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Prévert, ses mots et ses collages

« Se promener, écrire un poème ou faire un collage, c’est la même démarche. » Jacques Prévert

Prévert, ses mots et ses collages

D.R.

À 70 ans, Jacques Prévert achète avec son épouse Janine une maison à Omonville-la-Petite, située dans le Cotentin, à 25 kilomètres de Cherbourg. C’est dans la dernière demeure de l’artiste pluridisciplinaire qu’est proposée au grand public l’exposition Avec des crayons et des ciseaux… Images poétiques de Jacques Prévert. Auteur de théâtre, Prévert se tourne ensuite vers la chanson et le cinéma  ; il devient scénariste et dialoguiste de films, comme Le Quai des brumes (1938), Les Visiteurs du soir (1942), Les Enfants du paradis (1945)… En 1945, il publie son premier recueil de poésies, Paroles. Amoureux des images, il se passionne pour l’art du collage à partir de 1948.

La Maison de Prévert permet de plonger dans l’intimité de l’artiste au gré des pièces dont l’architecture intérieure a été préservée. Elle comporte également une collection d’archives et d’œuvres originales. Le jardin participe à l’ambiance magique des lieux : il est toujours entretenu tel que Prévert l’a connu, avec ses plantes démesurées. Au premier étage, l’atelier est un grand espace lumineux où l’auteur travaillait ses poèmes et ses collages. De grandes tables permettent aux visiteurs de se livrer à des jeux poétiques et ludiques, un coin lecture permet de feuilleter les recueils du poète. La collection permanente est présentée dans deux anciennes chambres : éditions originales, dédicaces, livres d’artistes, photographies…

C’est au rez-de chaussée que sont présentées les expositions temporaires : collages, planches de scénario, éphémérides ou dédicaces permettent de découvrir l’œuvre dessinée de l’artiste. L’éditeur René Bertelé en fait lui-même la remarque : « Finalement, [Prévert] a mis en liberté les mots, colonisés par trop d’habitudes et de conventions littéraires, il a mis en liberté les images en les délivrant de leur vieille sagesse. » (Images de Jacques Prévert, 1957). Le parcours proposé amorce une réflexion intéressante sur l’articulation entre le geste graphique et la pensée, nourrie par les formes, les couleurs et les espaces blancs. Responsable de la maison Jacques Prévert, Fanny Kempa a la charge de la gestion du site, de l’équipe et des expositions du musée. Elle partage avec passion les coulisses d’une exposition qui a déjà attiré de nombreux visiteurs, dont 15 000 personnes l’année passée.

Quelles sont les différentes propositions de la Maison Jaques Prévert pour ses visiteurs ?

Depuis l’ouverture du musée, la collection permanente s’est construite par des achats successifs, lors de ventes aux enchères. On a notamment des feuilles manuscrites et des tapuscrits, puisque les poèmes de Prévert étaient tapés à la machine à écrire. On présente également des épreuves, des éditions originales, ou des brouillons du poète. Des ateliers créatifs ou d’écriture sont proposés pendant les vacances scolaires. Des spectacles vivants sont programmés régulièrement : le 10 mars, à l’occasion du « Printemps des poètes », une création contemporaine est prévue, elle a été rédigée selon le jeu littéraire du cadavre exquis. Six auteurs ont rédigé un texte sans avoir connaissance de ce que les autres ont écrit, puis le tout est rassemblé, et cela fait une pièce ! Le 18 mai, le public pourra assister à un spectacle de mimes et de jonglages. Enivrez-vous, autour de l’objet livre.

Comment définir la place du dessin dans l’œuvre de Prévert ?

