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Lifestyle - Patrimoine

Les peintures paléochrétiennes de Jiyé (Porphyreon) dévoilées pour la première fois

« Une Pompéi byzantine », c'est ainsi que l’archéologue Roger Saïdah avait décrit le site antique au sud du Liban, expliquée par l’auteure et experte en restauration de fresques, Julia M. Burdajewicz, dans son ouvrage qui vient de paraître.

Les peintures paléochrétiennes de Jiyé (Porphyreon) dévoilées pour la première fois

Quelques fragments des 258 nettoyés, traités et conservés au palais de Beiteddine. Photo DR

« Le site côtier de Porphyreon, l’antique Jiyé, qualifié ainsi par Roger Saïdah, archéologue rattaché à la Direction générale des antiquités libanaises (DGA), était, et est toujours, justifié compte tenu de l'abondance des découvertes de peintures murales, et de leur répertoire iconographique, inégalés sur tout autre site archéologique de l'Antiquité tardive de la Méditerranée orientale », relève l’archéologue polonaise et spécialiste en restauration des œuvres d’art, Julia M. Burdajewicz dans un ouvrage exceptionnel intitulé Peintures murales de l’Antiquité tardive de Porphyreon, dans l’arrière-pays de Sidon, édité par Peeters. Et parce que « très peu de peintures murales de l’Antiquité tardive, en particulier au Levant, subsistent (…) et vu que celles provenant du site paléochrétien de Jiyé/Porphyreon constituent une découverte unique », une version électronique gratuite est disponible pour en faire profiter la communauté universitaire et le grand public.

Conservés depuis plus de trois décennies dans un dépôt du palais de Beiteddine, dans le Chouf, 258 fragments de peinture sont dévoilés pour la première fois par l’auteure et experte en restauration de fresques, Julia M. Burdajewicz, qui a réalisé tout à la fois l'analyse iconographique et le traitement de conservation, au cours de six campagnes menées entre 2014 et 2019. « Ce projet de recherche et de conservation n'aurait pas été possible sans la générosité de Nora Joumblatt, présidente du festival de Beiteddine, qui a financé mes voyages au Liban et mes séjours à Beiteddine, ainsi que le coût des fournitures et du matériel de conservation », précise Mme Burdajewicz.

Des fouilles qui ont permis de retrouver une basilique à trois nefs, bâtie entre le Ve et le VIe siècle, qui s’étend sur 40 mètres de long et 20 mètres de large, pavée de mosaïques, et recouverte de peintures murales. Photo DR

La petite histoire des fouilles

L’ouvrage offre à voir pour la première fois les peintures de Porphyreon, couplées d’une étude iconographique, de l’histoire des fouilles de Jiyé, et des conditions actuelles du stockage des artefacts archéologiques.

L’antique Jiyyé a livré une basilique à trois nefs, bâtie entre le Ve et le VIe siècle, qui s’étend sur 40 mètres de long et 20 mètres de large, pavée de mosaïques et recouverte de peintures murales. Un quartier résidentiel de 80 pièces occupe environ 150 000 m2, au sein duquel Roger Saïdah a mis au jour, au printemps 1975, un grand nombre de pierres de taille recouvertes de plâtres peints représentant des figures humaines auréolées, des palmiers, des grenadiers, d’animaux félins et équidés, bondissant, ainsi que des scènes de paysans. Une des pièces du quartier a livré plusieurs objets liturgiques en bronze, amenant Saïdah à suggérer que la maison a pu être la résidence d'un évêque. « Ces artefacts ont été malheureusement perdus », note l’auteure. Le site a également révélé une zone de production de poterie du Ve-VIe siècle et une nécropole romaine, renfermant 28 tombes taillées dans les rochers, dont deux sont ornées de peinture. L’exploration de la DGA est ensuite interrompue en raison de la guerre civile (1975-1990). Mais les chasseurs de sable (en vue de sa commercialisation) à bord de leurs bulldozers et camions font incidemment apparaître des mosaïques, en 1987. Averti par des témoins, Walid Joumblatt, alors ministre des Travaux publics, des Transports et du Tourisme, organise des fouilles qui mènent à la découverte de grandes surfaces de mosaïques enfouies sous les dunes. Elles seront démontées et conservées au palais de Beiteddine.

