Trois circulaires émises mardi par le nouveau procureur général près la Cour de cassation par intérim, Jamal Hajjar, et présentées par un certain nombre de juges et d'avocats comme illustrant son souci de « mettre de l’ordre » dans l’action des divers parquets du pays, ont pourtant suscité des critiques, tant auprès de la procureure près la Cour d’appel du Mont-Liban, Ghada Aoun, qui est cependant subordonnée à M. Hajjar, que, plus sélectivement, du juriste et activiste réputé Nizar Saghiyé.
La première circulaire demande aux parquets d’appel de tous les mohafazats, ainsi qu’aux parquets financier et militaire de ne plus lancer « des avis de recherche illimités » dans le temps. Elle se base sur l’article 24 du Code de procédure pénale (CPP) qui dispose qu’un avis de recherche lancé par un procureur expire d’office 10 jours après son lancement, à moins que son auteur ne décide de le prolonger pour une durée maximale de 30 jours, au terme de laquelle il s’éteint de plein droit.
Le procureur Hajjar a diffusé dans ce sillage une deuxième circulaire, dans laquelle il demande à la Direction générale des Forces de sécurité intérieure (FSI) de l’informer « personnellement » de toute directive d’un procureur comportant une extension de ce délai légal.
Contacté par L’Orient-Le Jour, un magistrat proche du parquet de cassation affirme que le juge Hajjar ordonnera « la suppression » du mandat de recherche le cas échéant. Ce magistrat déplore que de nombreux avis de recherche sont lancés avec « un délai ouvert », bien que les délits sur lesquels ils se basent soient parfois « très mineurs ». « Or, la liberté individuelle est sacrée », déclare-t-il.
Ghada Aoun « n’est pas visée »
Mais pour la procureure Aoun, « supprimer un mandat d’arrêt est de nature à encourager la non-comparution et la criminalité ». « Un avis de recherche est une mesure évidente, qui ne peut être stoppée lorsqu’une personne mise en cause s’est abstenue plusieurs fois de comparaître », martèle-t-elle sur la plateforme X. « L’article 24 du CPP édicte que le parquet d’appel est compétent pour lancer des avis de recherche sans condition de passer par le parquet de cassation », plaide-t-elle.
Dans l'entourage de Mme Aoun, on note que le timing de la diffusion des circulaires du juge Hajjar coïncide avec le lancement de l’avis de recherche contre le PDG de la Byblos bank, Semaan Bassil, par la procureure. Le juge proche du parquet de cassation cité plus haut assure pourtant que la procureure du Mont- Liban « n’est pas visée » par la circulaire de M. Hajjar, déplorant que des médias ont relayé de « fausses informations » sur une soi-disant suppression par celui-ci du mandat de recherche lancé contre le PDG de la Byblos bank. De nombreux autres magistrats lancent des avis de recherche sans délai d’expiration, indique la même source, soulignant que pour le juge Hajjar « l'application de la loi est au-dessus de toute considération ».
Interrogé sur la décision de M. Hajjar, le directeur de l'Agenda légal, Nizar Saghiyé, considère qu’elle est « conforme à la loi ». « Le délai de 30 jours a été adopté par le législateur pour que les parquets ne commettent pas d’abus en gardant indéfiniment des dossiers entre leurs mains », indique-t-il. « Le cas est différent lorsqu’il s’agit d’un mandat d’arrêt délivré par un juge d’instruction. Il ne comporte pas de délai parce qu’il est prononcé après des investigations approfondies », explique-t-il.
« Entre les mains d’un seul homme »
Dans sa troisième circulaire, le juge Hajjar a enjoint aux procureurs d’appel et aux parquets financier et militaire d’ « adresser au parquet de cassation » leurs circulaires destinées à la police judiciaire et aux avocats généraux. C’est « par son intermédiaire » que ces circulaires seront alors transmises aux parties concernées, ajoute le document.
Le chef du parquet a basé sa décision sur l’article 38 du CPP, en vertu duquel les fonctions de la police judiciaire sont exercées par les procureurs et les avocats généraux « sous l’autorité du procureur général près la Cour de cassation ». Il l’a en outre motivé par son « attachement à la coopération » et son « souci d’empêcher toute contradiction entre les circulaires diffusées par les différents parquets ».
Le juge proche du parquet de cassation explique la démarche par le fait que « des procureurs d’appel émettent souvent des instructions contradictoires pour une même situation judiciaire ». Or, estime-t-il, leur passage par « le haut de la pyramide » favorise leur « uniformisation ».
En réponse, la procureure Aoun soutient qu’« un procureur près de la Cour d’appel n’est pas un employé chez le procureur de cassation ». « Même si ce dernier est compétent pour superviser les parquets d’appel, la loi dispose que ses instructions doivent être données dans l’esprit de consolider les poursuites judiciaires et le cours de la justice plutôt que de les entraver », avance-t-elle.
Sur ce point, Me Saghiyé est en désaccord avec M. Hajjar. Selon lui, le passage par le bureau du procureur « n’est pas prévu par la loi » et représente « un dépassement de prérogatives ». Selon l’avocat, cette mesure risque d’affaiblir les compétences territoriales des procureurs et de centraliser le système pénal entre les mains d’un seul homme ». Un résultat qui, pour lui, serait « dangereux » surtout dans le cas où un magistrat « loyal à la classe politique » accède à la tête du parquet. « Une personne suspecte qui lui serait proche serait alors protégée contre tout risque de poursuites », met-il en garde.
Un contrôle préalable équivaut à celui d’ « un censeur », insiste Me Saghiyé, préconisant « un contrôle a posteriori ». « Il aurait été plus opportun de demander aux procureurs des différents mohafazats d’envoyer au chef du parquet des copies de leurs circulaires pour information », estime-t-il, suggérant que « seules soient supprimées celles qui n’ont pas d’incidences convenables ou sont contraires à la loi ».
Le nouveau procureur général près la Cour de cassation par intérim, Jamal Hajjar, s'est entretenu jeudi à son bureau avec le juge d'instruction près la Cour de justice, Tarek Bitar. Selon une source proche des protagonistes, l'entretien était « positif » et a porté sur des « généralités » concernant le dossier de la double explosion au port de Beyrouth le 4 août 2020.
L'entretien traduit une volonté de remettre ce dossier « sur les rails », même s'il fait face à « des obstacles », indique la même source, rappelant que les relations du parquet avec le juge Bitar n'étaient pas « au beau fixe » sous le mandat de Ghassan Oueidate, qui avait notamment interdit aux services sécuritaires d'exécuter les décisions du magistrat.
En sa qualité de chef de la police judiciaire, le juge Hajjar a par ailleurs envoyé une note au chef de la sécurité de l'Etat, Tony Saliba, lui enjoignant de transférer des détenus dans les centres relevant de ce service sécuritaire aux prisons qui relèvent des FSI. « Nous vous chargeons de coordonner avec la direction générale des FSI dans le but de transférer le plus vite possible les détenus figurant sur la liste ci-jointe (que L'OLJ n'a pu consulter), tout en vous demandant de nous informer des résultats », lit-on dans le document envoyé à M. Saliba.
La chaîne al-Jadeed a récemment dénoncé le fait que certaines personnes étaient détenues auprès de la Sécurité de l'État alors qu'elles devraient l'être dans les prisons ordinaires.
Remettre le dossier ( de l'explosion du port ) " sur les rails " est une bonne nouvelle.Mais quels sont les obstacles auquels fait face ce dossier? Et que va faire le nouveau procureur général pour les lever? M.Z
14 h 19, le 10 mars 2024