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Nos Lecteurs ont la Parole

Maman est rentrée

J’ai tout fait pour qu’elle reste.

En vain...

Maman est partie et cette fois-ci elle me laisse derrière, non seulement déboussolée par son absence, mais au-delà de tout inquiète.

Je la laisse partir dans un pays en guerre qui par malchance est le sien, le mien, le nôtre...

Cette fois c’est moi qui ne veux pas lui lâcher la main. Douze ans après mon départ, c’est moi qui aimerais la prendre par la main et la garder dans mes bras. C’est moi qui aimerais dormir auprès d’elle le soir, qu’elle me pose plein de questions sur mes journées, qu’elle me demande dix fois par jour si j’ai bien mangé. J’aimerais redevenir petite, celle qui a le plus besoin de sa présence, et qu’elle se sente obligée de rester.

Tenté... Pas réussi.

Maman est loin de moi, elle est partie chez nous, et j’ai peur pour elle. Cette simple phrase résume, je crois, toute l’insécurité émotionnelle que la diaspora libanaise vit aujourd’hui.

Maman est partie chez papa, elle culpabilise.

« Comment le laisser tout seul dans cet abîme ? »

« Mais maman, j’aurais au moins une partie de moi dégagée de cette lourde brume qui m’habite. »

« Je dois vraiment y aller... ton papa, ta téta... ils ont besoin de moi. »

Ils ne sont pourtant qu’à quatre heures en avion mais, cette fois-ci, c’est comme s’ils étaient sur une autre planète.

La dernière note de nos au revoir a toujours été plutôt positive, sachant quand on se reverra. Cette fois-ci, c’est différent. L’au revoir est resté en suspension. Trois points, un soupir et une interrogation...

Comment digérer cette incertitude ? Cette perte totale du contrôle sur nos vies ? Comment vivre avec ? Et comment expliquer à notre corps pourtant en sécurité l’agitation de notre esprit ?

J’ai laissé ma maman partir et rentrer à la maison sous les bombes. Je l’ai laissée partir vers une terre en feu. Une terre brûlée vive.

À quand la prochaine réunion ? Cela dépend. Pas de nous, évidemment.

En attendant nos retrouvailles, un dégagement quelconque, j’écoute une chanson de Feyrouz qu’on fredonnait ensemble en voiture, sur notre chemin vers mes grands-parents entre les champs, aujourd’hui enfumés : « Fi amal... Eh fi amal » (il y a de l’espoir, oui il y en a).

Sabine CHAMOUN

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

J’ai tout fait pour qu’elle reste.En vain...Maman est partie et cette fois-ci elle me laisse derrière, non seulement déboussolée par son absence, mais au-delà de tout inquiète. Je la laisse partir dans un pays en guerre qui par malchance est le sien, le mien, le nôtre...Cette fois c’est moi qui ne veux pas lui lâcher la main. Douze ans après mon départ, c’est moi qui aimerais la...
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