« Nous vivons dans la peur à Achrafieh ! » s’exclame Nadine*, dans l’épicerie de Walid Ibrahim, 50 ans, toujours hospitalisé après avoir été gravement blessé par deux voleurs armés s’étant introduits dans son commerce, dans la nuit du 19 au 20 avril. Une réaction qui en dit long sur l’état de psychose qu’augmente la récurrence d’incidents sécuritaires auprès des habitants de ce quartier, ces dernières semaines.
Dans les faits, samedi, à 00h15, deux motards cagoulés ont fait irruption dans l’établissement situé rue Georges Tabet, à une centaine de mètres de l’hôpital Rizk, le centre médical de l'Université libano-américaine (LAU). Ils ont bousculé un client qui se trouvait à la caisse, s’emparant, sous la menace de leurs armes, de l’argent qu’il portait sur lui. Dans une vidéo de caméras de surveillance, diffusée sur les réseaux sociaux, on voit les deux malfaiteurs s’en prendre également à Walid Ibrahim, qui dégaine son revolver. Les brigands déguerpissent, Walid Ibrahim les suit, arme à la main. Mais c’est lui qui est touché, toujours selon les images le montrant porter la main sur son estomac.
État stable
Selon nos informations, l’épicier a pu se rendre à pied aux urgences de l’hôpital Rizk. Il a aussitôt subi une opération chirurgicale de plusieurs heures au niveau du foie, du colon et du pancréas, transpercés par la balle qui l’a touché. Celle-ci « est logée dans le rein », affirme Sami Rizk, directeur exécutif de l’établissement, indiquant que la victime a été mise sous coma artificiel pendant près de 24h. « Depuis qu’il n’est plus intubé, son état est stable », déclare-t-il, indiquant qu’« il se trouve toujours aux soins intensifs ».
À ce jour (lundi), personne n’a été arrêté dans cette affaire, affirme à L’Orient-Le Jour une source sécuritaire, soulignant que les services des renseignements de l’armée et des Forces de sécurité intérieure (FSI) s’activent à identifier les malfaiteurs, notamment quant à leur nationalité. La même source estime que les résultats de l’enquête « ne sauraient tarder ».
Auto-sécurité ?
Pour Sami Rizk, « les forces de l’ordre doivent être plus actives face à la multiplication des incidents sécuritaires dans la région ». Dans une initiative privée, menée en collaboration avec l’ONG Rebirth Beyrouth, nous avons éclairé les rues adjacentes de l’hôpital », relève-t-il, ajoutant que « d’autres hôpitaux ont entrepris la même démarche ». « Nos efforts ne remplacent pas toutefois la nécessité de tournées de patrouilles jour et nuit », clame-t-il. « Les citoyens sont-ils supposés assurer leur propre sécurité ? » s’interroge-t-il, en référence à la dangerosité de la situation générale.
Marie et Leila, mère et sœur de Walid Ibrahim, ont rouvert le magasin dès le lendemain de l’attaque. Toutes deux ne sont pas pour autant tranquillisées. « Lorsque ma mère a installé l’épicerie en 1964, la situation sécuritaire permettait de la garder ouverte jour et nuit. Depuis quelques années, nous ne veillions que jusqu’à minuit. Désormais, nous fermerons avant 21h », indique Leila, en ce lundi matin, au milieu d’un va-et-vient ininterrompu des gens du quartier venus s’enquérir de l’état de santé de l'épicier.
« Les forces de l’ordre se font très rares », observe Zeina, une cliente, attribuant cette faille notamment à « une insuffisance de salaires et à un manque d’essence pour leurs déplacements ». « Tant qu’il n’y a pas d’État, chacun fait à sa guise », remarque Samir* qui déplore « le nombre incalculable de motos non enregistrées ». « Si les parties concernées vérifiaient les infractions, il n’y aurait pas eu tant d’insécurité », estime-t-il.
Deux autres habitantes du quartier, Youmna et Hala, bavardent dans la rue. « Je lui disais qu’à quelques mètres de là, une infirmière a été récemment volée à deux reprises, à quelques jours d’intervalle, par des motards qui lui avaient arraché la première fois son sac et la seconde son téléphone portable », raconte Youmna. « Désormais, je ne porte que les photocopies de mes papiers d’identité, et ne transporte dans mon sac que très peu d’argent », confie, pour sa part, Hala, qui prodigue des leçons particulières à des écoliers jusqu’à une heure avancée de la soirée.
Face à ce sentiment d’insécurité qui, ne datant pas d’hier, n’était pourtant pas aussi aigu, l’association Achrafieh 2020 avait lancé en novembre 2022 l’initiative Neighbourhood Watch, afin de tranquilliser les habitants du quartier. Cent-vingt jeunes avaient été recrutés parmi des anciens agents des FSI et d’ex-soldats, avec pour mission de surveiller et d’appeler les forces de l’ordre en cas d’incident. Le projet était financé grâce à une levée de fonds. Contacté pour savoir ce qu’il en est advenu, Nadim Gemayel, député de Beyrouth et parrain d'Achrafieh 2020, indique que Neighboorhood Watch a cessé ses activités il y a quelques mois, « faute de financement ».
*Les prénoms ont été changés.
Ces délits se font un peu partout dans le pays. Hamra ou Verdun ou autres secteurs ne sont certainement pas mieux protégés. Et cela souvent se produit en plein jour. Les femmes, surtout, sont le plus souvent les victimes. Petit conseil: ne pas être seules, et ne pas porter son sac côté rue.
14 h 23, le 23 avril 2024