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Nos Lecteurs ont la Parole

La consommation de l’absurde dans l’économie de la réalité

La consommation de l’absurde dans l’économie de la réalité

Photo d’illustration Bigstock

Considérons la définition suivante : « L’absurde, c’est le sens qu’adopte un concept qui, selon notre logique, n’a jamais existé et ne le sera jamais ! »

Avant de nous plonger dans cette définition de l’absurde, explorons un autre concept plus large, celui de la consommation de la réalité. Il s’agit de vivre dans un monde façonné par la réalité offerte par certains producteurs de pensées. Ces créateurs de concepts, avant de les concrétiser, les percevaient comme des absurdités, des notions qu’ils ont finalement laissé prendre vie bien qu’elles n’ont jamais existé. Bien avant la pensée rationnelle, il n’y avait, dans la perception du monde, que ce qui suscitait la peur et ce qui rassurait. Avec l’avènement de l’empirisme et du rationalisme, il n’est plus question d’avoir peur de ce qu’on ne comprend pas, mais plutôt de paraître conforme dans la façon de penser avec la communauté de penseurs. Cependant, ce cadre de réflexion a le désavantage d’imposer la consommation de pensées préexistantes dans la production de nouvelles réalités, toute démarche différente étant accusée de ne produire que de l’absurdité. Pourtant, le monde contemporain, avec la démocratisation des connaissances scientifiques, la prise d’initiatives en économie et la liberté d’expression, a changé de paradigme. Depuis un peu plus d’un siècle, une interaction économique s’établit entre un consommateur de réalité –

tout être humain limité aux concepts, images et principes offerts par le monde –

et un producteur ambitieux de réalité qui ose confronter le sens de l’absurdité généré par la logique commune. Ce consommateur humain, aussi insouciant soit-il, avale cette réalité de manière insatiable, tout en se plaignant, en raison de sa nature humaine, de l’insatisfaction de sa vie sur terre. Cependant, en tant que consommateur insatisfait, il ne réalise pas toujours qu’il a le droit, la capacité et les circonstances de se métamorphoser à tout moment en un producteur de cette réalité, un réalisateur, bref, un consommateur de l’absurde au sens métaphorique du terme.

Pour examiner la définition de l’absurde, cruciale pour notre perception de la vie, imaginons une confrontation entre deux maîtres du sens de l’existence, de la perception, de la réalité et de la logique : Jean-Paul Sartre et Albert Camus. Pour Sartre : « S’il est vrai qu’il existe une

réalité objective indépendante de ma perception, il est également vrai que cette réalité ne signifie rien pour moi en dehors de la manière dont je la perçois et de la signification que je lui donne. » Ainsi, Sartre est convaincu que seule notre attribution de sens à la réalité dans notre compréhension du monde la rend importante, intéressante et consommable. Dans cette perspective, il y a un effort de jugement, une sélection proactive d’éléments de la réalité et un engagement individuel dans l’attribution de valeurs à la réalité consommée. De manière plus catégorique, Albert Camus pense que ce qui distingue les êtres humains des autres êtres vivants, c’est la décision de consommer ou de produire leur réalité. Dans ce sens, il dit : « L’homme est la seule créature qui refuse d’être ce qu’elle est. » Pour lui, la simple consommation d’une réalité offerte ne nous permet pas d’atteindre un degré complet de notre humanité. Cependant, il serait préférable de rester modéré dans cette perspective et de comprendre que même dans la notion d’un spectacle, un bon producteur sait que le spectateur est aussi un acteur important sur scène. En effet, certains créateurs ne présentent pas simplement un spectacle sur scène ou dans la vie réelle ; ils produisent une nouvelle réalité qui aide l’humanité à se défaire d’un grain de sable sur le rivage de son immense sens de l’absurde. À cet égard, Guy Debord dit : « Le spectacle n’est pas un ensemble d’images, mais un rapport social entre des personnes, médiatisé par des images. »

À tous ceux qui consomment une partie de la réalité à travers ces lignes, en pensant que c’est une absurdité à laquelle ils n’ont jamais été confrontés : il est temps de commencer à produire une nouvelle réalité aussi absurde soit-elle ! Il est temps de réaliser que ce qu’il faut appliquer dans notre vie n’est autre que l’humanisme, malgré nos divergences... Il est temps de comprendre que la justice n’est pas un don que le plus fort prétend offrir au plus faible, mais un droit que la société exige d’un individu pour lui garantir la sécurité... Il est temps de comprendre que les nations sont conçues pour réguler les conflits et non pas pour les alimenter… Il est temps de percevoir que l’humanisme transcende de loin toute autre appartenance militante, qu’il s’agisse de nationalisme, de confessionnalisme, de racisme, etc. Il est temps de comprendre que Dieu, en tant que juge tel que nous le consommons, frôle l’absurde et que Dieu, en tant qu’amour tel qu’il doit être réalisé, n’est que l’amorce de l’acceptation entre les êtres humains... Il est temps de comprendre que notre histoire n’est pas simplement une narration destinée à susciter des émotions, mais une succession de scènes conçues pour stimuler notre imagination... Il est temps de comprendre que notre survie ne nécessite pas la destruction de l’autre, mais plutôt la préservation de cet autre et de sa planète pour une longue durée... Il est temps de comprendre que si demain ressemblera à hier et à aujourd’hui, cela ne signifie pas que nous devons cesser de rêver, car ces jours, aussi monotones soient-ils, ne sont que les ingrédients les plus essentiels de tout rêve... En bref, il est temps de comprendre que ceux parmi nous qui souffrent beaucoup et qui sont les plus insatisfaits sont ceux qui ne rêvent plus, ne réalisent plus, ne produisent mentalement que rarement… Il est temps de réaliser que la majorité parmi nous sont devenus des consommateurs simplement parce qu’ils ont accepté qu’au-delà des images que la société leur offre, en grande partie recyclées et ressassées, il n’y a que l’absurde...

À ceux qui reçoivent cette invitation, vous avez la possibilité de vivre dans une nouvelle réalité marquée par une économie de production plutôt que de sombrer dans une économie de consommation. Vous pouvez dès maintenant commencer à produire cette nouvelle réalité à partir d’un matériau qui vous semble absurde, au lieu de continuer à consommer une réalité insatisfaisante. Pour ce faire, commencez par appliquer ce que votre cerveau signale comme le plus absurde, ce qui consiste tout simplement en le contenu de vos rêves les plus beaux !

Rami BOU KHALIL, MD, PhD

Chef de service de psychiatrie

à l’Hôtel-Dieu de France

Professeur associé à la faculté

de médecine de l’Université

Saint-Joseph

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

Considérons la définition suivante : « L’absurde, c’est le sens qu’adopte un concept qui, selon notre logique, n’a jamais existé et ne le sera jamais ! » Avant de nous plonger dans cette définition de l’absurde, explorons un autre concept plus large, celui de la consommation de la réalité. Il s’agit de vivre dans un monde façonné par la réalité offerte par...

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