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On ne gagne plus les guerres en allant à la mort

À l’heure d’écrire ces lignes, un homme en turban blanc, voix fluette, s’exerce à l’expression du méchant en martelant : « Nous sommes forts ! Nous sommes invincibles ! Patience, nous vaincrons ! Nous serons encore plus forts. » Et de se flatter d’avoir ciblé la chambre à coucher de Netanyahu et de l’avoir fait « mourir de peur ». S’il était mort on l’aurait su. La victoire ne supporte pas les métaphores. Faire peur est une chose, raser des villages entiers, effacer toute trace de vie passée, présente et future est une autre. La guerre qui s’est ouverte était dès le départ clairement inégale, et le Liban – déjà exsangue à force de trompeuses fanfaronnades enrobées de poèmes et de citations –, n’en avait pas les moyens. Tout autant que le Parti de Dieu, qui prétend s’être lancé dans cette guerre à titre préventif – l’équivalent létal d’un procès d’intention–, Israël insinue à présent détenir des preuves qu’une « invasion du type 7 octobre » se préparait à sa frontière nord. On ne gagne plus les guerres en allant à la mort pour complaire à un Dieu à qui l’on attribue un penchant pour le sang, les ruines et le sacrifice des jeunes (« Prends mon Dieu, prends ton content ! » s’écriait Hassan Nasrallah aux funérailles de son fils tombé en martyr au Liban-Sud en septembre 1997). Les guerres se gagnent désormais avec des technologies perverses que peu possèdent. Tandis que le nouveau secrétaire général du Hezbollah aligne les prétextes qui ont poussé son parti à tirer le premier, l’attaque d’Israël contre Baalbeck est en cours.

Des dizaines de milliers d’habitants de la Békaa prenaient hier après-midi les routes indiquées par le porte-parole de l’armée israélienne qui déplace à son gré les civils et les familles des militants de la « résistance », tandis que ces derniers meurent dans des combats disproportionnés sous instructions iraniennes. À la publication des listes des centres d’hébergement, le calcul est vite fait. Les écoles disponibles peuvent accueillir tout au plus un millier de personnes serrées au-delà des capacités. Où iront les autres ?

Une fois les villes et villages évacués, et de nouvelles populations poussées à l’errance, à peine ose-t-on s’interroger sur le sort des temples de la cité du soleil, symboles d’un Liban qui a tenté d’exister à travers les arts, désormais menacé dans son essence-même. On n’oubliera pas la velléité, en novembre 2023, du ministre de la Culture Mohammad Mortada, proche du Hezbollah, de retirer du site antique l’emblème du Bouclier bleu de l’Unesco au prétexte que « ce qui protège, c’est notre vaillante armée et la résistance ». Comment affirmer cela aujourd’hui ? Bombarder Baalbeck équivaudrait à bombarder le Parthénon ou Notre-Dame de Paris. On l’aura compris, le Hezbollah n’a que faire des vieilles pierres, mais à ce stade, Israël n’a pas plus de raisons de s’en soucier. Déjà, sur les réseaux sociaux, les plus belles photos du temple de Jupiter s’affichent comme un adieu, accompagnées d’un cœur noir. Ce conflit laissera-t-il encore une chance à la musique de perler au bord des paupières et porter les cœurs au firmament ?

