
Une vue de la belle façade du musée Sursock. Michel Sayegh/L’OLJ
Décrocher les œuvres des cimaises, les placer en lieu sûr, suspendre les programmations d’expositions et fermer les portes aux visiteurs en attendant le retour de jours meilleurs : une pratique de précaution à laquelle sont désormais rompus les galeristes et directeurs de musée au Liban. Depuis le mouvement de révolte et les saccages qu’y ont opérés certains infiltrés parmi les manifestants en 2019, jusqu’à l’irruption il y a un mois d’une guerre totale sur le Liban, en passant par l’interruption due à la pandémie planétaire et la ravageuse double explosion au port de Beyrouth en 2020, ces cinq dernières années, les événements dévastateurs se sont succédé à un rythme à chaque fois plus intense et rapproché, paralysant tous les domaines d’activité du pays. À commencer par le secteur artistique et culturel, jugé moins essentiel en période de troubles.
« Une fois de plus, nous nous trouvons en train de démonter les œuvres d’art de nos murs, non dans un objectif de rénovation ou de célébration, mais de protection. Alors que la guerre fait rage, le musée Sursock a décidé de fermer temporairement ses portes et de mettre ses collections à l’abri dans les dépôts en sous-sol », annonçait, il y a quelques jours, Karina el-Hélou dans un post sur la page Facebook de l’institution muséale beyrouthine.
Une décision prise un mois après l’extension des frappes israéliennes sur toutes les régions du Liban. Et que la directrice du musée, contactée par L’Orient-Le Jour, justifie par des raisons essentiellement liées à la situation des employés et à la logistique de l’établissement.
« Avec le peu de visites que nous avions ces dernières semaines, nous n’avons pas voulu prendre le risque de maintenir le musée ouvert. D’autant que nos agents d’accueil et de sécurité vivent dans les quartiers touchés par les bombardements israéliens. Nous avons donc décidé de fermer nos portes – hormis pour la boutique du musée qui reste ouverte – le temps de nous réorganiser et d’assurer la sécurité du personnel. »
Quant au décrochage des toiles et la mise à l’abri des collections d’œuvres dans les entrepôts, il s’agit d’une disposition en quelque sorte réglementaire en période de clôture du musée, explique en substance Karina el-Hélou.
« Si nous prenons du recul par rapport à notre espace physique, notre engagement en faveur de l’art, de la culture et de l’éducation demeure. Nous allons transférer une partie de nos activités en ligne et d’autres initiatives sont en cours. Restons en contact. Ensemble, nous continuerons à créer, à inspirer et à persévérer », rassure sur les réseaux sociaux la directrice du musée Sursock. Qui indique à L’OLJ envisager sa réouverture vers la mi-décembre.
Au Musée national de Beyrouth, on ouvre
Un musée ferme, un autre annonce le maintien de ses portes ouvertes. C’est le mouvement de balancier contraire qui a lieu du côté du Musée national de Beyrouth. Après un démarrage en sourdine de l’exposition inaugurale de sa nouvelle extension – le pavillon Nuhad es-Said pour la culture –, dont le vernissage officiel était prévu pour le 18 septembre, le principal musée archéologique et patrimonial du Liban persiste et signe dans sa détermination à maintenir ses activités et ses rendez-vous avec le public en dépit de tous les écueils. « Pour partager la culture et l’héritage communs », indique la note postée via les réseaux sociaux.
Le Musée national de Beyrouth ouvre ses portes aux visiteurs voulant découvrir sa nouvelle extension et l'exposition inaugurale du pavillon Nuhad es-Said. Photo Musée national
« Le pavillon Nuhad es-Said pour la culture fait le choix d’ouvrir ses portes aux visiteurs et de rester accessible aux publics désirant découvrir ses espaces, son Pavilion Café et son exposition inaugurale conçue et organisée par le Beirut Museum of Art (BeMA). » Les horaires d’ouverture sont cependant limités entre 9h30 et 15h, l’établissement étant situé rue de Damas, dans le quartier beyrouthin de Badaro, assez limitrophe des quartiers de la banlieue sud…
Et les galeristes persévèrent
Idem pour les galeries beyrouthines qui, en fonction de leur localisation, reprennent un semblant d’activité normale, après une parenthèse de fermeture au cours des premières semaines qui ont suivi le déclenchement des hostilités sur l’ensemble du Liban le 17 septembre.
Habitués, désormais, à gérer les fluctuations de la situation sécuritaire que traverse le pays du Cèdre, les galeristes libanais rouvrent donc pour la plupart leurs portes aux visiteurs. « Persévérer » est devenu leur maître-mot.
Après quelques semaines de mise en sourdine, au cours desquelles elles ne recevaient les visiteurs que sur rendez-vous, de nombreuses galeries de la capitale, à l’instar de Tanit à Mar Mikhaël (un quartier jusque-là épargné par les bombardements israéliens), Marfa’ (dans le secteur du port) ou Janine Rubeiz (située à Raouché, sur la corniche longeant la mer), rouvrent à nouveau leurs portes 4 jours sur 7, soit du mardi au vendredi, avec cependant des horaires raccourcis (de 11h à 15h/16h ).
Pour l’instant, la plupart d’entre elles jouent les prolongations (à dates indéfinies) des accrochages d’œuvres sur leurs cimaises. Tout en continuant à préparer en coulisses de nouvelles expositions « si les jours à venir le permettent ».
Comme l’indique Nadine Begdache, à la tête de la galerie Janine Rubeiz, « nous sommes convaincus qu’il faut faire face aux défis. C’est pourquoi nous réfléchissons à des expositions qui soient en résonance avec la situation ». Une conviction largement partagée par Saleh Barakat, l’un des plus importants galeristes de la capitale, propriétaire de deux espaces d’exposition en plein cœur de Beyrouth, Agial et sa galerie éponyme, qui a décidé de poursuivre sa programmation établie pour les prochains mois, coûte que coûte. À commencer « par le vernissage le 7 novembre des œuvres du sculpteur Joseph Hourany. Une exposition sensationnelle, magnifique, du jamais-vu », assure le galeriste qui, par son acharnement, veut envoyer au monde « un message optimiste », dit-il. « En montrant que le Liban n’est pas détruit et que son art reste présent, envers et contre tout ! »
Bravo et un grand merci à tous!
10 h 31, le 02 novembre 2024