Tantôt il s’éloigne du bord, tantôt il s’en rapproche. À force de danser près du gouffre, le spectre de la conflagration régionale pourrait trébucher. Depuis le 8 octobre, date de l’engagement du Hezbollah libanais aux côtés du Hamas dans la guerre d’Israël contre Gaza, le cercle de feu enserre dangereusement le Liban. Contre Israël, le parti de Dieu a toujours joué à qui perd gagne aux dépens de notre petit pays, suivi en cela avec enthousiasme, depuis la guerre israélienne de 2006, par une grande partie de sa communauté. La cruauté quasi génocidaire déployée par l’armée israélienne à Gaza ne peut que susciter une sympathie inconditionnelle en faveur des Palestiniens, malgré les atrocités et la prise d’otages massive commises par le Hamas il y a neuf mois, lors du raid barbare contre le pacifique kibboutz de Be’eri et le festival de musique Nova. Mais la destruction totale de Gaza qui suit son cours depuis lors et les dizaines de milliers de morts, dont la moitié est constituée d’enfants en bas âge, les souffrances indescriptibles, le manque de tout, nourriture, eau, hygiène, équipements médicaux, la propagation d’épidémies, polio, dermatites, ce bilan sans commune mesure avec le raid de Be’eri a de quoi écœurer tout être humain de bonne foi.
Cela dit, en ouvrant le front libanais, le Hezbollah ne fait qu’ajouter des morts aux morts et de la souffrance à la souffrance. Peut-on dire qu’une seule vie palestinienne a pu être sauvée par les bombardements du parti chiite sur le nord d’Israël ? Les deux petits Libanais, Hassan et Amira, victimes collatérales de l’assassinat par Israël du commandant du Hezbollah Fouad Chokor devaient-ils payer le prix de la surenchère criminelle entre les deux entités ?
Une fois de plus, le Liban est malgré lui sur la brèche, schizophrène comme à son habitude entre le Sud qui brûle et à présent la banlieue sud de Beyrouth, et les festivités estivales qui se poursuivent, à peine assombries par une inquiétude diffuse.
De concerts en spectacles, on a décidé de ne renoncer à rien. La guerre ressemble ici à un volcan familier dont on ne surveille même plus les fumeroles. Depuis la spectaculaire attaque iranienne sur Israël dans la nuit du 13 au 14 avril 2024, impressionnant déploiement de missiles et drones divers annonçant littéralement la fin du monde et qui ont fini leur trajectoire en pétards mouillés, la plupart des Libanais ont décidé de ne plus se laisser parasiter par ce crépage de nerfs. Guerre ou pas guerre ? Partir ou rester profiter de la saison, de l’amitié, de la tendresse toxique des familles ? Partir ou contempler encore et encore l’éclosion de la Lune derrière la montagne, attendre la nuit des perséides, respirer la sauge au bord des ruisseaux ? Ou regarder indéfiniment l’hypnotique respiration de la mer, les folles couleurs du crépuscule ou se laisser bercer par les bavardages, les musiques trop fortes qui engourdissent tout instinct de survie, les peaux douces des amours qu’on voudrait passagères mais qui ne le sont jamais vraiment ? Sur un seul pied, l’autre qui veut prendre la fuite, on se sent incapable de tourner le dos à tout ce qui, ici, nous aimante. Alors on reste, encore un peu, un tout petit peu, n’est-ce pas ? Comme un enfant qui tente de grappiller quelques minutes avant de quitter la piscine. Et s’il devait arriver malheur, on trouverait toujours le moyen d’en faire un bouquet de fleurs. Ce pays est peut-être un mensonge, mais il est sûrement la plus belle illusion.
Sacrée fifi ❣️
08 h 09, le 02 août 2024