Dans les inextricables embouteillages occasionnés par le brusque surpeuplement des régions accueillant les déplacés ou le ciblage inopiné de véhicules transportant des munitions ou quelque tête recherchée par les drones de Tsahal, une seule idée vous hante, celle d’un gâchis effarant, d’une guerre pour rien comme toutes les autres et qui n’aura pour résultat que la destruction de ce qui reste. En pleine saison des olives, les gens du Sud ont abandonné leurs vergers. Là, sous les arbres généreux qu’on gaulait avec délicatesse pour ne pas casser les branches, s’étendaient des draps de toutes les couleurs. Les olives y tombaient en pluie et c’était un moment de joie pure, de danses et de rires. On tamisait ensuite sur un vieux sommier à ressorts pour séparer les fruits des feuilles avant de les prendre au pressoir où l’olive exprimait son or. Chacun attendait son tour, chargé de sa propre récolte. Café et cigarettes, et on avait le temps, on le prolongeait, ce temps, parce qu’il serait trop bref. Cette année les olives ont plu en vain. Tout ce qui faisait une vie ne fait plus sens. Entre deux triomphes possibles, celui d’Israël ou celui du Hezbollah, seul sera vaincu un certain idéal du Liban, pays de convivialité et de chaleur humaine, dernier refuge de la diversité.

À l’heure d’écrire ces lignes, un homme en turban blanc, voix fluette, s’exerce à l’expression du méchant en martelant : « Nous sommes forts ! Nous sommes invincibles ! Patience, nous vaincrons ! Nous serons encore plus forts. » Et de se flatter d’avoir ciblé la chambre à coucher de Netanyahu et de l’avoir fait « mourir de peur ». S’il était mort on l’aurait su. La victoire ne supporte pas les métaphores. Faire peur est une chose, raser des villages entiers, effacer toute trace de vie passée, présente et future est une autre. La guerre qui s’est ouverte était dès le départ clairement inégale, et le Liban – déjà exsangue à force de trompeuses fanfaronnades enrobées de poèmes et de citations –, n’en avait pas les moyens. Tout autant que le Parti de Dieu, qui prétend...
commentaires (8)

Bravo !Editorial poignant et percutant !Mais ces incultes enturbanés de blanc, ou de noir ou encore vêtus de jaune ou de vert, n'ont aucune chance d'entendre raison.Car le captagon, dont ils font commerce avec la force d'une fatwa hérétique, est plus fort que toute raison.Puissent-ils rejoindre tous ce paradis tant convoité. Rapidement. Avant qu'il ne soit trop tard pour ce qui reste du Liban et des libanais.

What a Guy !

10 h 20, le 02 novembre 2024

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Commentaires (8)

  • Bravo !Editorial poignant et percutant !Mais ces incultes enturbanés de blanc, ou de noir ou encore vêtus de jaune ou de vert, n'ont aucune chance d'entendre raison.Car le captagon, dont ils font commerce avec la force d'une fatwa hérétique, est plus fort que toute raison.Puissent-ils rejoindre tous ce paradis tant convoité. Rapidement. Avant qu'il ne soit trop tard pour ce qui reste du Liban et des libanais.

    What a Guy !

    10 h 20, le 02 novembre 2024

  • L'analyse est brillante. Sinon, je cueille actuellement des olives en Italie. Je copie votre texte du paragraphe sur les olives car votre très beau texte m'a touché. Merci !

    Fournier Alexandre

    19 h 07, le 01 novembre 2024

  • Merci pour cet article. Triste vérité

    Tacla sfeir

    13 h 46, le 01 novembre 2024

  • Envie de pleurer

    Carla Yared

    05 h 15, le 01 novembre 2024

  • "dizaines de milliers d’habitants de la Békaa prenaient hier après-midi les routes indiquées par le porte-parole de l’armée israélienne" le jeu préféré des libanais dorénavant "Jacques a dit..."

    Wlek Sanferlou

    13 h 39, le 31 octobre 2024

  • Merci Fifi. Apparement le nouveau secrétaire parle le français. Si seulement il lit cet article. Peut être qu’il aura une petite conscience de ce que le Hezbollah fait endurer au Liban.

    Achkar Carlos

    12 h 56, le 31 octobre 2024

  • J’espère qu’ils vont pas toucher le site romain et un des plus beau de l’empire romain

    Eleni Caridopoulou

    11 h 55, le 31 octobre 2024

  • Tristement, vous avez raison!

    Charles Sebbag

    00 h 36, le 31 octobre 2024

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