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Nos Lecteurs ont la Parole

Différence et similitude : du Liban État de 1920... au sans-État actuel

Le Liban actuel revit la phase cruciale de refondation de l’État dont la création remonte à la proclamation de l’État (sic) du Grand Liban le 1er septembre 1920. Nous disons État avec ses quatre attributs régaliens (rex, regis, roi) : monopole de la force organisée, monopole des rapports diplomatiques, perception et gestion de l’impôt, et gestion des politiques publiques.

Avant le 1er septembre 1920, le Liban était une unité géographique naturelle et culturelle, qu’on pourrait qualifier d’al-qayân (entité), mais en politique il s’agissait d’un ensemble de wilâyât (provinces), émirats et seigneuries gouvernés par l’État ottoman.

Le défaut d’acculturation de l’État dans l’historiographie libanaise par le canal des divers moyens de socialisation, la persistance du complexe libanais de la Sublime Porte en psychologie historique, et les violations de la souveraineté du Liban par l’accord du Caire en 1969, puis par un accord du Caire revisité du 6/2/2006, expliquent le désastre actuel, surtout depuis 2016. Des légalistes et non des juristes, des intellectuels sans expérience et souvent de bonne foi, et des politicards et imposteurs habiles dans l’équidistance exhortent à un dialogue. Or la souveraineté, par nature, est dichotomique, où la réponse est par oui ou non.

L’État libanais est absent chez tous les historiens libanais, alors que la documentation est abondante grâce à ces mêmes historiens. Il s’agit notamment des travaux d’Antoine Hokayem et du pressentiment profond autrefois de Kamal Salibi.

Il y a au Liban un État officiel symbolique et un État parallèle qui ne remplit pas les qualifications de la résistance nationale, suivant les normes internationales et la définition fort détaillée au cours de la rencontre, le 13/8/1991, entre le ministre des Affaires étrangères, Farès Boueiz, et le commandant de la Finul (Zafer al-Hasan, al-diplûmâsiyya al-

lubnâniyya, Dar an-Nahar, 2011, 10 vol., vol. 5, pp. 191-193).

Dialectique du centre et périphérie

Entre 1920 et aujourd’hui, la différence est considérable ! En 1920, la sociogenèse de l’État s’effectue dans une dialectique anthropologique entre centre et périphérie avec adhésion de toutes les régions du Liban dans ses « frontières naturelles » à un centre détenteur exclusif des attributs régaliens. Ce qui avait favorisé cette sociogenèse, c’est l’effondrement après quatre siècles de l’autorité ottomane étatique. Que faire ? Quelles frontières ? Quelles populations ?

Des historiens documentalistes ou idéologues continuent jusqu’à nos jours à palabrer sur telle communauté qui ne voulait pas du Grand Liban et tel autre groupement qui rêve d’une patrie plus limitée ou plus élargie ! Des historiens, ou idéologues identitaires peut-être de bonne foi, ont-ils jamais appréhendé une autre perspective de l’histoire, celle des mentalités ? Après quatre siècles d’Empire ottoman, les populations vivaient un profond séisme mental : quelle patrie ?

Que faire ? Quelle existence nationale ? L’hésitation est normale dans une perspective d’histoire des mentalités. Ça suffit après plus d’un siècle de projeter au présent un contexte géographique et mental du passé !

Quelle différence pour la recréation du Liban État aujourd’hui par rapport à 1920 ? Elle réside dans le fait que l’État parallèle au Liban est subordonné par son financement et son armement à un axe régional, avec le soutien d’éléments nationaux, dont des maronites (nous ne disons pas les maronites, ni surtout Bkerké), des chiites et des politicards et imposteurs qui continuent à pratiquer l’équidistance sur un problème étatique dichotomique. C’est tout le contraire des manifestes de soutien et de partout, en 1920 ! Des maronites de service, chiites viscéralement libanais, des politicards et imposteurs vont-ils, comme en 1920, se ranger enfin en faveur du Liban État ?

25 mai de Libération ou deuil de l’État ?

Le Liban actuel vit une situation constitutionnelle de partition (taqsîm). Avec des Libanais normaux, il s’agit, comme ce fut le cas en Tchécoslovaquie, au Soudan ou ailleurs, d’engager un dialogue interne pour la partition du Liban… si elle est possible ! Or on sait pertinemment qu’elle n’est ni souhaitée ni possible !

Ce qui bloque l’élection d’un président de la République, véritablement « chef de l’État » (sic), suivant le nouvel article 49 de la Constitution, c’est la re-création du Liban État, à l’encontre de groupements communautaires, comme avant 1920, régis autrefois par l’Empire ottoman et aujourd’hui par une autre Sublime Porte ! Le Liban est régi cette fois par un État parallèle et une volonté de puissance régionale avec des soutiens locaux, en violation avec le nouveau préambule de la Constitution et l’identité libanaise et arabe du Liban.

Le désastre actuel au Liban, constitutionnel, politique, économique, financier... pour ceux qui savent ce que signifie État, constitue un laboratoire en anthropologie historique et juridique sur la genèse de l’État (Norbert Elias, La dynamique de l’Occident, Calmann-Lévy, 1969 et Pocket n° 80, 2014, 320 p.). Le désastre généralisé touche toute la population. Il doit provoquer un éveil national de souveraineté en faveur de tous, éveil semblable à celui qui a suivi, le 14 mars 2005, l’attentat terroriste contre le président Hariri et son convoi !

La Résistance, la Libération du Sud, les Martyrs… il faut tout reconnaître ! Il y a en effet une fête nationale de la Résistance et de la Libération, le 25 mai. Comment fêter désormais le 25 mai si la Résistance devient synonyme de non-État, pré-État ! Aucun Libanais patriote, y compris les résistants de la Libération, ne célébrera désormais le 25 mai, si la Résistance devient synonyme de non-État. Ce sera jour de deuil du Liban État.

Antoine MESSARRA

Ancien membre du Conseil

constitutionnel, 2009-2019

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Le Liban actuel revit la phase cruciale de refondation de l’État dont la création remonte à la proclamation de l’État (sic) du Grand Liban le 1er septembre 1920. Nous disons État avec ses quatre attributs régaliens (rex, regis, roi) : monopole de la force organisée, monopole des rapports diplomatiques, perception et gestion de l’impôt, et gestion des politiques publiques. Avant...

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Le 14 février 2005 l’attentat de Rafic Hariri

Eleni Caridopoulou

19 h 47, le 17 avril 2024

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Commentaires (1)

  • Le 14 février 2005 l’attentat de Rafic Hariri

    Eleni Caridopoulou

    19 h 47, le 17 avril 2024

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