L’opposition est enfin sortie de son silence. Après une période de réserve, les protagonistes de ce camp se sont déchaînés ces deux derniers jours contre le Hezbollah, dans la foulée de la toute dernière escalade survenue en début de semaine entre le parti chiite et Israël. Sauf que cette fois-ci, ils ne se sont pas contentés de leur discours politique habituel. Ils ont haussé le ton. Au-delà des appels à fermer le front de soutien et même à l’application de la résolution 1559 (2004) du Conseil de sécurité, certaines composantes de ce camp ne mâchent plus leurs mots : l’heure du désarmement du parti de Hassan Nasrallah a sonné, et cela doit se faire, même sans que soit mise en place une stratégie de défense au préalable. Il reste que ce réveil de l’opposition s’est opéré à deux vitesses. Car le chef des Forces libanaises, Samir Geagea, s’en est légèrement démarqué. Il n’a pas attaqué frontalement le Hezb, préférant décocher ses flèches en direction du président de la Chambre, Nabih Berry, sous prétexte de blocage délibéré des institutions.
C’est le chef des Kataëb, Samy Gemayel, qui a ouvert le bal jeudi, « parce que le silence est devenu inacceptable », comme le souligne à L’Orient-Le Jour un député du parti. « Nous appelons le Hezbollah à mettre fin au front de soutien avant que la catastrophe ne s’aggrave, et à remettre ses armes à l’armée libanaise ». « Il ne s’agirait alors pas d’une capitulation, mais d’un retour à l’État et de l’abandon des aventures régionales. Il est temps d’unir notre voie avec celle du peuple libanais plutôt qu’avec l’Iran, le Hamas ou d’autres », a-t-il ajouté, dans une critique à la notion d’« unité des fronts » mise en avant par Téhéran et ses satellites régionaux pour justifier leur implication dans la guerre à Gaza. Poursuivant sur sa lancée, le leader chrétien a affirmé que « la vie des Libanais n’est pas une monnaie d’échange dans le cadre des négociations du Hamas ». « Cette guerre n’est pas défensive, mais a pour objectif de soutenir le Hamas. Elle a fait tomber à l’eau l’argument du Hezb selon lequel ses armes protègent les Libanais », a lancé le député du Metn. « Il est temps de s’unir avec le peuple libanais plutôt qu’avec l’Iran ou le Hamas, car jusqu’à présent, ce sont seuls les Libanais qui paient le prix. Nous pouvons défendre les Palestiniens, mais pas au détriment de l’État », a encore dit M. Gemayel, plaidant pour l’application de la 1559, qui appelle au « désarmement de toutes les milices libanaises et non libanaises », et de la résolution 1701 (qui avait mis fin à la guerre de 2006 entre Israël et le Hezbollah et prévoit un retrait de ce dernier de la région frontalière).
« Que pouvons-nous faire de plus ? »
Vendredi, le bloc du Renouveau (regroupant les députés Michel Moawad, Achraf Rifi et Fouad Makhzoumi) a rejoint Samy Gemayel. « Est-ce que la route (vers la libération) de Gaza passe par le Liban ? Ensuite, pourquoi ce pays est-il le seul à en payer le prix ? » s’est interrogé M. Moawad lors d’une conférence de presse, avant de critiquer, à son tour, l’unité des fronts : « Il est évident que cette guerre n’est qu’un conflit mené par la moumanaa pour améliorer les conditions de négociation de Téhéran (sur l’accord nucléaire) à nos dépens », s’est indigné le parlementaire zghortiote. Il a, lui aussi, appelé à un arrêt « immédiat » de la guerre en cours, et à ce que l’État monopolise le port des armes et la prise des décisions stratégiques conformément à l’accord de Taëf (adopté en 1989, qui avait mis fin à la guerre civile libanaise) et à la résolution 1559 ».
