Pas de temps mort pour Gebran Bassil. En cette période de vacance présidentielle, le chef du Courant patriotique libre tente de s’affirmer comme le leader chrétien soucieux de préserver ce qu’il estime être les « droits » d’une communauté « victime d’une marginalisation délibérée », comme il l’a répété lors de ses trois discours prononcés à l’occasion du congrès annuel du CPL tenu vendredi, samedi et dimanche à l’hôtel Habtoor Grand à Sin el-Fil. L’événement est intervenu à l’heure où les rapports du CPL avec son (ancien) allié, le Hezbollah, frôlent la rupture, sur fond de guerre à Gaza, un conflit dans lequel le parti chiite s’est impliqué au nom de l’« unité des fronts », « dépassant les limites de la protection du Liban », pour reprendre les termes de M. Bassil. Autre divergence que le chef aouniste n’a pas manqué de souligner, le fait que le Hezbollah assure la couverture politique au gouvernement sortant, lui permettant de prendre des décisions qui empiètent sur les prérogatives du chef de l’État. En guise de solution, M. Bassil a omis d’appeler à l’élection rapide du futur président, mais s’en est remis à Bkerké et aux autorités politico-religieuses, plaidant pour la préservation du « partenariat équilibré » au sein des institutions.
« J’invite Bkerké à réunir les leaders chrétiens afin de faire face à la marginalisation délibérée de la communauté. Et que ceux qui rejettent cette invitation en assument la responsabilité devant l’opinion publique », avait lancé M. Bassil lors d’un dîner d’autofinancement de son parti vendredi. Dans son discours de dimanche, il est allé un peu plus loin. S’en remettant de nouveau à Mgr Raï, il a également fait appel au mufti de la République, au secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, ainsi qu’au président de la Chambre, Nabih Berry, et au leader druze Walid Joumblatt et son fils Taymour, les incitant à ne pas « sacrifier le partenariat équilibré ». Et d’interpeller également ses adversaires sur la scène chrétienne : « J’en appelle aux Forces libanaises, aux Kataëb et aux Marada : venez, qu’on trace une ligne rouge au sujet de l’existence (des chrétiens), du partenariat équitable et du Grand Liban, et qu’on commence à partir de là. »
Le Hezbollah dans le viseur
C’est d’ailleurs sous l’angle du partenariat que le chef du CPL s’en est pris à son allié chiite. « Nous avons conclu une entente qui respecte le partenariat, la parité et la démocratie consensuelle. Cette entente nous a permis de rectifier la représentativité politique. Mais quand le Hezbollah est revenu sur son engagement à respecter cela, nous n’avons pas hésité à nous élever contre lui », a-t-il déclaré.
« Que personne ne pense que nous regrettons (l’alliance avec le Hezbollah). Cet accord nous a donné 15 ans de stabilité dans le pays (...) Nous avons perdu en popularité parce que la promotion du Hezbollah au Liban est difficile, surtout auprès des jeunes. Malgré cela, nous avons sacrifié notre popularité pour avoir la stabilité. Mais nous nous sommes éloignés lorsque le Hezbollah a arrêté de respecter le partenariat », a-t-il poursuivi. Vendredi, il avait assuré que son parti « n’a pas rompu l’entente avec le Hezbollah », mais que l’alliance entre les deux formations « nécessite d’être améliorée, ce qui n’a pas encore eu lieu ». Selon lui, c’est plutôt le Hezbollah qui « a quitté l’accord lorsqu’il a abandonné les principes de construction d’un État et de partenariat et a brisé le plafond de protection du Liban ».
Dans la course pour Baabda, le parti de Hassan Nasrallah appuie le chef des Marada, Sleiman Frangié, en dépit du veto de M. Bassil et du reste des partis chrétiens majoritaires rangés, jusqu’ici, derrière l’option Jihad Azour. « Nous voulons un président conforme au pacte national, souverainiste, réformateur et résistant. Nous voulons aussi la décentralisation administrative et financière élargie, ainsi que le fonds fiduciaire, et le partenariat qui n’a aucun prix », a dit le chef du CPL à ce propos, dans ce qui semble être un pas en arrière quant à un éventuel soutien à la candidature du chef des Marada. Car peu avant la guerre à Gaza, M. Bassil s’était engagé avec le parti de Dieu dans des négociations axées sur la mise en place du fonds fiduciaire et de la décentralisation, en contrepartie d’un appui aouniste à la candidature de Frangié. Sur ce point, il s’est voulu dimanche encore plus clair : « Non au candidat qu’on nous impose », a-t-il lancé.
Le chef du CPL s’est en outre livré à une diatribe contre le gouvernement qu’il boude depuis 2022. « Non à un cabinet amputé qui nous gouverne en dehors de la Constitution et du pacte national », a-t-il tonné. Face au Premier ministre sortant Nagib Mikati, le député de Batroun est même allé jusqu’à agiter le spectre de la désobéissance civile. « Nous (chrétiens) sommes obligés de les embêter (le camp du Hezbollah) pour obtenir nos droits d’abord en unifiant notre position, puis en mobilisant l’opinion publique et ensuite en recourant à la rue ou à la désobéissance civile », a-t-il menacé.
Enfin, le chef du CPL a renouvelé ses critiques à l’égard de l’engagement du Hezbollah dans la guerre à Gaza. « L’unité des fronts ne prend pas en compte l’unité du Liban », a-t-il dit, avant de poursuivre : « Nous nous engageons dans la guerre quand elle nous est imposée, mais il ne faut pas que nous la provoquions. » Fait notable : quelques heures avant de s’en prendre au Hezbollah, le même Gebran Bassil avait laissé une porte ouverte à un retour de son parti à l’accord de Mar Mikhaël « si le Hezbollah décide d’y revenir ». Calculs présidentiels obligent ?
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Plutôt se convertir qu'être à ses côtés
CBG
11 h 57, le 23 mars 2024