même temps, la direction de l’établissement a rapidement pris les devants, anticipant les frappes, soucieuse de gérer la situation et de contenir la panique des élèves et des parents.
« Suite aux annonces concernant la banlieue sud, il est possible que des détonations soient entendues au Grand-Lycée. Les surveillants et les enseignants ont rassuré les élèves et toute la communauté est en sécurité dans notre enceinte. Nous restons attentifs à l’évolution de la situation et reviendrons vers vous si nécessaire », précise le communiqué signé par la direction. « La direction a également autorisé les élèves à suivre les cours restants de la journée en ligne, chez eux », ajoute la mère de famille.
La crainte des tirs en l’air
A 13h30, treize frappes israéliennes avaient ciblé les quartiers de Haret Hreik, Ghobeiri, Mrayjé, Laïlaki, Hadath, ainsi que l’autoroute Hadi Nasrallah dans la banlieue sud de Beyrouth. A chaque explosion, élèves et enseignants ne pouvaient s’empêcher de sursauter, et des parents d’élèves de se précipiter pour ramener leurs enfants chez eux. Le GLFL est pourtant situé en plein cœur du quartier chrétien d’Achrafieh, un quartier qui n’est pas la cible des bombardements israéliens et qui abrite plusieurs établissements scolaires et garderies.
Un père de famille s’est ainsi inquiété pour ses enfants déposés le matin dans une garderie d’Achrafieh, place Sassine. « Il ne faut surtout pas qu’on les fasse jouer sur le toit », suppliait-il son épouse dès le premier appel à évacuer, craignant d’éventuels tirs en l’air depuis la banlieue sud de Beyrouth. Des tirs ont d'ailleurs été entendus dans la zone afin d'avertir les éventuels riverains encore présents sur les lieux.
L’ambiance était similaire, au Collège Notre Dame de Nazareth, quelques centaines de mètres plus loin. Des parents ont rapidement récupéré leurs enfants, tandis que des responsables ont organisé des activités ludiques à l’intention des tout-petits pour dédramatiser la situation. « Les coups étaient assez forts pour apeurer les élèves, même les plus âgés », observe Zeina, une enseignante de terminale. « Dès les premières explosions, leur inquiétude était visible. Certains ont crié, d’autres ont écarquillé les yeux. J’ai alors expliqué aux élèves que les bombardements étaient dirigés sur la banlieue sud de la capitale, loin d’eux, et qu’ils n’étaient pas en danger. Le cours a aussitôt repris », indique-t-elle, regrettant qu’il faille « normaliser une situation qui ne l’est pas ».
Une récré en musique contre l’anxiété
Le bruit des explosions s’est également fait entendre au Collège Notre Dame de Jamhour, dans le Metn sud, où les enseignants ont redoublé d’efforts pour distraire les enfants, particulièrement les plus jeunes. « Pour réduire l’anxiété des tout-petits, les enseignants ont diffusé de la musique durant la récréation », témoigne Nouchka*, mère d’une jeune élève.
Relayant la gestion de crise, le comité des parents d’élèves a pour sa part rassuré les parents, précisant que « tous les enfants vont bien » et que la journée s’est déroulée normalement. « Le bruit des bombardements a été entendu, mais de loin. Les enfants qui étaient à l’intérieur n’y ont même pas prêté attention », souligne le communiqué publié en journée.
Le 17 octobre dernier, l’Unicef mettait en garde contre les répercussions de l’aggravation du conflit sur la santé physique et mentale des enfants. « Le bilan psychologique est immense, en particulier pour les jeunes. Les enfants sont désormais confrontés à des cauchemars de bombardements, à la perte d'êtres chers et à l'effacement de leurs maisons et de leurs écoles », a déploré l’organisation onusienne pour l’enfance. Le conflit entre le Hezbollah et Israël qui a débuté le 8 octobre 2023 au lendemain d’une attaque du Hamas contre Israël depuis Gaza, a redoublé d’intensité le 23 septembre dernier, date du début de l’offensive israélienne terrestre au Liban.
La normalisation de l'anormal... C'est vrai ! Les gens en dehors du Liban nous prennent pour des anormaux quand ils lisent ça...
20 h 09, le 12 novembre 2024