Mais au-delà de ces appels, que compte faire l’opposition concrètement dans la prochaine phase pour que ce forcing porte ses fruits ? « Que pouvons-nous faire de plus ? Nous n’allons pas porter les armes », répond un député de l’opposition. Car personne ne se fait d’illusions. Les détracteurs du Hezbollah semblent conscients que le parti chiite fera, comme à son accoutumée, la sourde oreille aux appels à son désarmement, surtout à l’heure où il est en pleine guerre contre l’État hébreu. Il n’empêche que MM. Gemayel et Moawad ont proposé leurs feuilles de route pour sortir le pays de la guerre actuelle. Les deux projets convergent sur l’urgence de voir le président de la Chambre, Nabih Berry, ouvrir le Parlement tant pour un débat autour du conflit en cours que pour l’élection d’un président de la République. Si le chef des Kataëb a exhorté M. Berry à passer à l’acte, et appelé à « faciliter la tenue de la présidentielle », son collègue zghortiote a pressé Nabih Berry à convoquer la Chambre « immédiatement » à une séance électorale ouverte avec des tours de vote successifs, et à « arrêter de provoquer (avec ses alliés du Hezbollah et leurs satellites) un défaut de quorum », comme c’est le cas depuis le début de ce feuilleton pénible, il y a deux ans.
Geagea écarte le Hezbollah
Et c’est à partir de ce point que Samir Geagea a taclé le tandem chiite. « Qu’est-ce qui empêche encore le président de la Chambre de convoquer le Parlement à une séance dédiée à la présidentielle ? » s’est interrogé le leader chrétien sur son compte X, ajoutant : « Qu’est-ce qui empêche M. Berry de tenir une séance urgente de débat général consacrée à la tragédie que vit le peuple libanais ? »
Dans la forme, ces prises de position rappellent la longue joute verbale qui avait opposé il y a quelques mois le chef de Meerab au président de la Chambre. Sauf que cette fois-ci, le leader des FL, plus large groupe parlementaire de l’opposition, et qui se veut le meneur du camp anti-Hezb, s’est montré prudent, en se tournant vers Nabih Berry, dix jours seulement après avoir déclaré que « ce n’est pas le moment de parler politique », dans la foulée de l’attaque aux bipeurs ayant ciblé des centaines de membres du parti de Dieu. Comme pour garder une petite fenêtre ouverte avec le Hezbollah en temps de guerre.
Il n’en demeure pas moins que M. Geagea est impliqué dans un chantier de coordination avec ses alliés de l’opposition, y compris Moukhtara. Marwan Hamadé et Ragi Saad, deux députés joumblattistes, se sont en effet rendus vendredi à Meerab pour « un tour d’horizon allant des déplacés du Liban-Sud à la présidentielle », indique M. Saad à L’OLJ, affirmant qu’il ne s’agit pas d’une démarche pour soutenir l’opposition, « que nous appuyons de toute façon en votant Jihad Azour lors de la présidentielle ». Des propos qui interviennent à l’heure où l’ex-chef du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt, est sous le feu des critiques l’accusant d’avoir modifié son positionnement politique depuis le 7 0ctobre. « Ce n’est pas un changement de positionnement. Walid Joumblatt a été un des premiers à mettre en garde contre une guerre. Mais maintenant qu’elle est là, il ne peut pas abandonner sa base populaire », a précisé Marwan Hamadé depuis Meerab.
Si l’opposition ne hausse pas le ton pour dénoncer les agissements de cette milice vendue aujourd’hui, elle ne pourra plus le faire. Ils devraient former un bloc de tous les représentants des différentes communautés opposées à ces mercenaires pour pouvoir élire un président au plus vite et ainsi éviter le vide et le chaos que les autres pays ont connu après des guerres sanglantes. Aucune place ne devrait être disponible pour éviter l’infiltration à nouveau des vendus dans la nouvelle structure patriote.
11 h 11, le 02 octobre 2024