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Partir - LOrientLeSiecle

Quand Mahmoud Darwich pleurait Gaza et « l’exode loin du rivage de la Méditerranée »

« Gaza ne vend plus d’oranges car leur suc, c’est le sang de Gaza mis en boîte », se lamente Mahmoud Darwich dans ce poème traduit de l’arabe pour le supplément « Samedi » de « L’Orient-Le Jour ». Né en 1941 dans le village de Bourweh, près d’Acre, « le plus célèbre » des jeunes poètes palestiniens « grandit comme un de ces absents-présents, fantômes vivants condamnés à hanter le nouvel État sioniste ». Il est « universellement reconnu dans tout le monde arabe », précise alors « L’OLJ ». Nous sommes en avril 1973. Six ans ont passé depuis que les chars israéliens ont conquis l’enclave, devenue l’emblème martyr de tout un peuple.

Quand Mahmoud Darwich pleurait Gaza et « l’exode loin du rivage de la Méditerranée »

Photo d'archives OLJ

Un torrent d’arbres ruisselle dans mon cœur

Je suis venu... je suis venu,

Circulez dans les rues de mon bras secourable, vous arriverez au but.

Gaza ne prie plus quand sur ses minarets s’allument les feux de ses blessures

Le matin calme se transporte vers le port où la mort se consomme.

Je suis venu... je suis venu

Mon cœur est bon à boire

Circulez dans les rues de mon bras secourable, vous arriverez au but.

Gaza ne vend plus d’oranges, car leur suc c’est le sang de Gaza mis en boîte.

Je m’étais enfui de ses ruelles et par son nom

J’écrivais ma mort sur le tronc d’un sycomore

Et voici qu’elle devint Dame souveraine

M’emportant dans ses bras, moi, libre adolescent

Compagnon de nos peines et de nos travaux, de nos nuits et de nos jours.

Louée soit celle qui, nuitamment, a remis mes veines jugulaires entre ses mains

Je suis venu... je suis venu

Gaza ne prie plus.

Je n’ai trouvé personne pour se pencher sur ma blessure

Sinon sur elle cette sienne petite bouche...

Et le rivage de la Méditerranée a traversé l’éternité.

N’empêchez pas mon sang de couler jusqu’à épuisement

L’horloge de la Nativité a passé comme une chaîne au cou du temps

Elle a essayé de m’avoir.

J’étais coriace – elle a essayé de m’avoir

J’étais un peuple – elle a essayé encore une fois...

Je vois un rang serré de martyrs se laisser entraîner jusqu’à moi

Et voici qu’ils s’abritent dans ma poitrine

Et qu’ils s’y consument.

Le temps ne les a pas brisés, et mon cadavre n’a pas de limites.

Et pourtant je sens, j’éprouve en moi cette sensation

Comme si tous les combats des Arabes depuis toujours

Aboutissaient à mon cadavre

Et je voudrais que le voile des jours se déchire dans ma chair

Et que le temps me quitte enfin...

Alors les martyrs s’apaiseraient dans ma poitrine

Et ils seraient d’accord.

Ils n’ont pas trouvé ce lieu trop étroit pour eux

Car mon cadavre n’a pas de limites.

Mais la transmission califale ne cesse pas d’être importante

Que vos ennemis, votre poussière et votre Envoyé...

N’empêchez pas mon sang de couler jusqu’à épuisement.

L’horloge de la Nativité a passé comme une chaîne au cou du temps

Elle a essayé de m’avoir.

J’étais coriace – elle a essayé de m’avoir encore une fois

Je vois un rang serré de martyrs se laisser entraîner vers moi

Plus personne !

Toutes ces nations proches et lointaines se sont partagé ma dépouille.

Tout juge était un boucher

Instruit dans les sciences de la prophétie

Et de l’erreur pécheresse

Et nous avons divergé d’opinions

Quand le tout ne fut plus qu’une partie de lui-même

Et ce fut la blessure pour nous tous mortelle

Et nous nous éloignâmes les uns des autres

Va, va-t’en vers la mort si belle...

Je m’en suis allé.

J’étais seul.

