« Ce n’est pas le bon moment pour parler de politique. » Ces propos tenus mardi par le chef des Forces libanaises, Samir Geagea, résument l’état d’esprit des détracteurs du Hezbollah après la double vague d’explosions de bipeurs et autres appareils de communication appartenant au parti chiite survenue mardi et mercredi. Des attaques qui ont fait au moins une vingtaine de morts et des milliers de blessés, principalement dans les rangs de la formation de Hassan Nasrallah. Dans la foulée, la compassion s’est substituée à l’habituelle politique politicienne et les critiques acerbes contre la décision unilatérale du Hezb de s’impliquer dans la guerre à Gaza à partir du Liban-Sud ont laissé place aux appels à faire preuve de solidarité et même à contribuer aux dons de sang. Mais personne ne se fait d’illusions. Tout le monde est conscient que cette compassion n'élimine en rien les divergences politiques entre le parti chiite et ses détracteurs, plus que jamais convaincus de leur positionnement sur l’échiquier politique. Ils comptent donc presser pour une relance rapide du débat autour de son arsenal illégal.
À l’heure où le Hezbollah était encore sous le choc du piratage massif de son réseau de bipeurs mardi, le chef des FL, Samir Geagea, s’est dit « attristé » de « voir des milliers de familles libanaises dans les hôpitaux », barrant la voie à un débat politique jugé « inopportun ». « Ce n’est pas un changement radical dans notre discours. Tout simplement, personne ne peut exprimer de positions politiques quand des milliers de Libanais sont blessés », précise à L’Orient-Le Jour le porte-parole du parti chrétien, Charles Jabbour.
La réaction de Samir Geagea contraste avec la polarisation politique accrue, qui s'est amplifiée ces derniers jours après des propos polémiques de l'ancien député du Hezbollah, Nawaf Moussaoui. Ce dernier s'en est (de nouveau) pris à Bachir Gemayel, ancien président de la République élu et assassiné le 14 septembre 1982 par Habib Chartouni, un ancien membre du Parti syrien national social, ce que M. Moussaoui a qualifié de « devoir national ». De quoi susciter une levée de boucliers contre le Hezbollah, notamment dans les rangs de l’opposition chrétienne. Mais pour les FL, tout cela pourrait être réglé ultérieurement. « Nous en reparlerons plus tard », souligne M. Jabbour.
D’autres figures du camp anti-Hezbollah, telles que Farès Souhaid, ancien député de Jbeil connu pour son opposition radicale au Hezbollah, ont également eu des réactions similaires. « L’heure est à la solidarité, loin de la politique », a-t-il écrit mardi soir sur X. Même le patriarche maronite, Béchara Raï, de plus en plus critique du parti chiite pour son implication dans la guerre, a condamné, dans un communiqué publié mercredi « la catastrophe qui a frappé près de 3 000 Libanais ». « Nous dénonçons cette attaque ainsi que toutes les agressions contre les peuples libanais et palestinien », a ajouté le chef de l’Église maronite.
« Pas avec le Hezbollah »
Parallèlement, d’autres acteurs ne se sont pas contentés de paroles. Ils sont passés à l’acte. Tel est surtout le cas du chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil. S’il était l'un des premiers à exprimer son opposition à l’ouverture du front sud, le leader chrétien s'est tout de même rendu personnellement dans la banlieue sud de Beyrouth pour présenter ses condoléances à Ali Ammar, député Hezbollah, dont le fils a été tué lors des explosions. « En politique, nous pouvons converger ou diverger. Mais face à l’ennemi, nous vous soutenons sans hésitation », a écrit le leader du CPL sur son compte X, appelant ses partisans à venir en aide aux blessés. Un appel auquel des députés et cadres du parti n’ont pas tardé à répondre. Plusieurs parlementaires CPL ont en effet effectué des dons de sang. De même, de hauts responsables du parti, dont le vice-président pour les affaires extérieures, le médecin Nagi Hayek, connu pour son opposition radicale au parti chiite, ont opéré des blessés dans les hôpitaux.
La réaction des chrétiens n'est pas la seule à avoir créé la surprise, il y a aussi celle des sunnites, une communauté historiquement située dans le camp opposé au Hezb, même si des groupes tels que la Jamaa islamiya prennent part aux combats face à l’armée israélienne. Il n'empêche que des habitants de Tripoli et de Tariq Jdidé (deux fiefs du courant du Futur, principale formation sunnite) se sont massivement rendus dans les hôpitaux pour des dons de sang. « Les sunnites ont deux ennemis, l’Iran et Israël. Mais face à des attaques d’une si grande ampleur, il faut se tenir aux côtés des Libanais », commente pour L’Orient-Le Jour un député sunnite qui a requis l’anonymat. « Les sunnites ont fait preuve de compassion avec les gens et les civils blessés, et non pas avec le Hezbollah », nuance de son côté Moustapha Allouche, ancien vice-président du courant du Futur.
Oui, mais…
Ce point de vue, plusieurs protagonistes de l’opposition le partagent, convaincus que contrairement à ce que l’on serait tenté de croire, « la réaction spontanée des Libanais n’a pas renforcé la popularité du parti chiite. Bien au contraire. Après les deux attaques, le Hezbollah est plus que jamais mis à nu, et le fameux équilibre de la terreur qu’il dit avoir instauré (face à Israël) est tombé à l’eau », assène Charles Jabbour. Et de souligner : « Aujourd’hui plus que jamais, le débat autour de l’arsenal du parti et l'application des résolutions 1559 (2004, appelant au retrait des troupes étrangères du Liban et au désarmement de toutes les milices) et 1701 (qui avait mis fin à la guerre de 2006 entre le Hezbollah et Israël) est d’actualité, et sera remis sur la table après la fin de cette séquence. » « Aujourd’hui, le Hezbollah fait les frais de sa décision de participer à la guerre sans se soucier de la position de l’État libanais. Et c’est pour cela que nous continuerons à lui faire face en matière de présidentielle par exemple », ajoute le responsable FL.
Sans aller aussi loin, Ali Amine, journaliste anti-Hezbollah, dit espérer que la compassion des Libanais résonnera dans les milieux du parti chiite qui « devrait tendre la main au reste des protagonistes et en faire des partenaires dans les décisions stratégiques ». « Tel devrait être le nouveau comportement du parti », estime M. Amine. D’autant plus que certains Libanais peinent encore à montrer leur soutien à une formation qu’ils accusent d’avoir assassiné Rafic Hariri, ancien Premier ministre, ainsi que plusieurs autres figures de proue du 14 Mars et des intellectuels anti-Iran ces dernières années. Ils s’en sont donc pris au parti de Hassan Nasrallah sur X, se disant persuadés que justice sera faite tôt ou tard.
Merci de souligner que malgré des pertes collatérale la majorité des victimes de ces 2 jours sont des miliciens d'une organisation qui a elle même choisi de se lancer dans une guerre qui ne concerne pas le Liban Au contraire les victimes de l'explosion du port due au stockage illégale de nitrate d'ammonium sont des victimes innocentes. Mais dans les 2 cas le responsable est le même.
10 h 30, le 19 septembre 2024