« Vous voulez vos croissants chez vous à Beyrouth, à 10 heures du matin ? Aucun problème », répond calmement Clément Tannouri aux personnes qui s’inquiètent de savoir les deux frères installés loin de la ville et ignorent que 95 % de leur clientèle est à Beyrouth… Parfaitement organisés, avec une cuisine qui vient d’être agrandie de 200 à 700 m2, une boulangerie avec pignon sur rue, des voitures de livraison et une équipe efficace de 14 personnes, Clément et Marc ont pensé à tout. À leur plaisir, bien sûr, mais aussi celui de leurs clients. « Nous avons tenu à installer nos locaux et notre boulangerie à Zahlé parce que nous sommes fiers d’y appartenir. De plus, nous avons le courant 24 heures sur 24, des panneaux solaires au besoin, ce qui est essentiel pour faire fonctionner nos frigidaires et congélateurs sans interruption. Et puis au moins, d’ici, un problème, une crise, seraient moins violents et nous coûteraient beaucoup moins cher… »
Treize ans ans séparent les deux frères clairement complices. « Nous sommes deux photocopies », disent-ils, même si « Clément souffle le chaud, Marc le froid », et que chacun a emprunté un parcours différent qui a fini par les joindre presque naturellement. L’aîné est né à Zahlé mais a passé toute son enfance à Lyon, Marc est né « dans la capitale mondiale de la gastronomie ». Un signe, pensent-ils aujourd’hui pour expliquer leur amour de la cuisine, sous toutes ses formes. Pour les deux, un souvenir commun : le goût et le parfum des galettes des rois, durant ces années passées en France.
Clément Tannouri a d’abord entrepris des études en stratégie et management à l'École supérieure de commerce à Lyon, avant de retrouver le Liban en 2003 et d’y fonder une société de conception graphique et publicitaire. Photographe autodidacte, « chasseur d’instants », comme il se qualifie, il immortalise ce Liban qu’il aime dans plusieurs ouvrages, utilisant pour les derniers d’impressionnantes vues du ciel qui feront sa marque de fabrique. Liban : mémoires d’un instant (2006), Liban : sur la terre comme au ciel (2009) et Cèdre du Liban-promesse d’éternité (2010) sont autant de témoignages de son attachement à sa terre. Ce dernier projet, à l’heure où de très nombreux jeunes partent vers des cieux plus cléments, en est un de plus.
Tombés dans la marmite
La famille Tannouri a déménagé en France, à Lyon précisément, quand Clément était encore enfant. Marc, lui, « a eu plus de chance ! » Il est né treize ans plus tard au « bon endroit » et qui va immédiatement l’inspirer. Sa scolarité achevée, il rejoint l'Institut Paul Bocuse et opte pour une spécialisation en art culinaire. Au bout de trois ans, il fait des arrêts déterminants auprès de grands noms de la gastronomie française : « Flocons de sel » à Megève (5 étoiles) avec le chef Emmanuel Renaut ; « La pyramide à Vienne », (4 étoiles) avec le chef Patrick Henriroux ou encore « L’auberge de l’Ill » en Alsace (deux étoiles) avec Marc Haeberlin.
Clément le rejoint dans cette passion en 2013 lorsqu’il décide à son tour de suivre une formation à l’Institut Paul Bocuse auprès du pâtissier Jérôme Langillier.
« Nous avons d’abord commencé dans la cuisine de notre grand-mère à Zahlé. On préparait des plats pour des événements privés, on donnait des petites formations et des cours privés ». Petit à petit, « c’est arrivé un peu naturellement, en fait, précise Marc, la demande devenait de plus en plus grande pour du pain, des viennoiseries et des pâtisseries. Nous avons décidé d’y répondre. De plus, nous avons tous les deux développé une véritable passion pour ça ». Marc est plus « boulangerie » Clément plus « viennoiserie ». Le tandem fonctionne à demi-mot », même quand il a fallu choisir le nom de leur entreprise. « « Clément, c’est venu après mûre réflexion, explique Clément. » «J’avais une certaine notoriété, ça a donné une longueur d’avance aux choses. Nous avons également voulu créer un label francophone qui permette de véhiculer une image de marque, créer un logo, des produits, et qui soit un outil marketing efficace.» « Et ça fait tilt dans la tête des investisseurs », rajoute Marc.
Avec l’option haut de gamme, à savoir les meilleurs ingrédients, et des prix un peu plus élevés, « en raison de la qualité des produits », ils s’adressent à une clientèle privée mais aussi des hôtels de la ville, des restaurants, la Résidence des Pins. De mardi à samedi, ces « péchés mignons » sont livrés directement à domicile. Sinon commandés en ligne.
« Nous faisons tout ensemble. On communique sur tout, on se complète, poursuit Marc, de passage à Qatar pour monter un projet de franchise là-bas. Le début d’une nouvelle aventure. »
Ensemble, ils pensent également les recettes, au gré de leurs envies et de leur attachement à la France et à Zahlé. Du classique croissant français pur beurre, au pain 100 % naturel levain, au « baba à l’arak que nous avons inventé en hommage à cet alcool qui provient de Zahlé », ou encore le Paris-Brest. « Les gens nous font confiance… »
Un moteur essentiel pour se lever tôt tous les matins et mettre la main à la pâte. Et pour se protéger du pessimisme ambiant, des angoisses et des crises économiques. « On continue… on n’écoute pas les infos, et on travaille pour rester au pays, même si de grandes opportunités à l’étranger se sont présentées à nous, confie Clément. Nous faisons partie d’une génération qui fonctionne en survival mode. Quelle que soit la catastrophe qui nous tombe sur la tête, on se réveille le lendemain et on trouve toujours une solution… »
« Mon souhait, tient enfin à souligner Marc : que les gens réapprennent à manger. Qu’ils fassent confiance aux produits naturels non transformés et qu’ils les demandent. »
Et de préciser enfin : « Nous voulons partager notre passion et notre savoir-faire. » Pour le faire avec le plus grand nombre, « Clément » et Marc envisagent d’ouvrir une boulangerie « côté Metn, Rabieh ou ses alentours. » Optimistes, certes, doués, l’énergie du duo Tannouri est du pain bénit pour les déçus et les dépressifs.
Bravo les frangins qui désiraient ""créer un label francophone qui permette de véhiculer une image de marque"" avec une devanture anglophone.... Une de plus au Liban. Merci Bocuse!
20 h 21, le 15 septembre 2024