Le 14 septembre 1982, il y a 42 ans, le Liban perdait l’une de ses figures les plus emblématiques sûrement, mais la plus charismatique surtout : Bachir Gemayel pour certains, cheikh Bachir pour d’autres est mort assassiné dans l’explosion d’une bombe à Beyrouth à seulement 34 ans. Le jeune chef phalangiste devenu président laissait derrière lui non seulement un héritage complexe où s’entremêlent sa vision d’un Liban uni et sa mission de défendre sa communauté, mais aussi un souvenir où légende et réalité se confondent. Son élection avait suscité des espoirs immenses, notamment pour sa vision d’un État central fort et débarrassé des ingérences étrangères, et ce Liban indépendant, multiculturel et prospère dont rêvait sans trop y croire la majorité des Libanais prenait soudain l’apparence du jeune commandant en treillis devenu entre-temps président de la République.
Ce n’est pas l’histoire qui est clémente avec le jeune président comme elle l’a toujours été et le sera toujours avec les héros foudroyés, et ce n’est pas le mythe qui l’emporte sur la réalité car Bachir fut président pendant 21 jours. Son élection en août 1982, au plus fort de la guerre, a symbolisé l’espoir d’un renouveau pour une nation meurtrie. Avec tout le charisme et la détermination de la jeunesse, il incarna pour beaucoup l’espoir d’un Liban uni et souverain, et ces trois semaines ont donné à la postérité une idée de ce que serait devenu le Liban si Bachir avait eu le temps de gouverner. Mais il ne fallait pas que Bachir gouverne, il fallait qu’il meure et que le Liban meure avec lui, ce sera le 14 septembre, jour où l’ascension fulgurante fut brutalement interrompue. Et si aujourd’hui, plus de quatre décennies après sa disparition, la voix d’airain du jeune président continue à faire vibrer les foules, c’est en mélodie héroïque qui, faute d’auteur, à jamais inachevée qu’elle résonne. Quarante-deux années durant lesquels l’ombre de Bachir n’a cessé de diviser les Libanais entre ceux qui ont cru, croient toujours et continueront à croire en un Liban que le président assassiné symbolisa jusqu’au martyre, et ceux qui se rangeront jusqu’à la fin des temps du côté de ses assassins ; car si c’est en phalangiste que Bachir s’est battu, c’est surtout en Libanais qu’il est mort ; il nous restera le bel exemple qu’il a laissé, cette main qu’il tendait, un courage mêlé d’abnégation et une certitude. Plus aucun président de cette trempe ne foulera désormais le sol dallé de marbre blanc du palais de Baabda.
Eddy TOHMÉ
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