Entre 1997 et 2014, des expéditions archéologiques polonaises dirigées par Tomasz Waliszewski du Centre polonais d'archéologie méditerranéenne (PCMA) de l'Université de Varsovie, en coopération avec la DGA, procèdent à la mise au jour de l’ensemble du site. À l’issue des opérations des centaines de fragments de plâtre peint sont récupérés et entreposés dans un dépôt du palais de Beiteddine, où ils sont actuellement conservés.

Conditions de stockage défavorables

« Les blocs ont été empilés avec négligence et ont subi de nombreux dommages, notamment de graves fissures et un détachement du plâtre », relate la spécialiste. Après le nettoyage et le traitement des peintures, « leur assemblage ressemblait à un puzzle réellement difficile. Des pièces manquaient, d’autres étaient cassées, abîmées (…) Une tentative de rassembler certains fragments détachés pour les rattacher à la pierre de taille s'est avérée impossible car un nombre d'entre eux se sont désintégrés au fil des années ».

De plus, au cours des trois décennies écoulées, certaines peintures ont été protégées par un vernis, qui a jauni pour devenir quasiment insoluble. En outre, ajoute-t-elle « la garnison présidentielle stationnée dans le palais utilisait la salle de dépôt comme lieu de repos, d'où les mégots de cigarettes, la cire de bougie et les taches de café visibles sur certaines peintures », précise Julia M. Burdajewicz. Elle raconte aussi qu’en 2004, l’archéologue Tomasz Waliszewski qui a mené les fouilles à Jiyé et Krzysztof Chmielewski de la faculté de conservation et de restauration des œuvres d'art de l'Académie des beaux-arts de Varsovie ont photographié les peintures murales mais aucun travail de conservation n'a été possible faute d'autorisation de la garde présidentielle. Vers 2007-2008, grâce aux efforts des membres du personnel de la DGA, Rana Andari et Youssef Eid, les peintures ont été transférées dans une aile du coin sud-est du palais.

Les 258 fragments qui illustrent l’ouvrage sont aujourd’hui documentés et restaurés, mais « les conditions actuelles de leur stockage peuvent entraîner leur détérioration », déplore la spécialiste. Elle explique que les peintures, ainsi que d’autres artéfacts, sont exposés à une humidité persistante causée par les fuites d’eau dans le local qui les abrite. « Il est vrai que celui-ci est équipé d’un déshumidificateur, malheureusement l’appareil est rarement allumé en raison des coupures d'électricité. De plus, le taux d'humidité couplé à la présence de matières organiques (plaques de contreplaqué séparées les uns des autres par du papier de soie et tissus) crée des conditions favorables au développement rapide de micro-organismes (bactéries et champignons). Enfin, la croissance microbiologique provoque des efflorescences de taches défigurantes, souvent irréversibles sur les surfaces peintes », ajoute-t-elle.

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La chaux ou la technique du fresco-secco

