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Culture - Exposition

Quand Bassam Geitani revient sur l’instant blanc de l’explosion du 4 août

L’artiste, qui n’a pas voulu réagir à chaud à la tragédie du port de Beyrouth, revient en galerie, près de 4 ans plus tard, avec un ensemble d’« œuvres blanches » issues de sa réflexion sur ce moment de vide ressenti « Dans le creux du chaos ».

Quand Bassam Geitani revient sur l’instant blanc de l’explosion du 4 août

Un coin de l’exposition « Dans le creux du chaos » de Bassam Geitani. Photo DR

Il fait partie de ces artistes qui ne se sont pas manifestés au lendemain de l’explosion au port de Beyrouth. À l’époque, Bassam Geitani n’avait pas voulu répondre aux sollicitations à s’exprimer artistiquement sur cette tragédie. Il n’avait pas rejoint les expositions collectives montées dans la colère et l’émotion du moment, préférant prendre le temps d’absorber le choc, de le penser, le décanter avant de produire un ensemble d’œuvres articulées autour de cet événement crucial, ce moment traumatique – un de plus, mais un des plus intenses ! – de l’histoire contemporaine libanaise.

« Ce n’est pas dans mon tempérament de réagir à chaud. C’est encore moins dans ma manière de travailler », justifie ce plasticien et professeur à l’Université libano-américaine (LAU), connu pour sa propension à intellectualiser l’art. Un artiste exigeant, qui n’a jamais voulu céder à la facilité de la représentation narrative. Et dont l’œuvre dans son ensemble puise ses thématiques dans ses lectures des grands philosophes et scientifiques français, tels Gilles Deleuze ou Gaston Bachelard, qui ont accompagné ses années de formation à la Sorbonne Paris 1.

La phrase complète de l’installation en débris du 4 août. Photo DR

Ce dernier est justement la figure référente de son récent travail présenté à la galerie Janine Rubeiz sous l’intitulé « Dans le creux du chaos »*. Une exposition qui s’ouvre par une installation murale réalisée avec des fragments de métal des balustrades, des lambeaux de tissu et des débris de béton issus des murs éclatés… Des résidus de la tragédie du 4 août 2020 avec lesquels Bassam Geitani a recomposé cette phrase : « Wa kana infijar dakhem qad hazza qalba madinat Beyrouth wa atrafouha » (« Et ce fut une énorme explosion qui secoua le cœur de la ville de Beyrouth et ses environs »), « lue quelque part et restée dans ma tête », dit-il. Une phrase fresque qui sera le point de départ, il y a deux ans, de son travail artistique « sur la mémoire de la dévastation infligée à la capitale libanaise » lors de la funeste double explosion au port.

Une mémoire collective d’un instant fatidique que Geitani va explorer dans une série de toiles d’une blancheur de linceul, parsemées ici et là de griffures, de déchirures, de plis et de sillons… Ces éléments qui font partie du vocabulaire habituel de cet artiste conceptuel et qu’il reprend dans cette nouvelle cuvée d’œuvres picturales en leur donnant une signification nouvelle d’empreintes douloureuses. Ou d’indélébiles cicatrices matérielles et émotionnelles laissées sur la ville et ses habitants.

Charbel Samuel Aoun, ses pierres, ses abeilles, son art au musée Sursock

Charbel Samuel Aoun, ses pierres, ses abeilles, son art au musée Sursock

L’opacité blanche de la terreur

S’inscrivant dans une démarche diamétralement opposée à celle de Pierre Soulages et sa recherche de la lumière du noir, Bassam Geitani fait ainsi usage du blanc pour exprimer l’opacité d’un moment terrible. Celui d’une explosion qui en une fraction de seconde a emporté toute une population dans « ce vertige du vide, ce blanc total qui précède ou qui suit immédiatement l’impact du choc ou de la perte. Et que Bachelard désignait par : l’intuition de l’instant », explique l’artiste conceptuel libanais, en introduction à sa série d’œuvres blanches.

« Ellipse narrative » à l’acrylique, collage de tissu et déchirure sur toile (190 x 275 cm ; 2023). Photo DR

Des peintures métaphoriques qui s’appuient comme toujours chez Bassam Geitani sur différentes expérimentations de processus et de matières. Et qui, à la manière d’Ellipse(s) narrative(s), déroulent des instantanées de la catastrophe autant sur des pans de rideaux arrachés par le souffle de l’explosion – en l’occurrence, ceux qui trônaient dans son salon et près desquels il se trouvait debout ce 4 août 2020 à 18h6 – que sur un simple châssis de tableau qui, recouvert de petits morceaux de lin peints à l’acrylique blanc, se transforme en une parlante évocation des Fenêtres de la terreur (Windows of Fear) et de leurs débris de vitres qui ont dominé le spectacle de la ville à cet instant-là.

Vous l’aurez deviné, la pratique artistique de Bassam Geitani est aux antipodes de ce qu’il appelle le graphisme d’affiches. Et bien que répercutant dans cette série les émotions nées « Dans le creux du chaos », son vocabulaire reste celui d’un artiste penseur. Un « psychologue de la matière », pour reprendre le titre de l’une de ses premières expositions à la galerie Janine Rubeiz en 1998. Un plasticien qui formule ses œuvres visuelles avec une écriture qui n’appartient qu’à lui, hermétique au tout-venant, qui dégage néanmoins, dans certaines pièces, une douceur insoupçonnée. Comme une lueur d’espoir…




Carte de visite

Né en 1962, Bassam Geitani vit et travaille à Beyrouth après avoir résidé durant plus d’une décennie en France. Titulaire d’un master en arts de l’Université Paris 1 Sorbonne, il enseigne l’art à la Lebanese American University (LAU). Il est l’un des artistes majeurs de la galerie Janine Rubeiz, où il a présenté plusieurs expositions solos dont « Le dépli » ( 2001), « Sueurs d’acier » (2007), « Le pendule » (2011), « Clin d’œil » (2014) et « Nature nature » (2019). Ses œuvres font partie de collections privées et publiques dont celles du musée Sursock et du British Museum.

*« Dans le creux du chaos » de Bassam Geitani jusqu’au 5 avril à la galerie Janine Rubeiz, Raouché, imm. Majdalani.

Il fait partie de ces artistes qui ne se sont pas manifestés au lendemain de l’explosion au port de Beyrouth. À l’époque, Bassam Geitani n’avait pas voulu répondre aux sollicitations à s’exprimer artistiquement sur cette tragédie. Il n’avait pas rejoint les expositions collectives montées dans la colère et l’émotion du moment, préférant prendre le temps d’absorber le...

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