Le dessin y a été très présent, et nous avons souhaité présenter cet aspect un peu méconnu de son travail, avec un corpus d’une cinquantaine d’œuvres. L’exposition est à la fois thématique et chronologique. Tout d’abord, les cadavres exquis des années 20 où Prévert appliquait, avec ses amis, le jeu littéraire surréaliste. Les deux œuvres proposées représentent des créatures fantastiques : le papier a été plié en trois, une personne a dessiné la tête, une autre le corps et une dernière l’arrière-train. En dépliant, on obtient une créature bizarre. Ces dessins ont été réalisés avec André Breton et Yves Tanguy, un peintre surréaliste. Dans les collages de Prévert, on retrouve la présence de la figure du monstre. On trouve également des personnages avec des corps humains et des têtes d’animaux. D’autres collages mettent en scène des animaux surdimensionnés par rapport aux humains, ce qui montre qu’il aimait bien tordre la réalité.

Dans quelle mesure le cinéma est-il présent dans les dessins de Prévert ?

Deux reproductions de planches scénaristiques sont proposées, elles correspondent à la première étape de son travail de scénariste. Il punaisait une grande feuille de papier quadrillé au mur, sur une première colonne, à gauche, il notait le prénom des personnages, puis leurs caractéristiques physiques ou morales. Ensuite, il faisait des liens entre eux, en écrivant les différentes scènes dans lesquelles ils apparaissaient, tout en dessinant certains moments précis. L’une des planches est celle des Enfants du paradis, la seconde planche correspond au scénario de Partie de campagne (1946). Prévert a écrit environ 80 scénarios, dont plusieurs en collaboration avec Marcel Carmé. Le dessin animé Le Roi et l’Oiseau (1953), avec Paul Grimault, a connu un grand succès.

Prévert se lance dans l’art du collage en 1948, après un accident au cours duquel il tombe du premier étage d’un immeuble, aux Champs-Elysées, après être appuyé sur une fenêtre montée à l’envers. Il passe plusieurs jours dans le coma et lorsqu’il se réveille, il a perdu l’usage de ses mains. Les médecins lui recommandent de trouver une pratique qui puisse lui redonner la dextérité de ses mains. Le collage est au départ un exercice de rééducation, puis il va se prendre de passion pour cette technique et va la pratiquer jusqu’à la fin de sa vie.

Quelles sont les spécificités des collages de Prévert ?

L’auteur n’utilisait que du papier, et différents supports : des photographies, des cartes postales, des livres… Il les effectuait pour des dédicaces, sur des enveloppes, ou sur de grandes feuilles de canson colorées.

Dans ses œuvres visuelles, on retrouve les mêmes thématiques que dans ses poèmes : plusieurs pièces sont anticléricales ou antimilitaristes. Les thèmes de la nature et des animaux sont également très présents. L’éditeur de Prévert, René Bertelé, l’a encouragé à faire paraître des recueils avec poèmes et collages. C’est le cas d’Imaginaires (1955) ou Fatras (1972).

Dans une de ses interviews, Prévert explique que pour lui, se promener, écrire un poème, faire un collage, ou aller au cinéma, c’est exactement la même démarche.

En quoi les éphémérides de Prévert consistent-elles précisément ?

De la fin des années 50 à la fin des années 60, Prévert a pris chaque jour une grande feuille de papier où il écrivait le nom du jour, mais pas la date, puis il dessinait deux grandes fleurs colorées, différentes à chaque fois.

Sur ses éphémérides, il notait ses rendez-vous, ce à quoi il devait penser, c’était un peu son agenda. Les planches sont très visuelles : pour des projets de restaurants, il dessine une nappe à carreaux rouges et blancs, avec des couverts, pour un rendez-vous à la gare, il esquisse un train et ses locomotives.

L’exposition est ouverte au public jusqu’en 2025, date anniversaire des 30 ans de l’ouverture de la Maison Jacques Prévert. La prochaine exposition portera sur les lieux d’habitation de l’écrivain : à Paris, à Saint-Paul-de-Vence, à Antibes et dans la Manche.

À 70 ans, Jacques Prévert achète avec son épouse Janine une maison à Omonville-la-Petite, située dans le Cotentin, à 25 kilomètres de Cherbourg. C’est dans la dernière demeure de l’artiste pluridisciplinaire qu’est proposée au grand public l’exposition Avec des crayons et des ciseaux… Images poétiques de Jacques Prévert. Auteur de théâtre, Prévert se tourne ensuite vers...

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