Alors que l’offensive israélienne en cours contre le Liban fait craindre les pires scénarios sécuritaires sur le plan interne, et au moment où des images de cambrioleurs présumés attrapés par des justiciers dans des quartiers bombardés et désertés par leurs habitants ont fait le tour des réseaux sociaux il y a quelques semaines, le taux de criminalité sur les huit premiers mois de 2024 serait globalement inférieur à celui de la même période en 2023.
C’est ce que montrent des chiffres des Forces de sécurité intérieure (FSI) non encore rendus publics par ces dernières mais compilés par le cabinet Informations International. Mohammad Chamseddine, qui a réalisé cette étude, relève notamment une nette baisse du nombre de vols de voiture, une légère baisse des vols en général et une stabilité dans les cas d’homicide. Toutefois, les cas d’enlèvement contre une rançon ont augmenté durant cette période.
Selon les chiffres communiqués par Mohammad Chamseddine à L’Orient-Le Jour, les vols de voiture durant la période de janvier à octobre 2023 étaient de 848, contre 435 pour la même période de l’année en cours. Soit une diminution de près de la moitié. Les homicides, eux, sont passés de 136 à 133, marquant ainsi une toute légère baisse. Les vols, de manière générale, signalés à la police étaient de 2 642 en 2023 contre 2 288 pour la même période en 2024. Seuls les enlèvements accompagnés d’une demande de rançon ont connu une légère hausse, passant de 23 à 36. Les chiffres du chercheur, notamment la baisse qui concerne les vols de voiture, nous ont été confirmés par une source de sécurité qui préfère rester anonyme.
Selon le chercheur, cette baisse relative des chiffres pourrait être due à une présence plus active de l’armée et des FSI dans les quartiers où des déplacements massifs de populations ont été signalés. Depuis l’ouverture du « front de soutien » par le Hezbollah le 8 octobre 2023, et surtout l’intensification de l’offensive israélienne fin septembre, le pays compte plus de 1,3 million de déplacés. La source rejoint le chercheur en affirmant que la présence accrue des forces de sécurité dans les différents quartiers, ceux qui sont sûrs tout comme ceux qui sont sous les bombes, contribue à réduire le taux de criminalité. De nombreux réseaux de voleurs auraient ainsi été démantelés dans des régions désertées, notamment dans la banlieue sud de Beyrouth, poursuit-elle.
Les forces armées souffrent gravement de la crise économique qui frappe le Liban depuis 2019 et affecte leurs capacités à patrouiller et déployer assez d’effectifs pour leurs missions.
Passages vers la Syrie fermés
Selon la source sécuritaire, l’intensification de la guerre dans le pays a réduit la mobilité de la population, et par conséquent celle des criminels aussi, ce qui pourrait expliquer le phénomène observé. Les bombardements sur la Békaa et la fermeture forcée des points de passage vers la Syrie seraient aussi des facteurs décisifs dans la baisse des vols de voiture, puisque nombre de véhicules volés se retrouvent souvent en Syrie, via la Békaa.
Pour cette source de sécurité, le souci aujourd’hui n’est pas lié aux vols ordinaires, mais plutôt aux risques de tensions dans des quartiers surpeuplés, ce qui génère toutes sortes de problèmes allant des disputes aux désagréments causés par la multiplication des deux-roues sur les routes, au tapage nocturne… Selon la source précitée, les forces de sécurité devront mener dès lundi des campagnes nocturnes pour mieux contrôler le mouvement des motocyclettes et réduire les risques de friction avec les résidents.
Des chiffres en deçà de la réalité ?
Selon cette source sécuritaire, il n’est pas impossible que les menus larcins se multiplient, étant donné la paupérisation croissante de la population, et il est probable que ces vols à petite échelle ne soient pas toujours signalés aux autorités. Omar Nachabé, criminologue, est ainsi d’avis que le signalement des crimes et délits pourrait être inférieur à la réalité. « En état de guerre, le signalement des crimes et délits baisse automatiquement », dit-il à L’OLJ. « De plus, dans les régions bombardées en permanence, les gendarmeries ne sont plus opérationnelles ou ont fusionné momentanément avec des gendarmeries d’autres régions. Elles ne sont donc plus en capacité de recenser ces signalements et d’en publier les chiffres », poursuit-il.
Sans compter, selon le criminologue, les défis auxquels les forces de sécurité font face, que ce soit dans l’incarcération des criminels, les interrogatoires, leur transport vers les cours de justice… ou encore les salaires et les avantages qui ne sont plus versés ou assurés régulièrement aux agents. « Je pense que dans des circonstances aussi difficiles, le recensement relatif au taux de criminalité n’est pas une priorité pour les forces de sécurité. Il se peut donc que ce ne soit pas le taux de criminalité qui ait baissé, mais que l’enregistrement des plaintes ne soit pas toujours comptabilisé, d’où le fait que les chiffres pourraient être en deçà de la réalité », conclut-il.