Vous avez dit : nous attendons l’enterrement avec ses couronnes grandes et ses tambours

Et nous nous retrouverons à Jérusalem...

Plût à Dieu que Jérusalem fût plus lointaine que mes cercueils

Je pourrais alors suspecter les témoins.

Nous n’avons rien contre toi ! Tu t’en es allé vers la mort si belle

Et la capitale du pétrole a réservé un fauteuil

Au paradis d’al-Rahman le Miséricordieux

Bonheur et félicité au financier et au muezzin... et au martyr !

Les panégyriques éplorés sont fatigués des victimes

Et les chagrins des victimes sont gelés

Hélas ! Trois fois hélas ! Qui fera le panégyrique éploré des panégyriques fatigués

Je ne sais pas quelle rime pourrait m’embaumer

Et faire de moi une photo offerte à la foire prochaine des livres

Et je ne sais pas quelle statistique pourrait m’englober.

Ô poètes !... ne vous multipliez pas !

Mes blessures ne sont pas enregistrables au cahier du poète

Ô leaders des communautés !... ne vous multipliez pas !

Mes os ne sont pas une chaire à prêcher.

Invoquez donc mon sang... vous y trouverez peut-être

Une encre de compréhension mutuelle entre

Les choses de la nature et la divinité

Invoquez mon sang, langue de mutuelle harangue

Entre les murs de la ville et les razzieurs.

Mon sang est la poste des prophètes.

Et de moi-même, spontanément, je reviens...

Plût à Dieu que ma fenêtre fût lointaine

Alors je pourrais voir ma mère

Et plût à Dieu que cette chaîne par quoi je suis attaché

Fût plus proche, alors je pourrais sentir battre mon pouls

Et plût à Dieu que la mer fût plus lointaine

Alors je pourrais avoir peur des déserts

Ah ! plût à Dieu que tout soit réfracté en son contraire

Alors toutes choses s’entredévoreraient en moi

Et revêtiraient la forme de la joie véritable.

Nous nous sommes éloignés et nous nous sommes rapprochés ô dormeurs de la Caverne, levez-vous

Et crucifiez-moi de neuf

Car en vérité, je viens de la mort qui viendra demain

Je viens de l’arbre très lointain

Et je m’en vais dans mon présent – votre demain à vous.

J’ai effeuillé les vagues de la mer

Et c’est un lys que j’ai effeuillé

Un lys qui a son sens en soi Et Gaza ne prie plus...

Un torrent d’arbres ruisselle, surgi des côtes du rocher

L’anéantissement me fourbit

Un torrent coule de mon cœur verticalement

Et le ciel descend comme à sa rencontre

J’ai vu ce que voit le cœur, les lumières m’ont liquéfié

Et je suis devenu une voix

Et les cailloux menus s’en sont fait l’écho

Et l’antique tombe a respiré

La pierre s’est mise à bouger

Je récupère par vous sa reptation première

Je suis les vivants et les villes d’autrefois.

Cherchez à dépouiller vos noms, vous trouverez mes mains

Cherchez aussi à dépouiller vos vêtements, vous trouverez mon sang.

Ou cherchez à brûler ces cartes géographiques

Vous apercevrez mon corps.

Je suis les vivants et le lieu d’origine

Que vous avez écrit dans votre histoire

C’est à partir de mon cadavre que se sont élancés

Les razzieurs, les prophètes et les réfugiés

Et c’est en lui que viennent se clore et se sceller à nouveau pour jamais Leurs biographies.

Les pierres se mettent en mouvement.

Voici mon bras levé s’incliner comme la terreur

Le Seigneur n’est pas au nombre des habitants de ce désert

Voici mon bras.

Les pierres se mettent en mouvement.

Ils n’ont pas volé le bâton de Moïse

Et certes la mer est plus éloignée de vous que ma main

Ainsi donc les pierres se mettent en mouvement

Qu’ils se soient levés, qu’ils se soient agenouillés

Qu’ils n’aient fait que passer ou qu’ils aient fui...