Avec l’accord de la DGA, des échantillons de fragments de peinture ont été envoyés à Varsovie pour une analyse archéométrique, financée par le Centre scientifique national polonais. Les résultats obtenus suggèrent que « certaines peintures sont le travail de plusieurs artistes, dotés de compétences et de talents différents », écrit Julia M. Burdajewicz. Ils utilisaient cependant les pigments sans parcimonie. Ainsi, « trois à quatre couches de peinture de couleurs différentes étaient nécessaires pour représenter une traîne de paon ou les détails d’une croix ornée de motifs de pierres précieuses ». Leurs palettes comprenaient plusieurs couleurs de base, rouge, jaune, vert, bleu, marron foncé/noir et blanc, des tons de transition comme le rose et diverses teintes d'orange. « Le rouge et le jaune sont les plus courants. Les oxydes de fer jaune et rouge se distinguent par une stabilité chimique et une excellente résistance aux environnements alcalins et à la lumière  ; en plus elles sont peu coûteuses et largement disponibles. » L’analyse du vert a révélé un pigment à base de céladonite, un minéral provenant de la terre verte de Chypre. Celle-ci a été ensuite abandonnée pour un pigment à base de glauconite (minéral du groupe des silicates) disponible localement. Le bleu, utilisé dans le rendu des oiseaux, était le bleu égyptien, qui comprenait « le broyage et la cuisson du quartz, du carbonate de calcium et du cuivre. Probablement en raison de son coût, il a été appliqué de façon mesurée. » Si l'usage du noir est très limité, en revanche la peinture blanche, « de la chaux éteinte, additionnée de carbonate de calcium blanc », a été appliquée en couche très épaisse pour l’exécution de certains détails, comme les perles sur des croix, ou les dents d'une lionne.

Concernant la technique, Julia M. Burdajewicz signale que les peintures ont été exécutées à la chaux ou selon la technique du fresco-secco, à l’instar de celles trouvées dans l’église d’Hippos-Sussita (cité chrétienne aux alentours du lac de Tibériade en Palestine) et dans l’église de Chhim à 40 kilomètres au sud-est de Beyrouth.

L’auteure rappelle que les premières peintures murales en Palestine, Syrie et Arabie, présentant un contenu strictement chrétien, apparaissent dans le contexte de l'art sépulcral daté des IVe et Ve siècles. Après le Ve siècle les peintres semblent avoir déplacé leur activité vers les intérieurs ecclésiastiques, comme l'église de Shivta (Sobota) dans le Néguev ; l'abside de l'église Umm er-Rasas (mère du plomb), en Jordanie datées par une inscription en mosaïque de 586. D’autres ensembles de sujets identifiables (scène de l'Ascension, buste du Christ) proviennent du monastère rupestre Saint-Théoctiste en Cisjordanie ou encore du monastère de Kursi au pied du Golan où « presque tous les murs intérieurs de la basilique étaient décorés de plâtre peint et sur certains murs de grands fragments restaient intacts ».

À défaut d’une exposition des peintures murales de Porphyreon, qui n’aura pas lieu dans un avenir immédiat, l’ouvrage de Julia M. Burdajewicz lève le voile sur un magnifique patrimoine libanais. Et comme le souligne Tomasz Waliszewski dans son introduction, « son traitement des peintures murales a assuré leur survie physique pour la postérité, mais bien plus important encore, ses recherches universitaires ont fait ressortir pleinement la culture visuelle de la Méditerranée orientale qui a façonné l'environnement des habitants de cette région aux Ve et VIIe siècles ».

« Le site côtier de Porphyreon, l’antique Jiyé, qualifié ainsi par Roger Saïdah, archéologue rattaché à la Direction générale des antiquités libanaises (DGA), était, et est toujours, justifié compte tenu de l'abondance des découvertes de peintures murales, et de leur répertoire iconographique, inégalés sur tout autre site archéologique de l'Antiquité tardive de la...
commentaires (2)

Elles n'ont pas été pillées encore....?Decidement la mafia libanaise n'est plus ce qu elle etait

Moi

01 h 23, le 09 avril 2024

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Commentaires (2)

  • Elles n'ont pas été pillées encore....?Decidement la mafia libanaise n'est plus ce qu elle etait

    Moi

    01 h 23, le 09 avril 2024

  • Interessant, j’avais entendu parler de cette découverte il y a longtemps. En merci a M Joumblatt

    Jack Gardner

    01 h 13, le 09 avril 2024

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