Le barrage de Msaylha (caza de Batroun, Liban-Nord) a été mis sous scellés mardi sur ordre de la première juge d’instruction du Liban-Nord, Samaranda Nassar, qui enquête sur ce dossier sur lequel pèsent des soupçons de dilapidation de fonds publics, a confirmé à L’Orient-Le Jour une source judiciaire qui a requis l’anonymat.
La mise sous scellés est intervenue un mois après l’envoi du dossier par le parquet financier à la juge Nassar, dans le but de faire la lumière sur les 64 millions de dollars que le barrage a coûtés à l’État libanais, sans que la structure ne puisse jamais retenir la moindre goutte d’eau, explique la source précitée à notre journal. Le barrage aurait besoin de 10 millions de dollars supplémentaires pour des travaux d’étanchéité, ajoute cette source.
La juge Nassar s’est rendue sur place mardi pour inspecter le barrage et a constaté que l’endroit était à l’abandon et que l’un des gardiens élevait même des poules dans un des bâtiments. Une vingtaine de bulldozers et de machines étaient également abandonnés sur place, tandis que les bureaux adjacents étaient dans un état déplorable.
La justice, qui poursuit plusieurs entrepreneurs ayant travaillé sur le chantier, devrait bientôt prélever des indices sur place, avant de lancer une expertise au niveau de la construction. Les entrepreneurs, eux, ont présenté dernièrement des exceptions de forme, selon la source judiciaire interrogée. La justice a également demandé au ministère de l’Énergie de lui fournir les documents relatifs à la construction du barrage.
Mis en eau en décembre 2019 et niché à quelques mètres du fort historique de Msaylha (XVIIe siècle), le barrage a contribué, entre autres, à défigurer le paysage. Mais il est surtout décrié par des militants écologistes qui dénoncent l’intérêt des grands barrages, promus au Liban par le chef du Courant patriotique libre (CPL) Gebran Bassil, et considérés par beaucoup comme coûteux, facteurs de modifications profondes de l’environnement et peu efficaces, en raison de la nature karstique (donc très perméable) du sol dans le Mont-Liban.
Conçu pour contenir jusqu’à 6 millions de mètres cubes d’eau et alimenter les villages de la région, le barrage n’a jamais réussi à remplir cette tâche. Ce qui avait poussé le ministère de l’Énergie à fermer les vannes de la structure pendant trois semaines en mai 2022, « pour vérifier le bon fonctionnement du barrage et décider, en conséquence, des travaux qu’il reste à faire », selon des propos du ministre sortant de l’Énergie, Walid Fayad, à L’OLJ. Un procédé qui avait asséché une partie de la rivière Nahr el-Joz à l’époque, selon l’ONG Terre Liban.
Terre-Liban a par ailleurs dénoncé la reprise de ce procédé en 2024 par le ministère, « sous prétexte d’effectuer des essais interminables tout comme en mai 2022 », dans un communiqué publié le 27 mai par l’Agence nationale d’information (ANI, officielle). « Le ministère de l’Énergie ne se lasse pas des tentatives pour cacher son échec et les défauts du barrage », dénonce l’ONG.
En mai dernier, Walid Fayad a annoncé avoir signé la nouvelle « stratégie nationale pour le secteur de l’eau » qui vise à réorganiser, réhabiliter et moderniser la façon dont les ressources hydrauliques dans le pays sont gérées, ce qui constitue un des enjeux majeurs que les autorités doivent adresser. Malgré la controverse, cette stratégie compte plusieurs projets de barrages à construire ou à réhabiliter, comme celui très controversé de Bisri (dans le Chouf), celui de Msaylha ou encore celui de Balaa en cours de construction (près de Tannourine).
La gestion de l’eau est un enjeu majeur pour le Liban qui est l’un des plus riches dans ce domaine au Moyen-Orient, mais qui gère très mal ses ressources, malgré les différentes stratégies lancées depuis la fin de la guerre civile en 1990.
Ce pays est livré aux mafieux et aux bandits. Il ne faut plus s’étonner de rien. Il suffit d’avoir de bons rapports avec les corrompus pour mettre la main sur tout ce qui rapporte même si c’est illégal et contre toutes les lois du pays. Les affaires fleurissent et des vendus continuent à s’enrichir pendant que le peuple agonise en attendant les miettes que l’état daigne lui accorde. Comment est ce possible que tant d’injustice ne génère pas une révolte nationale de la part de la population pour réclamer son dû.
12 h 12, le 10 août 2024