Je suis la pierre, je suis la pierre qu’a touchée une secousse sismique

J’ai vu les prophètes mettre en location leur croix

Et tu m’as concédé à perpétuité le verset du Trône

Et finalement

Tu n’as plus rien été qu’une carte de félicitations

Les martyrs et ce bas monde se sont transformés

Et voici mon bras.

Les pierres se sont mises en mouvement

Pour s’enrouler autour d’une légende

Vous ne me comprendrez pas à moins d’un miracle

Car votre langue à vous est comprise.

Assurément la clarté est un crime.

Et l’obscurité de vos morts

est pour vous le Vrai, la vérité-réalité.

Hélas ! les pierres ne se mettent en mouvement

Que quand les vivants restent immobiles

Pour s’enrouler autour d’une légende.

Un torrent d’arbres ruisselant, Gaza ne prie plus,

Le rivage de la Méditerranée a traversé l’éternité.

Vous ne me comprendrez pas

La Vierge sort de ma côte

Elle est ma volonté

Et de plein fouet je suis atteint par les pluies

Et par l’éclair qu’elle portait en elle avec persévérance

Vous ne me comprendrez pas

Moi qui surgis, renaissant, de votre tombe

Et la terre appartient aux martyrs.

J’ai mis fin à la dernière aventure

Et j’ai fait un nouveau commencement :

Voici l’exode et la sortie. Voici l’entrée.

Voici le départ et voici le retour.

Il n’y a pas de lieu ici

Je suis ce temps tel que vous ne me comprendrez pas

Au sortir du temps qui vous a jetés dans la caverne.

Voici mon heure :

Une tombe se fend

Et je surgis, renaissant, en criant :

N’empêchez pas mon sang de couler jusqu’à épuisement.

L’instant de la Nativité m’abrite et m’apaise

Depuis l’éternité qui n’a pas de commencement.

Reposez-vous dans mes blessures

Voici notre lieu d’origine qui se renouvelle

Notre lieu d’origine qui se glorifie

Approchez-vous des arbres

Et faites avec moi un nouveau commencement !

À Gaza le temps est devenu différent du lieu

et les marchands de poisson

Ont vendu leur seule chance d’espérance pour me laver les pieds

Où est la Magdaléenne ?

Ses doigts ont fondu avec le savon

En même temps que s’écroulaient des écritures et des écritures

Et les soldats entassaient victoire sur victoire

Ils récitaient leur prière

Et s’épuisaient à fouiller sous les ongles

Des pieds et des mains d’un fedaï

Pour découvrir le secret de sa joie

Et ils retrouvaient leur propre vie

Avec les larmes d’Agar.

Le désert était assis sur ma peau

Et la première larme qui fut jamais versée sur la terre

Fut une larme arabe.

Vous souvenez-vous des larmes d’Agar ?

De la première femme qui ait jamais pleuré

Au sein d’une hégire sans fin ?

Ô Agar, viens fêter ma nouvelle hégire

Qui nous emmène

Depuis les côtes de la tombe d’où je surgis, renaissant,

Jusqu’à l’univers.

Les martyrs habitent mes côtes rendues à leur liberté

Et maintenant

Comme on dépouille un arbre de ses feuilles

J’arrache et je déchire les tombes

Et le rivage de la Méditerranée.

Viens, Agar, viens fêter ma nouvelle hégire.


Un torrent d’arbres ruisselle dans mon cœurJe suis venu... je suis venu,Circulez dans les rues de mon bras secourable, vous arriverez au but.Gaza ne prie plus quand sur ses minarets s’allument les feux de ses blessuresLe matin calme se transporte vers le port où la mort se consomme.Je suis venu... je suis venuMon cœur est bon à boireCirculez dans les rues de mon bras secourable, vous arriverez au but.Gaza ne vend plus d’oranges, car leur suc c’est le sang de Gaza mis en boîte.Je m’étais enfui de ses ruelles et par son nomJ’écrivais ma mort sur le tronc d’un sycomoreEt voici qu’elle devint Dame souveraineM’emportant dans ses bras, moi, libre adolescentCompagnon de nos peines et de nos travaux, de nos nuits et de nos jours.Louée soit celle qui, nuitamment, a remis mes veines jugulaires entre ses mainsJe suis...
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