Ces derniers jours, Michel Aoun et Gebran Bassil, respectivement fondateur du Courant patriotique libre et son chef actuel, s’en sont violemment pris au Hezbollah avec, en toile de fond, la guerre à Gaza, dans laquelle le parti chiite est impliqué depuis le Liban-Sud. Ils ont rejeté la notion d’« unité des fronts » brandie par le camp du Hezbollah, mais aussi son soutien indéfectible au Premier ministre sortant, Nagib Mikati, qu’ils accusent de « marginaliser les chrétiens ». Ces flèches s’inscrivent dans le prolongement des rapports presque gelés entre le courant aouniste et son allié sur fond de profondes divergences au sujet de la présidentielle. Sauf que cette fois-ci, le CPL semble se trouver face à une contradiction : à l’heure où il s’attaque au Hezbollah, il ne trouve – ironiquement – plus aucun problème à s’ouvrir à l’autre composante du tandem chiite, le président de la Chambre, Nabih Berry (pourtant bête noire du parti), et répondre favorablement à son appel au dialogue en vue de débloquer la présidentielle.
Les aounistes semblent ainsi avoir compris que le chef du législatif est un élément-clé pour faire bouger le dossier. « Nous sommes conscients que le rapport de force au sein du Parlement actuel ne pourra pas déboucher sur un président. Il faut donc aller vers le dialogue pour sortir de l’impasse », déclare à L’Orient-Le Jour Ghassan Atallah, député CPL, qui mène les contacts avec Aïn el-Tiné. Sans vouloir lever le voile sur le début de ce processus de reprise de langue avec le chef du législatif, le parlementaire souligne que les discussions sont principalement axées sur la forme du dialogue, sa durée et les participants. « Nous sommes déjà d’accord sur le principe de la tenue de discussions bilatérales ou trilatérales avec la participation des chefs des blocs parlementaires pour une durée de sept jours. Mais nous attendons des réponses définitives. »
Grosso modo donc, le courant aouniste est désormais favorable à l’initiative présentée, fin août 2023, par le chef du législatif et qui consiste à la tenue d’un dialogue national d’une semaine suivi de séances électorales ouvertes avec des tours de vote successifs. Mais l'opposition n’avait pas tardé à la rejeter en arguant du fait que l’élection d’un président devrait respecter les mécanismes constitutionnels sans passer par des démarches visant à imposer un candidat bien déterminé, en référence au chef des Marada, Sleiman Frangié, appuyé par le tandem chiite.
Quant au CPL, qui avait dans un premier temps lui aussi rejeté l'initiative de M. Berry, il a salué mardi, par la bouche de son chef, la démarche du maître du perchoir, tout en appelant à ce que tout dialogue débouche sur un consensus élargi. « Nous n’avons jamais adhéré à la logique de M. Berry voulant nous entraîner aveuglément vers un dialogue dont il définirait lui-même les contours. Aujourd’hui, il commence à écouter notre point de vue et accepter nos conditions », explique Ghassan Atallah. C’est cette attitude positive que Gebran Bassil a sciemment voulu refléter lors de son point de presse mardi. Il a ainsi assuré que son parti adoptait une attitude « totalement positive » afin de parvenir à s’entendre sur un président, a-t-il souligné, se prononçant pour des séances électorales ouvertes. Le chef du CPL converge sur ce point avec plusieurs députés de l'opposition… à une nuance près. Dans leur communiqué publié lundi, des parlementaires appartenant à ce camp ont appelé à la tenue de tours de vote successifs jusqu’à l’élection du chef de l’État. « Les deux idées convergent. Parce que le principal souci de tout le monde, c’est d’éviter un défaut de quorum. D’où l’importance du dialogue dans la perspective d’un déblocage », explique Ghassan Atallah, rappelant que c’est dans ce sens que le quintette impliqué dans le dossier (États-Unis, France, Arabie saoudite, Égypte, Qatar) presse en vue d’accélérer la tenue du scrutin.
Il reste que le courant aouniste s’est montré disposé à se prêter au jeu de Nabih Berry à l’heure où ce dernier – tout comme le Hezbollah – continue de se montrer attaché à la candidature de Sleiman Frangié. Selon Ghassan Atallah, « c’est à travers le dialogue qu’on pave la voie aux concessions ». De son côté, Nagi Hayek, vice-président du CPL pour les affaires extérieures, affirme que « le parti est disposé à tout pour faire élire un président, y compris défricher le terrain devant une entente autour d’une figure de troisième voie ». Il préfère toutefois ne pas se prononcer au sujet de certains noms, dont celui du chef de l’armée, Joseph Aoun, perçu comme un sérieux présidentiable pouvant faire l’objet d’une entente, mais qui se trouve être une véritable bête noire du chef du CPL.
Pétition contre Mikati
Cette ouverture aouniste intervient à l'heure où la guerre à Gaza et la nomination du général Hassane Audi au poste de chef d’état-major ont envenimé – jusqu'à la rupture, ou presque – les relations du CPL avec l'allié de M. Berry. Anticipant toute spéculation sur cette contradiction, le leader du CPL a dressé l’équation suivante : « Parallèlement à notre ouverture à une entente autour du président, nous ferons face aux atteintes au partenariat et au pacte national », a-t-il lancé lors de son point de presse. Une pique évidente tant à Nabih Berry qu'au Hezbollah qui assurent la couverture aux séances gouvernementales boudées par les aounistes. « Il n’y a rien de contradictoire. Gebran Bassil a voulu cibler le tandem dans son ensemble, parce que nous ne pouvons pas rester les bras croisés face aux tentatives de mettre les chrétiens de côté, commente Nagi Hayek. Mais cela ne signifie pas que nous ne pouvons pas nous entendre au sujet de la présidentielle. » « Nous nous opposons à l’action de l’islam politique (incarné aujourd’hui par le duo chiite) au sein du gouvernement et cela est de notre droit », ajoute-t-il. D’ailleurs, Gebran Bassil n’a pas tardé à passer à l’acte. « Une première version de la pétition contre M. Mikati a déjà été rédigée et fait l’objet de contacts avec les divers groupes parlementaires », révèle Salim Aoun, député CPL, faisant état d’une « atmosphère positive ». « Que tous ceux qui n’ont jamais écouté nos mises en garde assument les conséquences maintenant », lance-t-il à un Hezbollah qui opte, jusqu’ici, pour le silence.
commentaires (9)
Jamais deux sans trois chère madame . Dites nous,dans la foulée, qui est donc la troisième bête noire du CPL ?
Hitti arlette
21 h 48, le 23 février 2024